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vendredi 24 novembre 2017 à 06:21

TRIBUNAL : Comparution immédiate Montceau

Un élève de l’Ecole de la Deuxième Chance « pète les plombs »…



 

 

 

 

Alex P., 21 ans, avait intégré « L’école de la 2ème chance » située à Montceau-les-Mines dans les locaux de l’AFPA. Coupable de dégradation dans les locaux de l’école les 15 et 20 novembre, il a été arrêté.

 

 

Comme il est déjà en sursis mis à l’épreuve, le parquet décide de le faire comparaître ce jeudi 23, et au sortir de l’audience de comparution immédiate, on se demande à quel moment de sa courte existence il a bien pu avoir une 1ère chance.

 

Les faits

 

 

Déjà condamné en 2015 puis en 2016 pour des vols, à des peines de prison intégralement assorties de sursis mis à l’épreuve, Alex est suivi par le service pénitentiaire d’insertion et de probation depuis 2 ans, et en principe jusqu’à décembre 2018. Dans le cadre de ses obligations il doit se former ou travailler, c’est ainsi qu’il intègre cette école, et y fait des stages professionnels qui se sont tous bien déroulés.

 

 

Mais depuis un mois Alex va nettement moins bien. Il dit qu’il a fini par crouler sous les soucis d’argent (dettes, amendes SNCF, autres) et il s’aperçoit, le 15 novembre, que son indemnité de formation est amputée de plus de 200 euros. Il n’a reçu que 100 euros pour vivre. Il vit « sur les nerfs constamment depuis un mois », il pète un câble. Il file à son école. Du box, il fait le récit détaillé du déroulé des 2 scènes. Le 15 novembre, il veut se réfugier dans une salle vide, « être seul », et travailler, mais sa référente pédagogique veut lui parler. « Je veux rester tranquille, je le lui dis, mais elle insiste, avec un petit sourire narquois dans les yeux, vous voyez ? Je lui dis, ‘vous voulez que je casse quelque chose ?’, alors je casse quelque chose. Mais elle continuait de me parler, je lui dis d’arrêter, et elle continuait, j’ai mis un bon kick dans un écran plat, ça ne lui a pas suffi, elle continuait ! Je pars en salle de repos, et là c’est monsieur S. qui vient. Vous n’avez pas compris ? Et je casse la borne (une borne des métiers informatisée, un outil de travail qui coûte 8000 euros, ndla). Un deuxième formateur arrive et me dit de sortir, pour mon bien, mais avant ils m’ont donné à manger, un plat créole. J’avais faim. »

 

Alex est convoqué le surlendemain chez la directrice : « Elle parle, elle parle, pendant une heure, pour me dire que j’étais viré. Elle veut que je voie un médecin, un psychiatre. Elle prend rendez-vous le lundi, elle me dit ‘me faites pas de plan’, je viendrai avec vous. Le lundi je me lève à 8 heures, je prends le bus, et elle est pas là ! Et elle me prévient même pas ! C’est elle qui me fait un plan ! Alors j’appelle l’école et je m’énerve, je lui dis de me sortir 10 euros, j’avais faim. »

 

Et c’est la 2ème scène. Le jeune homme effraie tout le monde. Les portes sont bouclées, il crie, il insulte violemment, réclame les 10 euros. On évacue les élèves par une porte de secours. La police arrive, Alex finit par sortir de l’enceinte. Les policiers découvrent des dégâts matériels à l’étage, ils appellent des renforts, la BAC cueille Alex sans difficulté aux abords.

 

« J’avais commencé à me mettre bien »

 

« Quand on me dit noir, ça peut pas être blanc derrière. » Alex va répéter cette phrase plusieurs fois au cours de l’audience. Et s’il lui est arrivé de regretter certains de ses actes par le passé, aujourd’hui il ne regrette rien : « Moi, quand on me dit les choses une fois, je comprends, mais elle, je lui dis 5 fois et elle n’écoute pas. Moi je suis un être humain, pas une machine. »

 

Alex a grandi chez sa mère jusqu’à ses 7 ans, puis il est interné en hôpital psychiatrique jusqu’à ses 9 ans. Le jeune homme prend le relai de la présidente pour raconter, d’un ton égal : « Les services sociaux ont retrouvé mon père, parce qu’on a le même nom, et mon père, il avait déjà été adopté, alors il n’a pas voulu que je suive la même voie, et il m’a pris avec lui. Je suis resté chez lui jusqu’à mes 13 ans, l’âge où on peut parler au juge. Mon père me frappait depuis presque 4 ans, j’ai dit au juge que je voulais retourner chez ma mère. Elle m’a gardé 4 mois, puis m’a placé en internat. A 18 ans, elle m’a mis dehors. J’ai vécu à la rue 1 an, je dormais parfois dehors, sur des cartons. Un soir je me suis dit faut bouger, une amie m’a hébergé pendant 7 mois. Et en juin 2017 je suis entré au foyer des jeunes travailleurs, et j’étais en formation à l’école. J’avais commencé à me mettre bien. Voilà, j’ai tout dit. »

 

« Depuis que je suis tout petit, j’ai l’impression que dans ma tête on est plein »

 

Alex commençait donc « à se mettre bien », et puis voilà, comparution immédiate. Il ne regrette rien dit-il, parce qu’il trouve insensé que des adultes puissent, pour l’une, ne pas écouter quand on lui demande la paix, et, pour l’autre, faire défection alors qu’on a engagé sa parole. Alex n’est pas en état de prendre autre chose en considération, il ne peut pas. D’ailleurs nul mieux que lui ne peut dire aussi clairement ce qui se passe en lui, quand il pète les plombs, et on en reste bouleversé : « Depuis que je suis tout petit, j’ai l’impression que dans ma tête on est plein, on est nombreux. Mais c’est moi le chef ! Quand ça ne va pas, le chef disparaît, et je deviens violent, et quand c’est fini je suis fatigué, je vais dormir, et j’ai des trous noirs, je ne me rappelle pas de tout. »

 

« Le CSAPA, ça sert à rien »

 

En matière de soins, le tribunal qui l’a précédemment condamné lui avait fait obligation de soigner son addiction au cannabis. Il consomme depuis longtemps, et beaucoup. Il va consciencieusement à ses rendez-vous au CSAPA (centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie) : « Je le dis, ça sert à rien. » Le tribunal n’aime guère entendre ce genre de point de vue, pourtant Alex insiste : « Pour moi, les soins, c’est aller dans un bureau et parler avec un infirmier qui me demande où j’en suis de ma consommation. Alors, ça sert à rien, je fume un joint avant d’y aller, et j’en fume un en sortant. » Il s’en était ouvert à son CPIP, visiblement Alex a accroché à ce lien-là.

 

Parmi tout ce qui peut pousser à se droguer, avoir du monde dans sa tête et une enfance privée d’enfance restent d’assez bonnes raisons de rechercher le soulagement, voire l’anesthésie : « J’ai touché à beaucoup de drogues, madame. Je me suis même piqué avec du Skenan 4 fois par jour à un moment, mais j’ai arrêté, vous verriez dans quel état ça me mettait. » Le Skenan, morphine concentrée réservée aux douleurs sévères est aussi utilisé comme « drogue de rue », elle est alors injectée ou sniffée. Alex débite ces choses d’une violence extrême sur un ton égal : les extrêmes des souffrances possibles, il connaît, les souffrances des abandons affectifs, il connaît, l’internement à 7 ans, il a connu, être frappé par celui dont il porte le nom, il a connu aussi, alors il vient dire les cruautés qu’il a pu s’infliger, juste pour faire ressentir à celui qui l’écoute, combien il en vu et vécu, du haut de ses 21 ans. Dans ce contexte, l’épisode de dégradations et d’insultes à l’école de la 2ème chance n’est qu’un épisode relatif : « J’ai fait de la merde, je vais être puni. »

 

« Il a besoin de soins »

 

Comme il a un sursis au-dessus de la tête CPIP et JAP pensent qu’il faut en révoquer une partie : le suivi mise à l’épreuve est un contrat, ne pas respecter le contrat, c’est encourir l’incarcération. Le parquet requiert une peine de prison ferme (12 mois) et informe le tribunal qu’Alex purge d’ores et déjà une peine de 2 mois prononcée antérieurement et mise à exécution à l’occasion de son placement en détention provisoire cette semaine. Maître Sarrah Bouflija cite le CPIP qui écrit « il a besoin de soins ». L’évidence mord tant elle est vive, mais elle n’avait pas encore atteint des magistrats jusqu’à ce jour.

 

Au moins 9000 euros de préjudice matériel pour l’école

 

La directrice de l’école et la référente pédagogique, cibles des violentes colères d’Alex, sont absentes, choquées. Elles voudraient se constituer parties civiles et avoir le temps de chiffrer leurs préjudices mais ça ne sera pas possible. C’est Bruno Lombard, vice-président de la Ligue de l’enseignement de Bourgogne Franche Comté, employeur de cette belle école de la 2ème chance qui communiquera les justificatifs des dégâts matériels (environ 9000 euros), le tribunal statuera plus tard sur ce point.

 

Bruno Lombard nous dit que le personnel de l’école est bouleversé par ces incidents, et prêt à se mettre en grève si Alex devait ressortir libre de l’audience. Mais la vie habituelle pourra reprendre à la 2ème chance, car le coupable purge déjà une peine de 2 mois, à laquelle viennent s’ajouter 4 mois de prison et 3 mois de révocation de sursis, il est maintenu bien sûr en détention.

 

Des soins psychiatriques

 

Le tribunal a entendu la nécessité de soins spécialisés, sur les 10 mois dont 4 fermes, 6 sont assortis d’un nouveau suivi mis à l’épreuve de 2 ans, avec obligation de soins « psychologiques et psychiatriques », et puis travailler et indemniser l’école.

 

Le garçon compte sur ses doigts, finit par demander à la juge combien ça fait exactement, elle lui répond, il la remercie. Il est calme. « Il va falloir cette fois-ci que vous adhériez aux soins, et pas seulement rendre visite à l’infirmier en disant oui-oui, et en continuant sur la même voie. » Alex se lève, il déplie son long corps, puis se courbe vers le micro : « Au-revoir, et merci. » Aucune ironie dans le ton de sa voix. Quand c’est encore lui le chef dans sa tête, Alex sait être poli.

 

Florence Saint-Arroman

 

 

tribunal 2208172



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