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mercredi 20 janvier 2016 à 06:05

Michel Tournier est retourné à la nature avec Vendredi

Le météore est retourné dans les limbes des aulnes.



 

« Si les coquins savaient tous les avantages de la vertu, ils deviendraient vertueux par coquinerie. » Vendredi ou les limbes du Pacifique.

 

 

Il disait simplement, comme il écrivait ; « Un grand auteur est celui dont on entend et reconnaît la voix dès qu’on ouvre l’un de ses livres. Il a réussi à fondre la parole et l’écriture. » Et, lui, Michel Tournier avait synthétisé la parole et l’écriture, réalisé la symbiose entre l’œil et la plume, la voix et l’écoute.” C’était un grand auteur, un prix Nobel en puissance, un artisan de l’image et du son, du mot et du chant.

 

 

 

Tout son œuvre le décrit, se nourrit de lui et ses personnages sont aussi des avatars de l’écrivain. C’est un ogre qui dévore les mots, les situations, les vies rêvées, les destins hors du commun. Lisez « le vent paraclet » où il analyse, fait l’exégèse de l’acte créatif, chez lui et au travers de la vision des philosophes. On peut se poser la question est ce que comme Robinson il est hanté par « la peur de perdre l’esprit » ? Il n’en n’a jamais manqué pourtant.

 

 

 

Il fait dire, dans le roi des aulnes, à un garagiste (Abel Tiffauges) qui rêve d’accomplir un grandiose destin « Ma vie fourmille de coïncidences inexplicables dont j’ai pris mon parti comme d’autant de petits rappels à l’ordre. Ce n’est rien, c’est le destin qui veille et qui entend que je n’oublie pas sa présence invisible mais inéluctable. »

 

 

Et des coïncidences il y en a dans la vie de Michel Tournier, en fait des carrefours qui lui ont fait prendre des voies jamais attendues.

 

 

Par sa mère il a du sang bourguignon, par son père il est à la fois ch ’ti et charentais. C’est un drôle de mélange qui dans l’histoire et surtout dans celle de la guerre de cent ans le porterait normalement plus vers les Anglois, mais non, lui comme son père fut attiré par les germains.

 

Son père, un héros de 14/18, une « gueule cassée », était un « germaniste » de haut niveau qui a renoncé à l’enseignement.
Lui aussi, Michel Tournier est devenu un germaniste, traducteur d’Erich Maria Remarque, entre autre.

 

 

En 1941, Michel Tournier et sa famille sont chassés, par les Allemands, de leur maison de Saint-Germain-en-Laye. De 1945 à 1949 Michel suit les cours de philosophie de l’université de Tübingen, il veut devenir agrégé de philosophie et professeur, puis comme son père il finit par renoncer à l’enseignement. en 1950.

 

Son père a contribué à créer la SACEM, le Bureau international des éditions musico-mécaniques. Lui ne crée rien de semblable mais il travaille pour les éditions Plon et pour l’ORTF et Europe 1, puis anime une émission télévisée mensuelle intitulée Chambre noire sur la photographie. Un éclectique passionné de savoir, de connaissance et de l’humain, de cliché photographiques mais pas de clichés littéraires.

 

 

« Je sais maintenant que chaque homme porte en lui – et comme au-dessus de lui – un fragile et complexe échafaudage d’habitudes, réponses, réflexes, mécanismes, préoccupations, rêves et implications qui s’est formé et continue à se transformer par les attouchements perpétuels de ses semblables. »

 

 

Avec « Vendredi ou les limbes du pacifique » et surtout ensuite le « Roi des Aulnes » il a trouvé la reconnaissance et la célébrité. Dans la fin des années 60 et le début des années 70, il est « L’auteur ».

 

Tout au cours de sa longue carrière il n’a en fait écrit que 9 romans. A côté de cela sa bibliographie est riche de 6 recueils de nouvelles et de contes, de 18 essais, de nombreux articles et des préfaces.

 

Il fut controversé pour certaines de ses déclarations sur la polysexualité. Robinson devient le fœtus de la terre pendant sa « période tellurique » ou il ensemence l’ile qui enfante des mandragores, pendant sa « période végétale ».

 

 

Il le fut encore plus lorsque le 12 septembre 1986 dans un article du Nouvel Observateur intitulé « pour en finir avec la famine et l’avortement », il parla de l’avortement comme d’un crime abject qui mériterait que l’on rétablisse la peine de mort pour ces auteurs, ces médecins qui bafouent leur vocation de sauveur de vie.

 

 

Mais comme le chante Brassens « les morts sont tous des braves types.

 

 

Et en fait Michel Tournier est un ré-écrivain, un compagnon du tour de littérature et de mythologie. Il reprend les mythes, les transcende autour de thèmes récurrents dans son œuvre : la sensualité, la sexualité et ses « enrochements » humains, les parcours de vie, le bien et le mal rapportés à la notion de civilisation ou à l’état de nature. Il est l’écrivain de la fascination de l’extrême et les extrêmes, de l’altérité et de l’ambiguïté du double, de l’élévation de l’être et de sa chute, du déterminisme sexuel et de l’androgynie.

 

Là aussi la critique lui a fait reproche de ses élans littéraires troubles « Me repousser aux confins de la vie, dans un lieu suspendu entre ciel et enfers, dans les limbes en somme… Plus près de la mort qu’aucun autre homme, je suis du même coup plus près des sources mêmes de la sexualité. »

 

 

Le personnage du roi des aulnes est un ogre en qui certains ont vu plus qu’il n’y parait surtout la fascination pour les enfants et le portage des enfants

 

Rappelons-nous le début du poème de Goethe, « le roi des aulnes » :

 

« Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ? / C’est le père avec son enfant / Il serre le jeune garçon dans ses bras / Il le tient au chaud, il le protège. »

 

 

Michel Tournier en dit : « “Si on définit l’intelligence comme la faculté d’apprendre des choses nouvelles, de trouver des solutions à des problèmes se présentant pour la première fois, qui donc est plus intelligent que l’enfant ?”

 

 

Mais ses personnages ne sont pas que des avatars ou des relectures de figures célèbres. Ils ont leur vie propre même s’ils revêtent les habits et frusques de Robinson Crusoé, des rois mages, de Jeanne d’Arc, de Gilles de Rais, de Barbe Bleue, de Moise, de Castor et Pollux…

 

Et puis il y a Idriss du roman fantastique « La Goutte d’or » paru en 1985. Une photo prise par une touriste a privé ce jeune Berbère de son âme, il est venu la rechercher en France et il aboutit dans le quartier de la Goutte d’or à Paris. Dans nos temps troublés il peut être bon de relire ce livre qui traite du choc des cultures et du racisme ordinaire.

 

 

Décidément Brassens avait raison : « les morts sont tous des braves types.

 

 

Son œuvre est profonde, jamais politiquement correcte et surtout jamais plate. Il creuse, il creuse, fouille les esprits et les reins de l’humanité, et surtout il ne concède jamais rien. Il se veut dérangeant, provocateur, humain et sensuel.

 

Et toujours il est sur le fil, sur la corde raide, à cheval entre un monde imaginaire et un implacable pragmatisme d’un quotidien aussi poétique que trivial.

 

 

Il a traduit son appétit de compréhension et sa faim de plénitude par deux phrases très parlantes : « Ce qui complique tout, c’est que ce qui n’existe pas s’acharne à faire croire le contraire. », « Riz : trois lettres, comme dans le mot blé, mais entre ces deux nourritures fondamentales, il y a la distance de deux groupes de civilisations. »

 

 

Il a consacré beaucoup de temps à dialoguer avec les jeunes, à les rencontrer, à faire connaître et comprendre son œuvre.

Paradoxalement il ne fut pas récompensé à la hauteur de ce qu’il a été traduit et lu (plusieurs millions d’exemplaires) dans le monde entier. Il fut adapté au cinéma (le roi des aulnes) et à la télévision (la goutte d’or). Il reçut le grand prix du roman de l’Académie française pour « Vendredi ou les limbes du pacifique » et le prix Goncourt pour « le Roi des Aulnes ».

 

On ne s’est pas trop foulé pour quelqu’un qui a travaillé chez Plon, aux éditions Gallimard entre autres.

 

 

Enfin bref, ça vous enrichit de le lire… faites en l’expérience si ce n’est pas déjà fait.

 

 

Gilles Desnoix

 

 

 

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