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jeudi 27 avril 2017 à 06:16

Cercle « Autour de la pensée de Marx » (Montceau-les-Mines)

Capital et transformation de l'humanité



 
« Lors de notre précédente contribution, nous avons vu que différentes études menées aux Etats-Unis, en France et en Allemagne, portant sur l’impact de la numérisation de l’économie sur le marché du travail, prévoyaient que, d’ici 20 ans, la moitié des emplois manuels et intellectuels pourraient disparaître du fait de la montée en puissance de l’intelligence artificielle incarnée dans les ordinateurs et les robots.

 

Cinquième partie – Vers une humanité post-capitaliste ?

 

Il n’existe pas, à notre connaissance, d’études qui montreraient que la destruction serait compensée par la création; par contre on peut noter que les économistes, aujourd’hui, se déchirent sur ce sujet :- Nicolas Bouzou (économiste très médiatisé) dans « Le Grand Refoulement », se risque à prédire que les nouvelles technologies vont créer de la croissance et de l’emploi « comme jamais auparavant » à condition de moins indemniser le chômage, de refonder les contrats de travail pour accroître la flexibilité et favoriser l’embauche, d’en finir avec les 35h…C’est à dire sauver la « destruction créatrice » de Schumpeter (le progrès technique détruit les emplois obsolètes pour en recréer d’autres plus innovants et plus valorisants) par la dégradation de nos conditions de vie…- Daniel Cohen, pour sa part dans « Le monde est clos et le désir infini », estime que le problème vient surtout du fait que le numérique est une révolution industrielle sans croissance alors que la « destruction créatrice » a impérativement besoin de croissance. Cohen en conclu qu’il faudra s’habituer à vivre sans croissance.

 

 

Vivre sans croissance c’est possible…mais pas dans le capitalisme – On peut observer que le thème de la croissance est omniprésent dans le débat économique et que tous les politiques qui gouvernent l’implorent inexorablement. Ils nous renvoient l’image des indiens Cherokees qui dansent pour implorer la pluie. Une croissance molle signale une récession; une croissance nulle ou négative indique une dépression. Ne pas croître, c’est être en crise. Quand la croissance fait défaut, on cherche à la provoquer de multiples façons. Exemple, en France tentative (Crédit Impôt Compétitivité Emploi et Pacte de Responsabilité ) de relance par l’offre pour stimuler la croissance : Cette politique volontariste de privilégier la relance de la croissance par l’offre a finalement échouée. Elle a conduit à amputer le pouvoir d’achat des ménages ( donc leur pouvoir de consommation ), à tasser la demande adressée aux entreprises et à casser la croissance. Au total, de 2012 à 2017, les prélèvements sur les entreprises ont baissé de 14 milliards tandis que ceux sur les ménages ont augmenté de 47 milliards (source : Alternatives économiques, hors-série de février 2017). La croissance sans fin implique de produire pour produire, de consommer pour consommer. Produire pour produire, accumuler pour accumuler constituent justement l’essence même du capitalisme : « c’est en fanatique de la valorisation de la valeur qu’il contraint sans ménagement l’humanité à la production pour la production » ( Marx « Le Capital I »).

 

La croissance est consubstantielle au capitalisme – L’ordre social capitaliste ne peut se passer de la croissance et de l’accumulation à l’échelle élargie. Le capitalisme c’est aussi un système qui a poussé la marchandisation (tout est marchandise) jusqu’à l’extrême, « La première condition de l’accumulation est que le capitaliste ait réussi à vendre ses marchandises et à transformer en capital la majeure partie de l’argent ainsi obtenu » ( Marx « Le Capital I ). Qui dit marchandisation dit production de marchandises à un pôle et vente de ces marchandises à l’autre pôle pour permettre la réalisation du profit et assurer l’accumulation du capital, donc sa pérennité. Dans l’hypothèse où les études prospectives évoquées auparavant s’avéraient exactes, que les robots intelligents (de plus en plus ) viendraient concurrencer massivement le travail des humains et donc expulser ceux ci du marché , que « la destruction créatrice » serait dorénavant obsolète, se poserait alors la question des débouchés. Si les robots sont très efficaces pour améliorer considérablement la productivité ( ils ne sont jamais fatigués, n’ont pas besoin de sommeil réparateur ni de vacances, ils n’ont pas besoin de se nourrir et ils ne revendiquent pas ), ils ne sont pas pour autant des consommateurs. Et les consommateurs ne peuvent être que les humains. Produire pour produire ne sert à rien si à l’autre pôle il n’y a pas de consommateurs ou, tout du moins, pas assez qui possèdent un pouvoir de consommation suffisant. La consommation est au capitalisme ce que la levure chimique est à la pâtisserie, c’est l’élément indispensable qui permet l’élévation.

 

 

Le revenu universel: une idée neuve … vieille de cinq siècles – Ceci nous amène au revenu universel. Nous ne nous intéresserons pas ici au comment, mais au pourquoi. En 1516, dans l’Angleterre d’Henri VIII, Thomas More écrivait « « L’Utopie. Dans cet ouvrage il constatait que : « La principale cause de la misère publique, c’est le nombre excessif des nobles, frelons oisifs qui se nourrissent de la sueur et du travail d’autrui (…) la justice d’Angleterre et de bien d’autres pays ressemble à ces mauvais maîtres qui battent leurs écoliers plutôt que de les instruire. Vous faites souffrir aux voleurs des tourments affreux; ne vaudrait-il pas mieux assurer l’existence à tous les membres de la société, afin que personne ne se trouvât dans la nécessité de voler d’abord et de périr après? ». A cette époque, aristocratie, noblesse et clergé régnaient en maîtres et s’accaparaient toute la richesse produite par les miséreux. Mais la grande misère qui touchait la majorité n’était pas de nature à perturber l’organisation économique sauf par une révolution. Dans le capitalisme, il en va autrement.

 

 

 

Si le système peut s’accommoder d’un niveau de misère (et peut même en tirer profit dans la mesure où ça lui permet de peser sur la rémunération de la force de travail employée ), il ne faut pas que ce niveau soit trop élevé car il lui faut une force de consommation suffisante ( surtout en France où la consommation intérieure pèse beaucoup pour la croissance ) pour trouver des débouchés à sa production. Au cours des cinquante dernières années, la consommation ( fortement soutenue par l’endettement ) a joué un rôle crucial pour assurer la croissance. Aujourd’hui, cela se traduit par un taux d’endettement très élevé ( pour la France : près de 100% du PIB ) et des politiques de désendettement ( austérité ) qui plombent la croissance ( cercle vicieux duquel le capitalisme n’arrive pas à s’extirper ). En France, le chiffre des exclus du marché du travail augmente d’un million tous les cinq ans. Aujourd’hui, cela représente près de 6 millions de personnes auxquelles s’ajoutent 2 millions de grands pauvres. Et cette situation va encore empirer si le « chômage technologique » se concrétise.

 

 

 

Ceux qui prônent le revenu universel sont ceux qui ont intégré l’hypothèse que, désormais, la « destruction créatrice » ne fonctionne plus, que l’arrivée massive des robots intelligents va exclure une population grandissante du marché du travail, que nous allons basculer vers une société de post-salariat. Il s’agit, dès lors, d’assurer un revenu décent, d’existence, social, citoyen, universel. D’autres solutions alternatives sont avancées pour amortir l’impact de la numérisation de l’économie sur l’emploi et les métiers. Par exemple, baisser le temps de travail à 32h permettrait, selon ses promoteurs, de mieux partager le travail, ce qui ferait reculer le chômage et apporterait une considération sociale qu’un revenu automatique ne conférerait pas. Dans cette hypothèse, il faudrait renforcer considérablement la formation afin de permettre à chaque individu de pouvoir intégrer le marché du travail. Le philosophe André Gorz faisait l’analyse que : « nous arrivons au point précis qu’annonçaient les premiers visionnaires de l’après-capitalisme, quand au delà de l’ordre industriel naissant, ils entrevoyaient une société différente du capital et de la marchandise, pour faire apparaître le temps disponible comme mesure de la vraie richesse.

 

 

 

La révolution microélectronique nous entraîne vers tout cela et pourtant nous continuons misérablement d’attendre que l’avenir nous rende le passé, que le capitalisme se relève de son agonie, que l’automatisation procure plus de travail qu’elle n’en supprime… » ( « Les chemins du paradis » ). Rappelons pour conclure ce que disait Marx quand il préfigurait la société post-capitaliste évoquée par André Gorz : « Au lieu du mot d’ordre conservateur : un salaire équitable pour une journée de travail équitable, ils (les ouvriers) doivent inscrire sur leur drapeau le mot d’ordre révolutionnaire : abolition du salariat » (« Salaire, prix et profit »). Et dans « Le Capital III » : « En fait, le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l’extérieur; il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de production matérielle proprement dite ». »

 

 

 

A suivre… Jacky JORDERY, Serge ROIGT, Bruno SILLA – Montceau-les-Mines, le 26 avril 2017

 

 

 

 

 

 

bruno 2704172

 

 

 

 

 

 



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2 commentaires sur “Cercle « Autour de la pensée de Marx » (Montceau-les-Mines)”

  1. Daniel Z dit :

    Merci pour ces analyses très argumentées.

    Mais au final, concrètement, que sont devenus les régimes qui ont tenté de mettre en œuvre les idées que vous mettez en exergue ?

    Amitiés

  2. sillabruno dit :

    Bonjour Daniel Z,
    Jusqu’à preuve du contraire, nous n’avons jamais mis en exergue des régimes quel qu’ils soient. Certes, il serait intéressant d’analyser historiquement les régimes se réclamant du « marxisme ». Mais au juste, même Marx ne se définissait pas un « marxiste ». Alors…
    Amitiés