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mercredi 26 novembre 2014 à 07:01

Du côté de la librairie…

Envie de lire… des histoires qui piquent



 


Envie de lire…

des histoires qui piquent

 

Cette semaine, des pépites toutes neuves, des romans qui grattent, des rééditions qui piquent… Un florilège de lectures françaises de jeunes auteur(e)s ou d’écrivains confirmés qui ne laisseront personne indifférent.

 

 

 

Actualité cinématographique oblige (le film tiré du livre et adapté par Mélanie Laurent vient de sortir en salle), je débuterai cette rubrique par le premier roman d’Anne-Sophie Brasme, jeune écrivaine de 17 ans, qui porte bien son titre : Respire. Que l’on aimerait pouvoir respirer tout au long de cette lecture ! Au départ, une sensation de presque déjà vu, pour ceux qui auraient lu « No et moi » : les sentiments perdus d’une adolescente dite « précoce » qui ne vit qu’au travers d’une amitié. Charlène ne respire que parce que son amie Sarah est là, cette amie qui lui permet d’exister, elle qui se sent inutile, incomprise, moche, sans intérêt. Mais très vite, on cherche à reprendre son souffle tant on la sent partir à la dérive dans cette relation toxique, obsessionnelle, où Sarah se révèle être un bourreau détestable. Respire ! a-t-on envie de crier à la collégienne désespérée ! Arrête cette course contre toi-même… On voudrait la prendre à bras-le-corps, mais on ne peut pas. Personne ne peut vraiment tant l’obsession est grande et la passion irrationnelle. La fatalité de l’issue est là, à la portée de cette enfant grandie trop vite et trop mal. Charlène ne saura pas s’arrêter.

 

Quelle puissance que ce court premier roman ! Anne-Sophie Brasme nous entraîne dans une tragédie inéluctable, entre inconfort et hallucination, à travers une écriture très maîtrisée. Le parcours de Charlène nous plonge dans les affres de cet âge ingrat où, d’un instant à l’autre, une vie peut basculer. A découvrir.

Anne-Sophie Brasme. Respire. Paris : Le livre de poche, 2014. 190 p. 5.10 €

 

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Moins noir mais aussi piquant, j’ai découvert « Pars avec lui », le dernier roman d’Agnès Ledig. A cheval entre l’histoire d’amour, la recherche de soi et la fuite devant le danger, elle donne une jolie leçon de vie : être heureux, c’est regarder où l’on va, non d’où l’on vient. On suivra le parcours de Juliette, infirmière en attente d’enfant, et de Roméo, pompier fracassé par une chute lors d’une intervention. Au fil des jours, ils vont mutuellement se soutenir dans les épreuves et les coups durs, et tisser une relation de respect et de confiance qui va s’avérer vitale pour tous deux. Au contact de la jeune femme, Roméo va revenir à la vie, tandis que Juliette, sous l’emprise d’un homme toxique, va peu à peu perdre pieds. Vanessa, la petite sœur égarée prête à sortir les griffes, Guillaume, le collègue de garde pâtissier dans l’âme, Laurent, le compagnon malsain et humiliant, Malou, la grand-mère amoureuse des Paris-Brest…

 

Autant de personnages accidentés qui vont se croiser, se déchirer ou de construire, et découvrir peu à peu que la vie est faite de respect et d’amour. Toute la délicatesse d’Agnès Ledig transpire dans cette histoire que l’on fait nôtre ; elle a cette écriture qui fait monter une larme, puis la sécher devant l’évidence des sentiments.

Agnès Ledig. Pars avec lui. Paris : Albin Michel, 2014. 360 p. 20 €

 

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Nous arrivons ici dans le royaume de la brûlure, des épines qui déchirent la peau, du roman qui bouscule et que l’on aimerait presque jeter aux orties tant il pique les doigts. Coincée entre une mère touchée par un bec-de-lièvre et strip-teaseuse sur le tard, un père faible et tatoueur, des frères et sœurs affublés de prénoms princiers, Kimberly ne trouve pas sa place de fille dans cette fratrie où les enfants sont tour à tour surinvestis, puis abandonnés à eux-mêmes. Ils grandissent à la va-comme-je-te-pousse, essayant tant bien que mal de survivre à l’absence d’amour parental. Chose à laquelle tous ne parviendront pas. Extrait : « Je veux que des bras se tendent vers la frondaison dansent de l’abricotier ; je veux que le corps de mon frère soit enfin étreint et recueilli; je veux qu’il soit déposé, et que tous pleurent douloureusement la mort de cet enfant qu’ils n’ont vu ni grandir ni souffrir ; ce petit garçon qu’ils n’ont pas aidé à devenir adulte parce qu’eux-mêmes avaient déjà du mal à l’être et parce que leur vie vaine les occupait bien trop pour qu’ils se chargent en plus de cette petite âme fragile ».

 

Kim, petit à petit, va se détruire et se reconstruire, au bras des hommes et des femmes dont elle s’entoure. Au fil des mois, elle découvre le sexe cru qui ne la satisfait pas, l’amour interdit qui la rend heureuse, la perte d’êtres chers qui la brisent, la lecture de Baudelaire qui l’élève. Elle va appendre à survivre à la perte de l’innocence et remettre sa vie dans le bon sens.

 

Sorte d’OVNI, ce livre gratte de partout, tant pas son écriture osée et sans ambages que par les sentiments que l’auteure expriment. Dérangeant parce qu’hors norme, il peut choquer les esprits peu ouverts, et même paraître superficiellement vulgaire. Mais c’est avant tout une confession de vie, un parcours quasi initiatique à travers le labyrinthe d’une adolescence plus très innocente. A ne pas mettre dans toutes les mains, quoique…

Emmanuelle Bayamack-Tam. Si tout n’a pas péri avec mon innocence. Paris : Folio, 2014. 367 p.

 

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Pour continuer sur une note plus légère, partons à la découverte de la « Poule D »… Le titre pourrait suggérer une histoire toute rose de filles. C’est presque le contraire ! Mina a trente-deux ans, prof de collège, et veut reprendre le sport. Elle jette son dévolu sur un club de foot féminin qui vient de voir le jour en banlieue parisienne. Chaque vendredi soir, elle quitte son établissement pour apprendre les gestes et les techniques d’un sport qu’elle ne connait que par les livres et les matchs à la télé. Avec une quinzaine de filles d’âges, d’origines et de milieux professionnels différents, elle dispute des matchs entre clubs du Val-de-Marne. Semaine après semaine, elle découvre que la part de rêve, d’idéal footbalistique, cache une autre réalité moins brillante : les stades sans public, le matériel vétuste, la fantaisie des entraîneurs, les rivalités puériles, les défaites à répétition, la concurrence féroce et la souffrance physique.

 

Et bien j’avoue qu’en tant que fille, sœur et tante de footballeurs invétérés, et (volontairement !) réfractaire à tout ce qui touche de près ou de loin à cet « art collectif », Poule D m’a fait me prendre au jeu du ballon rond ! L’humour de Yamina Benhamed Daho a fini par me faire lire (et comprendre) la règle du hors-jeu, et même celle de la touche ! Un petit roman joyeux, rafraichissant et incisif sur ce monde qui a du mal à accepter les femmes. A conseiller aux hommes pour qu’ils découvrent leur sport favori autrement !

 

Yamina Benhamed Daho. Poule D. Paris : Gallimard, 2014. Coll. L’Arbalète. 127 p. 15.90 €

 

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Pour terminer, une réédition de l’ouvrage de Laurent Gaudé qui va piquer un peu. A La Nouvelle-Orléans, alors qu’une terrible tempête est annoncée, la plupart des habitants fuient la ville. Ceux qui n’ont pu partir devront subir la fureur du ciel. Rendue à sa violence primordiale, la nature se déchaîne et confronte chacun à sa vérité intime : que reste-t-il en effet d’un homme au milieu du chaos, quand tout repère social ou moral s’est dissous dans la peur ? Seul dans sa voiture, Keanu fonce vers les quartiers dévastés, au cœur de la tourmente, en quête de Rose, qu’il a laissée derrière lui six ans plus tôt et qu’il doit retrouver pour, peut-être, donner un sens à son existence… Josephine Linc. Steelson, vieille négresse à la voix voilée, revient comme une prêtresse qui narrerait cette catastrophe qu’elle a senti arriver et qu’elle attend comme une force rédemptrice, révélatrice de l’âme des hommes.

 

C’est dans ce décor au bord au bord de l’apocalypse que l’on découvre la dizaine de personnes de Laurent Gaudé. On y découvrira la bravoure de certains, les prémonitions des autres, la fidélité et l’amour qui surpassent la catastrophe et l’horreur de cette tragédie. L’écriture, très dense, nous livre une leçon de courage et d’humilité quand on se retrouve face à des éléments que plus personne de maîtrise : que ce soient ceux de la nature ou ceux de l’âme. Un joli livre pour découvrir cet auteur, dont les œuvres sont traduites dans le monde entier et qui a reçu le Goncourt 2004 pour le « Soleil des Scorta ».

 

Laurent Gaudé. Ouragan. Paris : J’ai lu, 2014. 157 p. 5.50 €

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Véronique Décrenisse-Kieny

 






 

 

 

 



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