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dimanche 15 janvier 2017 à 17:24

Hommage

A Marcel BAUDOT, dit "Lélette", dernier déporté-résistant de BLANZY



Le texte-hommage que va lire M. André Quincy, maire honoraire de Blanzy, lors des obsèques au dernier déporté-résistant de BLANZY : Marcel BAUDOT, dit « Lélette ».

 

Un hommage dans lequel il retrace la vie de celui qu’il qualifie de « héros ordinaire au parcours exceptionnel » mais qui, pour nous, est un héros « tout court ».

 

Un texte fort et surtout écrit par un ami, lu lors des obsèques le mardi 17 janvier prochain  à la Salle Guillaume Apollinaire.

 

Jugez-en plutôt par vous même :

 

« Mon cher Lélette,

 

Permets-moi encore une fois de t’appeler comme on t’a toujours appelé depuis ton enfance.

 

 

Avant de nous quitter, au terme de ton voyage sur terre, c’est à toi que je vais m’adresser une deuxième fois en présence de ta famille, en présence de tes enfants Sylviane, Roger et Mireille, en présence de tes nombreux amis et camarades du Comité Mémoire et Fraternité, du Comité de la Légion d’Honneur du Creusot/Montceau-les-Mines, de l’Union Fédérale des Anciens Combattants de Blanzy- Marigny – Les Bizots, des médaillés militaires, des familles des anciens déportés de la FNDIRP, de l’ANACR. Je les remercie toutes et tous d’avoir accepté de s’associer à l’Hommage que nous avons souhaité te rendre, toi qui es le dernier déporté-résistant de Blanzy.

 

C’est à la demande de tes enfants que j’ai accepté d’évoquer ton parcours exceptionnel que ta modestie nous dissimulait bien souvent. Tu ne livrais pas aisément les souvenirs terribles enfouis au plus profond de toi…je m’acquitterai donc de cette mission chargée pour moi d’une intense émotion, même si tu me désapprouves là où tu es, si tu nous vois….

 

C’est avec une grande tristesse que j’ai appris par tes enfants que tu venais de rendre le dernier soupir pendant ton sommeil, mardi 10 janvier en début de matinée à l’EHPAD Villa Victor Hugo au Creusot, malgré les soins attentifs dont tu étais l’objet de la part du personnel de cet établissement, un peu comme une bougie qui s’éteint au bout de sa capacité à diffuser la lumière, après un long parcours de presque 92 années, un parcours dont je vais essayer d’évoquer maintenant les principales étapes émaillées de quelques anecdotes.

 

Lélette, tu es né le 27 février 1925 à Blanzy, le 5ème d’une famille de 6 enfants et tu as passé ta jeunesse dans le quartier des Petits Souliers bien connu des Blanzynois.

 

Tu fréquentes l’Ecole communale de garçons jusqu’au certificat d’études, que tu obtiens brillamment, et à cette époque le certificat d’études, c’était un diplôme important qui permettait d’accéder à de nombreuses professions, à la fonction publique notamment dans divers postes, gendarmes, facteur, etc…

 

1940 – La France est occupée, Blanzy est occupé par les Allemands.

 

Ton premier acte de résistance c’est de dérober l’avoine destinée aux chevaux ce l’occupant pour nourrir les poules de ta grand-mère.

 

A 14 ans, tu entres comme apprenti boucher chez BOIVIN à Blanzy, une autre famille de Blanzy bien connue. Tu y resteras un an avant d’être embauché aux Mines de Blanzy le 20 janvier 1940 jusqu’au 3 décembre 1943. Comme un certain nombre de jeunes français tu n’acceptes pas de vivre sous le joug nazi et tu rejoins avec Pierre DUT, Marcel GUEUGNEAU et Marcel BOYER le maquis de Saint Gengoux le National commandé par le Capitaine DRILLIEN. Cantonné dans le bois de Sigy tu reviens début mai 1944 pour quelques jours de permission clandestine à Blanzy. A cette époque, la Gestapo, la gendarmerie et la Police de Vichy font une chasse impitoyable aux maquisards, souvent aidés par les délations de la part de nos compatriotes collaborateurs et tu en es une des victimes puisque tu es arrêté le 12 mai 1944 par la Police de Vichy à Dijon placée sous les ordres du sinistre commissaire Marsac. Tu es interné à la prison de Chalon-sur-Saône, puis à la citadelle de Besançon que tu quitteras pour l’Allemagne le 24 juin 1944 par le convoi 1232 en compagnie de plusieurs camarades, comme Roger Pindon qui vient lui aussi de nous quitter il y a quelques jours, et auquel je tiens aussi à rendre hommage aujourd’hui, en compagnie aussi de Marcel Gueugneau et du grand-père de notre ami Georges Nourry qui eux, malheureusement ne revinrent pas de l’enfer concentrationnaire. Ce convoi emportait vers l’Allemagne 255 maquisards et résistants, jusqu’à leur destination, le sinistre camp de Dachau où ils arrivèrent le 26 juin 1944. Seuls 99 revinrent en France.

 

Lélette, comme tes camarades, tu vas connaître l’horreur du camp de concentration, tu vas subir les pires sévices, les pires traitements, la malnutrition, la déshumanisation, tu deviendras un « stück » qu’on appelle plus par son nom, par un numéro, le matricule 74 809 qu’il fallait apprendre à dire en allemand… la moindre erreur et c’était la bastonnade au minimum…

 

Tu es ensuite détaché au commando de Flossenburg, puis de Hersbrück, pour rejoindre enfin, suite à la progression des troupes alliées, le camp de Dachau, au cours d’une terrible marche de la mort où le moindre signe de faiblesse était sanctionné par une balle dans la nuque. A chaque survol des avions alliés, SS et déportés se couchaient dans les champs avoisinants. C’est au cours de ces raids que tu as raconté, avec l’humour que l’on te connaissait, comment tu as appris à tes camarades russes à se nourrir avec les pissenlits qui se trouvaient là.

 

Enfin arrive l’heure de la délivrance, la fin de la nuit. Tu es libéré avec tes camarades survivants le 29 avril 1945 par les troupes américaines et rapatrié en France le 27 mai 1945 par les troupes françaises. Le temps de reprendre quelques forces et moins de deux mois plus tard, le 18 août 1945 tu retournes travailler à la mine, à l’Ouche à Blanzy, une annexe du puits Saint Louis, puis au puits Saint Amédée pour finir ta carrière à Rozelay en 1975. Pendant toutes ses années, tu es resté un homme engagé, fidèle aux valeurs de la résistance et à l’héritage du CNR (Conseil National de la résistance), tu es resté un militant syndical dans les rangs de la CGT épris de justice sociale. Tu es resté jusqu’à ta mort et pendant plus de 70 ans porteur de la carte de la CGT. A 70 ans passés tu n’hésitais pas à monter à Paris pour manifester aux côtés de tes camarades… un record difficile à égaler.

 

Deux ans après ton retour de déportation tu épousais Léonie Lalouel, qui allait rester le femme de ta vie pendant 66 ans. De votre union sont nés deux enfants Roger et Sylviane.

 

Lorsque l’heure de la retraite a sonné, tu n’es jamais resté inactif, partageant ton temps entre le jardin, la pêche, les innombrables parties de pétanque au stade et de nombreux voyages avec Léonie en France et à travers le monde.

 

Avec ton sourire que rien ne pouvait altérer, tu étais heureux de vivre, tu aimais siffler dès ton réveil, ce qui ne pouvait échapper à tes voisins.
Pour tes engagements, notamment aux heures les plus sombres de la seconde guerre mondiale, tu as reçu l’hommage de la nation avec la croix de guerre 39/45 avec palme, la croix du Combattant volontaire de la résistance, la médaille militaire en 1980.

 

Enfin, en 1986, tu as été élevé au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur.

 

Je me souviens (j’étais alors maire de Blanzy) du jour où Henri Suchenski, ancien déporté, et Président de la section montcelienne de la FNDIRP t’a remis cette haute distinction, à la Maison des Sociétés. Lors de mon discours à cette occasion je disais de toi : « Derrière un sourire tranquille se cachent la modestie et l’âme d’un héros généreux et noble qui a donné le meilleur de lui même pour la cause de la Liberté et de la paix »

 

Tu as toujours milité pour la fraternité du monde combattant, tu as toujours été présent à mes côtés au Comité de Liaison Mémoire et Fraternité, notamment chaque année, le dernier dimanche d’Avril pour la Journée Nationale de la Déportation. Après la disparition en 2013 de ton camarade et ami André Carrion, c’est toi qui a encore déposé la gerbe au monument aux morts le 27 avril 2014…

 

En 2008, la santé de Léonie se dégradant, vous vous êtes installés à Jean Rostand. Après le décès de ton épouse en 2013, tu as été admis à la Villa Victor Hugo au Creusot.

 

Voilà, sans doute avec beaucoup d’oublis ton parcours, mon cher Lélette, le parcours exceptionnel d’un héros ordinaire.

 

Nous garderons de toi le souvenir d’un personnage très attachant, le souvenir d’un ami simple et discret. Derrière ton éternel sourire, ton humeur toujours égale, derrière ton apparente bonhomie, se cachait un personnage sensible, qui n’a jamais perdu sa foi en l’homme, ta foi en la réconciliation franco-allemande, malgré les terribles épreuves que tu as traversées. Nous garderons de toi le souvenir d’un homme engagé, au caractère bien trempé, qui est resté fidèle aux valeurs de la résistance, à la justice sociale, à la fraternité entre tous les hommes de bonne volonté.

 

A tes enfants, à ta famille nous adressons nos très sincères condoléances et notre affectueux soutien.

 

Mon cher Lélette, voici venu le moment de nous quitter, mais quitter n’est sans doute pas le mot juste parce que tu continueras de vivre dans nos mémoires et dans nos cœurs. Repose en paix.

 

Adieu Lélette. »

 

 

André QUINCY

 

 

 


Baudot 15 01 17

 

 

 

 



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