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mercredi 4 mars 2015 à 06:41

Musée de la Maison d’Ecole de Montceau-les-Mines

Aujourd’hui : L’ECOLE SOUS VICHY



 

Aujourd’hui :

 

L’ECOLE SOUS VICHY

 

 

 

LE MARECHAL PETAIN ET L’ECOLE :

 

 

« Il faut que l’école s’emploie à former une jeunesse résolue, virile et bien préparée à l’accomplissement de son devoir militaire (..) Cadres scolaires et cadres militaires ont une mission commune : développer la valeur physique, tremper les cœurs, forger les volontés. »

 

 

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Témoignage de satisfaction, 1941 (collection musée)

 

 

A lire ces pensées du Maréchal Pétain, on comprend mieux « l’œuvre scolaire » du Régime de Vichy. Il s’agit de vérifier l’âme de la jeunesse, de cette jeunesse qui porte en elle toutes les promesses de l’avenir, de l’éclairer sur ses devoirs nouveaux et de lui donner la force de les bien remplir. Voici des titres officiels de leçons auxquelles les programmes de 1941 font une place de choix : « La volonté de servir », « La communauté nationale », « Le loyalisme envers le Chef de l’Etat », « La famille, assise de l’édifice social », « L’appel du héros et du saint », « La civilisation chrétienne »…

 

 

 

 

LA CENSURE A L’ECOLE :

 

Le 10 novembre 1940, « par ordre des autorités occupantes, les ouvrages ci-dessous sont interdits à la vente : Brossolette (Histoire, Cours Moyen), Besseige et Lyonnet (Histoire, tous les cours), Lavisse (Histoire, tous les cours), Bernard et Redon (Histoire, tous les cours), Pomot et Besseige (Histoire, tous les cours), Gauthier Deschamps (Histoire, tous les cours), Dumas (Lecture, Cours Moyen et Supérieur). »
Le 5 mars 1942, la Commission d’Etudes des questions de jeunesse se réunit sous la présidence de Gilbert Gidel, Recteur délégué de l’Université de Paris, pour réviser les manuels scolaires dans un sens « éducatif et national ».

 

 

 

LA MAISON D’ECOLE OCCUPEE :

 

De juin 1940 à février 1943, les deux groupes scolaires de Montceau-Centre furent largement occupés par des « batteries » de cavaliers.
Pendant trois ans, les institutrices et les instituteurs ont dû faire classe dans des locaux de fortune, où ils connurent des conditions de travail aussi variées qu’extravagantes.
Les congés annuels étaient suspendus et l’Inspecteur d’Académie rappelait le 7 février 1940 « qu’en temps de guerre il n’y a pas de convenances personnelles, mais seulement des convenances nationales et que tous les fonctionnaires valides doivent assurer leur service sans interruption ». Le personnel primaire était invité à organiser des garderies partout où cela était possible.

 

 

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Photographies de la cour de récréation et du préau de l’école-bâtiment du Musée vers 1942 (collection musée)

 

 

 

 

 

ANNECDOTE :

 

 

En 1941, sur ordre du commandant de la place de Toulon-sur-Arroux, le maire invite la Directrice de l’école et ses élèves à commencer le ramassage des doryphores le 19 juin au matin! Les paysans ayant refusé l’entrée de leurs champs aux enfants, c’est sous la houlette d’une sentinelle allemande armée que se fit la besogne…

 

 

VERS UNE NOUVELLE GUERRE SCOLAIRE :

 

 

La guerre perdue, l’occupation du territoire et la venue au pouvoir de forces réactionnaires ravivent la guerre scolaire. Dès 1940, les écrivains catholiques affirment que si la France est occupée par les nazis et les fascistes, c’est la faute à Voltaire, Rousseau et à Emile Combes et sa « laïcité» :

 

« Ah, si on avait écouté l’Eglise (…) La franc-maçonnerie, à juste titre est frappée. Mais dès le XVIIème siècle les Papes la condamnaient. Les principes de 1789 et les théories sociales de Jean-Jacques Rousseau sont rejetés. Mais le Saint-Père, dès leur apparition avait signalé tout ce qu’ils contenaient de perfide et de périlleux. » Abbé Merklen, La Croix, 2 septembre 1941.
« Nous avons bien des choses à expier… une entreprise de démoralisation officielle, de déchristianisation qui a atteint la vitalité de notre patrie… Trop de blasphèmes et pas assez de prière… Tout cela devait se payer un jour. L’heure est venue de racheter nos péchés dans nos larmes et dans notre sang. » Chanoine Thellier de Poncheville, La Croix, 27 juin 1940.

 

 

Serge Jeanneret, instituteur de tendance nationaliste dénonce « la culpabilité certaine des instituteurs français ». Au nom du C.A.D (Centre d’Action et de Documentation), organe des groupements anti-juifs et anti-maçonniques, Bertrand et Wacogne déclarent que l’école laïque a « dénationalisé » les français, « elle devait en faire des imbéciles, des ignorants, puis des vaincus ». Il faut donc à tout prix empêcher ces mauvais esprits de sévir plus longtemps, la victoire allemande donne l’occasion au Gouvernement de Vichy d’abolir les lois laïques. Il faut « délaïciser » la France, l’action sera double : il y aura l’aide à l’enseignement confessionnel et il y aura les attaques contre l’enseignement laïque. On commencera par épurer l’Université, Langevin et vingt-trois autres « personnalités sont mises hors d’état de nuire, c’est-à-dire d’enseigner.

 

 

 

 

On utilise les lois anti-israélites du 3 octobre 1940, du 3 avril, 11 avril et 2 juin 1941 pour continuer la purge dans les écoles. La loi du 13 août 1940 déclare tous les groupements maçonniques dissous de plein droit et confisque leurs biens, elle est suivie le 30 avril 1941 par la note « Darlan » qui précise la façon dont elle doit être appliquée au personnel de l’Instruction publique, la loi du 11 août 1941 exclut définitivement les israélites et les dignitaires maçonniques de la fonction enseignante comme le fut Bergson qui avait « souillé la Sorbonne ».

 

 

 

 

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Sur le terrain, le contenu des lois est relayé par l’administration locale :

 

– Le 17 juillet 1940 : « Tout fonctionnaire au service de l’Etat et de la justice peut être relevé de ses fonctions par décret ministériel. »
– Le 15 septembre 1940, chaque enseignant reçoit deux modèles de déclarations par lesquelles il doit reconnaître sur l’honneur son appartenance ou non à la Franc-maçonnerie.
– Le 16 juin 1942, une circulaire ministérielle relative au recensement des Juifs est transmise par l’Inspecteur d’Académie Delrieu : « J’ai l’honneur de vous transmettre ci-dessous les précisions données par M. le Commissaire général aux questions juives sur la situation, au regard de la loi du 2 juin 1941, des fonctionnaires, possédant des noms ou des prénoms à consonance hébraïque, ou ayant des ascendants présumés israélites : ces faits constituent à l’égard des intéressés des présomptions d’appartenance à la race juive suffisantes pour qu’il soit dès lors légitime de leur demander d’apporter la preuve qu’ils ne sont pas juifs au regard de la loi. En conséquence, ils doivent être invités et, s’il est nécessaire, mis en demeure d’apporter ces preuves dans un délai très court, et s’ils négligent ou s’ils refusent de se conformer à cette invitation ou à cette mise en demeure, ils doivent être licenciés, sans préjudice de toutes autres sanctions par eux encourues pour le cas où ils auraient également omis de se faire recenser. » (Bulletin de l’Instruction primaire de Saône-et-Loire).

 

Quant à l’Inspecteur primaire de Montceau (M. Révillon de 1941 à 1944, par intérim), il ne fit aucune allusion à cette circulaire lors de ses conférences pédagogiques de 1941 à 1943 (cf. comptes rendus des conférences). Beaucoup d’instituteurs et d’institutrices restèrent fidèles aux idées de paix et de liberté que leur avait enseignées Jean Bouvet, professeur d’histoire aux Ecoles Normales de Mâcon et assassiné chez lui en 1944 par la milice dite française. Seize autres enseignants périrent en Saône-et-Loire, victimes des persécutions allemandes.

 

 

Pour Vichy, les Ecoles Normales sont des « isoloirs intellectuels » et la « malfaisance » de son « enseignement moral de la sociologie » n’est plus à démontrer. La loi du 18 septembre 1940 scelle leur destin dans son article 1 : « Les Ecoles Normales primaires seront supprimées à partir du 8 octobre 1941 ». On balaye d’un revers de main toute l’œuvre accomplie depuis le 9 Brumaire de l’an III, date du décret instituant la première Ecole Normale.

 

 

La loi du 13 décembre 1940 supprime les délégués cantonaux (devenus de nos jours les Délégués Départementaux de l’Education Nationale) qui étaient les garants républicains de l’école. La loi du 15 octobre 1940 (article 8) déclare dissous de plein droit le Syndicat national des Instituteurs, l’article 6 défend de le reconstituer sous peine d’une amende de 500 à 10 000 francs et d’un emprisonnement de 6 mois à 5 ans. Une loi du 17 avril 1942 déclare dissoute la Ligue Française de l’Enseignement créée par Jean Macé et qui est à l’origine de maintes œuvres post et péri-scolaires venant en aide à l’école publique qu’elle a, au demeurant, largement contribué à faire naître. On lui reproche d’être « une puissante organisation laïque qui exploitait les deniers publics, les locaux scolaires ou les élèves au profit presque exclusif de la maçonnerie et de la politique partisane, en combattant uniquement la religion ». Son siège de la rue Récamier sera envahi par des « maréchalistes » violents qui détruiront les archives et brûleront les meubles.

 

 

Reste, pour le régime, à trouver le moyen d’abolir le principe même de laïcité. Impossible de fermer toutes les écoles publiques, l’enseignement privé n’aurait ni assez de maîtres ni assez de locaux pour accueillir la population d’âge scolaire. Par contre, on peut actionner le levier des programmes, Jacques Chevalier, secrétaire général de l’Instruction publique en 1940, reprend la thèse selon laquelle « la notion divine est la seule base possible à la morale ». En conséquence de quoi un arrêté du 23 novembre 1940 prescrit aux instituteurs d’enseigner « les devoirs envers dieu ». La loi du 1er janvier 1941 déclare que « L’instruction religieuse sera comprise , à titre d’enseignement à option, dans les horaires scolaires ». Le 27 janvier 1941, une circulaire de Chevalier fixe à 1 heure 30 par semaine le temps d’enseignement religieux réparti chaque matin avant la classe et que « L’enseignement religieux sera donné par les Ministres du culte de la commune où se trouve l’école ou par leurs délégués ».

 

 

Normalement, ces leçons devraient être données dans les édifices cultuels, mais la circulaire ajoute qu’ « il serait excessif d’interdire absolument à l’enseignement religieux l’accès des locaux scolaires »… Devant la résistance des familles et du corps enseignant, le gouvernement fait marche arrière dans sa loi du 10 mars 1941, l’instruction religieuse sera donnée hors de l’école mais elle restera comprise dans les horaires scolaires et organisée par les Inspecteurs d’Académie, ce qui constitue toujours une atteinte grave à la laïcité. De plus, la pression des acteurs de l’école pousse le gouvernement à supprimer des programmes « les devoirs envers Dieu » par une circulaire du 10 mars 1941 mais ils seront promptement remplacés par « L’appel du héros et du saint.

 

 

 

Les valeurs spirituelles : la patrie, la civilisation chrétienne ». Ces anti-laïcs, qui ne sont pas à un paradoxe près, « l’appel du héros » est une formule de Bergson que leur législation raciste a mis hors la loi et astreint à porter l’étoile jaune… Le « héros », quant à lui, est bien évidemment le Maréchal Pétain, l’homme de Montoire, qui serra la main d’Hitler engageant ainsi un « partenariat » avec le vainqueur. C’est aussi Darnand, élevé aussi titre de « héros » pour l’organisation de la Milice destinée à traquer les patriotes avec la Gestapo.

 

 

 

LA RESISTANCE S’ORGANISE :

 

 

 

Ne pouvant exprimer librement leurs idées, les « laïques » entrent en masse dans la résistance. Ils multiplient les publications clandestines :

 

 

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Documents empruntés à l’« Encyclopédie Générale de l’Education Nationale : l’Ecole Publique » (Tome Second)

 

 

 

 

Dans l’ombre, la Ligue de l’Enseignement se reconstitue, le Syndicat National des Instituteurs rentre dans la clandestinité, ses dirigeants s’organisent : quand Lapierre est arrêté, Rollo le remplace, Rollo tombe, Senèze le remplace.

 

 

 

LE RETOUR DE L’ECOLE PUBLIQUE :

 

 

L’Insurrection Nationale éclate à l’été 1944 à la suite du débarquement. Pétain est remplacé par le gouvernement insurrectionnel que préside le Général de Gaulle. La législation scolaire de Vichy est, de fait, balayée et les membres de l’enseignement révoqués ou suspendus comme « juifs », « francs-maçons » ou « gaullistes » sont réintégrés. Les délégués cantonaux sont rétablis et les Ecoles Normales rouvrent leurs portes. La Fédération de l’Education Nationale et le Syndicat National des Instituteurs reprennent leur place. La Confédération générale des Œuvres Laïques occupe à nouveau son immeuble de la rue Récamier et , lors de son premier congrès, elle reçoit la visite du Chef de l’Etat, le Général de Gaulle qui conclut son discours en ces termes : « Honneur à la Ligue de l’Enseignement ! ».

 

Qu’en sera-t-il des avantages et subventions accordés par Pétain à l’Ecole confessionnelle ? Les batailles politiques qui suivront, montreront que l’Ecole publique ne sortira pas toujours victorieuse des débats… Mais ceci est une autre histoire.

 

 

 

QUELQUES VISAGES DANS LA TOURMENTE :

 

 

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Jean Bouvet :

 

Né à Velleron (Vaucluse) en 1892, il est mort le 28 juin 1944 à Mâcon. Elève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, ses études sont écourtées par le conflit de 1914 auquel il participe.
En 1920, il est nommé professeur d’histoire à l’Ecole Normale de Bonneville, puis aux Ecoles Normales de Mâcon en 1922, jusqu’à leur fermeture par le Gouvernement de Vichy en 1941, date à laquelle il continuera d’enseigner au Collège moderne de garçons. Il est secrétaire fédéral, en 1926, puis président en 1934, de la Fédération départementale de la « Ligue des Droits de l’Homme ». Il a été lâchement assassiné par la Milice de Mâcon en 1944.
Pacifiste, humaniste, poète, ami de Jean Giono, il a marqué de sa rayonnante personnalité des centaines d’institutrices et d’instituteurs de Saône-et-Loire.

 

 

 

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Georges Lapierre :

 

Fondateur de « l’Ecole Libératrice », il mène dès 1940, avec d’autres militants qui assurent les liaisons nécessaires, la reconstitution des syndicats d’enseignants. Arrêté par les allemands, il mourra en déportation.

 

 

 

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Joseph Rollo :

 

Il fut secrétaire général clandestin du Syndicat National des Instituteurs. Arrêté par les allemands, il mourra en déportation.

 

 

 

 

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Jean Zay :

 

Né à Orléans le 6 août 1904. Sa mère était institutrice et son père rédacteur en chef du « Progrès du Loiret ». Il fait de brillantes études grâce à ses qualités littéraires certaines; bachelier en 1923, il écrit en parallèle romans, contes et nouvelles. A 18 ans, il s’inscrit aux « Jeunesses laïques et républicaines », il devient avocat, homme politique radical socialiste puis député en 1932. C’est ainsi qu’il est nommé, en 1936, Ministre de l’Education Nationale du Front Populaire. Il fera, entre autre, voter la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans. Il fut assassiné par des miliciens à Molles, dans l’Allier, en 1944.

 

 

 

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Titus Bartoli :

 

Né en Corse en 1883.
Ancien combattant, médaillé de la croix de guerre 1914-1918.
Instituteur à Digoin (Saône-et-Loire).
Il est arrêté pour diffusion de tracts le 21 juillet 1941.

 

Deux générations de résistants. Guy Môquet, 17 ans, Titus Bartoli, 58 ans. Deux hommes issus d’horizons différents mais que l’horreur de la guerre a uni à jamais dans un destin tragique. En octobre 1941, à Digoin, dans la zone occupée, un instituteur d’origine corse va voir sa vie basculer. Le 21 juillet, Titus Bartoli, militant syndicaliste et secrétaire local de la section du Parti Communiste Français (PCF) jardine tranquillement lorsque les troupes allemandes viennent l’arrêter. Ses activités de résistant vont le conduire au peloton d’exécution.

 

Transféré provisoirement à la maison d’arrêt de Chalon-sur-Saône, l’instituteur est finalement interné à Châteaubriant, en Loire-Atlantique, dans le camp de Choisel avec une centaine d’hommes, d’autres résistants : médecins, professeurs ou élus, la plupart sont membres du PCF.
Le 20 octobre 1941, Karl Hotz, lieutenant-colonel des troupes d’occupation, avait été abattu à Nantes par un commando communiste. L’acte est qualifié de terroriste par les autorités allemandes. Les nazis sont furieux. En représailles, les allemands annoncent l’exécution immédiate d’une cinquantaine d’otages. Deux jours plus tard, ils seront en fait 48 choisis à Châteaubriant, Nantes et Paris.

 

 

Au camp de Choisel, 27 d’entre eux seront conduits à la carrière de la Sablière pour y être fusillés. Tous refuseront d’avoir les yeux bandés et les mains liées. Ils mourront en chantant la Marseillaise. Avant cela, Titus Bartoli gravera ses dernières pensées sur un mur du camp : « Dans quelques minutes peut-être, je ne serai plus. Je meurs avec courage, avec l’espoir que mon idéal triomphera ».

 

 

Patrick PLUCHOT
Président de la Maison d’Ecole
Collection Ecomusée de la CUCM-Musée de France

 

 

 

 

 

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