Autres journaux



mercredi 29 octobre 2014 à 05:52

Du côté de la librairie…

Envie de lire... des histoires de femmes



 

 

Envie de lire… des histoires de femmes

 

Nous partirons cette semaine à la découverte de quatre histoires de femmes. Des femmes dures, fortes, désespérées, légères, qui se cherchent ou qui se perdent. Je vous propose trois histoires et un témoignage, de styles très différents, qui dévoilent chacun à leur manière une facette de la féminité.

 

 

 

Comme dans tout, on aurait tendance à réserver le meilleur pour la fin, dans mon cas le livre que l’on a préféré. Mais je veux être sûre que chacun pourra lira celui qui va suivre, alors je le place en premier. Parce que je tiens là MON coup de cœur littéraire de la rentrée. « Le premier été ».

Le quatrième de couverture ne m’attirait pas plus que cela au premier abord. Deux sœurs se retrouvent une fin d’été en Haute-Saône, afin de vider la maison de leurs grands-parents décédés. Depuis longtemps, Catherine, la benjamine, se tient loin de ce village qui fait surgir en elle des souvenirs douloureux. Angélique, l’aînée, a fondé une famille, elle non. A l’adolescence, elle passait des heures dans les livres, mais pour décrire ce qu’elle a vécu ici, l’été de ses seize ans, elle n’a pas trouvé les mots. A l’époque, tandis qu’Angélique flirtait au bord de la piscine avec les garçons de la colo, Catherine fut troublée par un jeune homme du village, qui ne ressemblait pas aux autres. Mais elle ne comprit que peu à peu la nature profonde de cette différence. Quinze années plus tard, elle se résout à confier à sa sœur ce secret qui la ronge.

 

Quel coup de poing que cette lecture ! J’ai presque eu l’impression de sentir la chaleur de cet été-là sur ma peau. De connaître les sensations que l’on aurait ressenties pendant les vacances chez les grands-parents, cette impression douce-amère d’ennui, de lenteur, de fraîcheur dans la cuisine qui contraste avec la moiteur des journées passées à la piscine avec les jeunes de la colo d’à côté. J’ai presque descendue la rue avec elle, j’ai cherché ma tenue pour aller au bal, j’ai boudé quand personne ne m’a invité à danser. Anne Percin a une délicatesse d’écriture que j’ai rarement trouvée, une facilité à nous faire rentrer dans son livre, son village, sa chambre. Du moins celle de son héroïne. Cela me faisait penser à l’ambiance filmée par Jean Becker dans L’été meurtrier, cette chaleur écrasante dans le village liée à la fraîcheur provocante d’Adjani. Ou à l’adolescente toute en jambes jouée par Charlotte Gainsbourg dans l’effrontée.

 

Le secret de Catherine nous est livré au fil des pages, sans que l’on se doute vraiment de la finalité de cette histoire, ni du dénouement de cette confession. On ressent un peu de pitié pour la jeune fille qu’elle était, et les conséquences de ce premier été sur sa vie de femme. Mais on ressort aussi de cette histoire un peu en colère contre ce qu’elle a fait, probablement parce que beaucoup d’entre nous aurait réagi de la même manière qu’elle. Par honte. Par peur. Du qu’en dira-t-on. Et de la différence. A vous de découvrir de quoi il retourne… Une splendide rencontre.

 

Le premier été. Anne Percin. Actes Sud, 2014. 181 p. 7 €

 

livres 2910144

 

Un peu dans cette ligne, le roman de Sophie Brocas retrace le parcours de quatre femmes d’une même famille : Lia, la plus jeune, Agnès sa mère, Solange la grand-mère et Alice l’arrière-grand-mère. Au décès de cette dernière, elles se retrouvent dans la maison familiale pour un patient travail de tri, réalisé dans le deuil et l’intimité. Le contenu d’une boîte à chaussures va jeter le trouble dans ce cercle de femmes, et remettre en cause leur construction de vie. Chacune, à sa manière, va rejeter cette aïeule, la détester, la protéger, chercher à la comprendre, et intégrer au fil des années les informations découvertes dans la boîte. Très délicat, ce livre est un aperçu des conséquences des secrets de familles. Ces non-dits, vérités arrangées, mensonges protecteurs ou vengeurs qui, une fois mis à jour, peuvent être de véritables cataclysmes dans une vie. Liées par ce secret sans le savoir, les vies de ces quatre femmes seront bouleversées, mais pas forcément en mal.
Assez rapide à lire, ce roman ressemble presque à un conte moral, un roman initiatique qui peut conduire chacun à se pencher sur ses propres secrets de famille et les conséquences qu’ils ont eu sur nos vies.

 

Sophie Brocas. Le cercle des femmes. Paris : Julliard, 08/2014. 194 p. 18,50 €

 

livres 2910143

 

 

Que dire de mon troisième choix ? Le titre m’a attiré, la couverture aussi. Mais j’en suis restée là tant le roman m’a déconcerté et mise mal à l’aise. Fannie et Freddie raconte ici une vengeance à couper le souffle, prise dans la folie d’une femme désespérée. On pourrait presque qualifier de badin le ton employé par l’auteur, tant on sent Fannie détachée de l’horreur de ce qu’elle est en train de faire. D’ailleurs, ses dialogues se lisent dans la distance, avec l’emploi non pas du traditionnel tiret en début de phrase, mais de « Elle dit : ». Cette structure narrative semble la décaler, la rendre presque irréelle alors que Freddie reste prisonnier de l’instant et de la réalité. Si l’écriture est effectivement intéressante, j’avoue avoir eu du mal à m’attacher à cette femme et c’est probablement l’objectif : toucher son côté froid, irrationnel, perdu et vengeur. Je ne vous en dirais pas plus sur l’histoire, mais je vous propose un extrait :

« A nouveau elle sent monter la colère. Très vite la colère dépasse et supplante l’indignation qu’elle a d’abord ressentie. Son œil s’obscurcit tandis qu’à l’inverse ses phalanges blanchissent autour de la poignée du revolver.

Elle dit : Tu penses que j’aurais pu faire ça à mes parents ? A mon père et à ma mère ? Tu… Tu… Mais pour qui me prends-tu ?
Sa voix s’est élevée, c’est la première fois. Et quand elle se tait on entend distinctement l’air siffler à travers ses narines.
Elle dit : regard-moi.
Il ne bouge pas.
Elle avance un pas et répète : Regarde-moi.
Le jeune homme relève lentement la tête.
Elle dit : Ce n’est pas moi, non. C’est toi. C’est toi qui les as tués. »

 

Petit aparté : le livre se compose de deux nouvelles dont la seconde s’intitule « Ceux qui construisent les bateaux ne les prennent pas ».

 

Fannie et Freddie. Marcus Malte. Paris : Zulma, 2014. 158 p. 15,50 €

 

livres 2910142

 

Autre femme, autre lieu : Bombay, 26 novembre 2008, restaurant de l’Obertoi. C’est ici que prendra fin la vie de Loumia Hiridjee, plus connue des quarantenaires comme étant la créatrice de la marque de lingerie Princesse tam.tam. Michèle Fitoussi, amie de Loumia, a tenu dans ce livre à rendre hommage à celles et ceux qui ont perdu la vie lors des attentats terroristes qui ont endeuillés l’Inde cette année-là. Elle est partie pendant de longs mois sur les traces de son amie et celles des autres personnes assassinées, afin de livrer ce livre-témoignage. Sont entrecroisés les parcours des victimes et celui des dix terroristes pakistanais venus semer la mort : 300 blessés et 165 morts seront relevés dans les deux palaces attaqués et les cafés alentours. Comble de l’ironie, le 26 novembre, Michèle Fitoussi est à Pondichéry, avant de retrouver Loumia et sa famille à Bombay. Ce soir-là, Michèle raconte à son amie qu’elle a failli se faire tuer par un toit de branchages qui s’est envolé à cause d’un cyclone. « Tu verras, lance Loumia en riant, l’Inde est un pays imprévisible… »

 

Entre ces pages, nous découvrons cette femme, née en 1962 à Madagscar, et débarquée en France en 1975 pour poursuivre sa scolarité en compagnie de sa sœur Shama. Ce sont elles deux qui auront l’idée de créer des modèles pour les filles avec les tissus des caleçons de garçons. Des modèles drôles, pudiques, légers, qui vont révolutionner le milieu. Le nom ? Un titre de film qui contiendra tout ce à quoi elles aspirent : le métissage, la réussite, l’exotisme, la féminité juvénile, la musique, l’identité, le décalage, l’Afrique, l’Inde. Ce pays qu’elle adorait et qui lui a pris la vie.

 

La nuit de Bombay. Michèle Fitoussi. Paris : Fayard, 2014. Coll. Versilio. 338 p.

 

livres 2910145

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.


» Se connecter / S'enregistrer