Comparution immédiate (Tribunal de Chalon)
... venu du bout du monde, passé par Montceau, il "atterrit" à Varennes !
On connaît l’expression « aller à Tataouine » pour dire « aller se perdre au bout du monde », mais lui, il en vient, il est né à Tataouine, et il est venu à Montceau avec ses parents.
Quand on vient de Tataouine, est-ce qu’arriver à Montceau c’est aller se perdre à l’autre bout du monde ? Oui, et non. Oui parce que Lofti X passait en comparution immédiate ce jeudi 1er mars et qu’il est désormais incarcéré, non, parce que sa vie est ici, qu’il n’a pas besoin d’interprète, que sa chérie est dans la salle, qu’il avait ouvert une pizzeria, que sa famille est là. Dans la salle, son père et son frère, soit quatre yeux noirs et deux fronts plissés tournés vers lui.
Ce mercredi 28 février, une patrouille du commissariat de Montceau contrôle un conducteur, parce que sa plaque d’immatriculation avant est détériorée. Le conducteur s’arrête, il n’a pas de papiers à présenter, et donne un nom, celui de son frère. Au cours d’une palpation de sécurité, un policier trouve une pochette plastique contenant une carte de séjour au nom de Lofti X. Qu’à cela ne tienne, un autre équipage tourne, qui connaît Lofti X, les collègues le font venir, histoire d’en avoir très rapidement le cœur net. Là-dessus Lofti, 23 ans, récupère sa carte, et s’enfuit. « Mais où pensait-il aller avec un équipage de policiers aux fesses ? » fait mine d’interroger maître Diry, l’avocat de ce jeune homme au comportement « ni fait ni à faire ».
Lofti ne pensait pas. Il a eu « peur » : « Ils m’ont demandé papiers, permis. Y savaient pas qui j’étais, mais les autres y savaient qui j’étais. J’ai pensé aux conséquences, que j’allais perdre ma pizzeria, ma femme, tout. » Lofti X n’a pas de permis de conduire, la voiture de plus n’était pas assurée. Le prévenu est en état de récidive légale pour ces deux préventions. Du coup, il en a ajouté une, et pas des moindres, car il a contraint les policiers à le courser, et ce faisant « a complexifié les conditions de son interpellation », explique maître Marceau, qui intervient pour l’un d’eux, légèrement blessé au genou. « Oui, mais être policier, tous les enfants le savent, c’est courir après les méchants ! » répondra maître Diry, demandant au tribunal de moduler le montant de l’indemnité réclamée. Courir après les méchants, et les attraper, mais, avait anticipé Julien Marceau : « Les policiers sont garants de l’intégrité physique de ceux qu’ils interpellent, et ils ont été contraints de prendre des coups pour y parvenir, je comprends que l’interpellation se soit envenimée. » Lofti ajoute « rébellion » aux infractions.
« 23 ans et 6 condamnations, 2 préventions aujourd’hui en état de récidive, synthétise le vice-procureur Prost. Monsieur ne prend pas la mesure. Il n’assume pas ses responsabilités. » Le procureur requiert 6 mois de prison avec placement en détention, révocation du sursis TIG total, et la moitié du sursis SME. Sur les 6 mentions au casier judiciaire de Lofti X, 3 condamnations pour conduites sans permis de conduire. « A partir de quel moment vous comprenez que, quand on n’a pas de permis, on ne conduit pas ? lui demande un des juges assesseurs. – Ben moi je ne me permets pas de conduire sans permis. Je me suis inscris à la Poste, pour repasser le code, on paie 30 euros et on l’a plus vite. Avant, j’avais le permis mais y me l’ont enlevé. J’ai conduit juste ce soir-là, et le lendemain pour rendre la voiture à mon cousin. – Et vous appelez ça comment ? – (Silence…) Ben… C’était juste pour un soir, il faisait très froid, j’avais des courses à transporter, j’étais obligé. »
Le CPIP qui suit le jeune homme a noté : « Vient aux rendez-vous, est respectueux, même s’il peut s’énerver quand on met en question son comportement. N’a pas mis de soins en place (obligation du SME), conteste en avoir besoin, que ça soit pour les stupéfiants, ou sa violence. » Quant au TIG (travail d’intérêt général), le centre qui accueillait Lofti a mis fin au contrat au bout de 58 heures : retards et absences. Et puis, récemment convoqué par le service d’application des peines pour instruire une possibilité d’aménagement de peine, Lofti n’est pas venu, « je savais pas, j’attendais que le CPIP me fasse un mail, il me fait toujours des mails. – Oui mais là, ce n’est pas le CPIP qui vous convoquait, c’est le juge, et vous avez reçu un courrier en recommandé dont vous avez signé l’avis de réception. »
« Les éléments qu’on pourrait mettre à son crédit sont ceux qui ont aggravé son cas lors du contrôle, plaide maître Diry, en mode dialectique. Il a eu peur de perdre, il l’a dit, sa pizzeria et sa femme. C’est donc qu’il a fait des choses, constructives. Mais malgré ça on arrive à ce comportement ‘ni fait ni à faire’. Il travaille pourtant chaque jour, si vous l’incarcérez, vous allez briser quelque chose que la justice elle-même s’est employée à faire sortir. »
Le tribunal condamne le jeune homme à 6 mois de prison, avec mandat de dépôt. Il révoque totalement le sursis TIG de 3 mois, et la moitié du SME soit 2 mois. Cela fait 11 mois de prison dont 6 mois sont ramenés à exécution immédiatement, et « on ne va pas se mentir, monsieur, lui dit la présidente Catala, le parquet ramènera sûrement à exécution les 5 mois révoqués. » Lofti X va être incarcéré, il n’est pas content et prend lui aussi un regard noir. Il est venu du bout du monde, c’était pas nécessairement pour atterrir au centre pénitentiaire, mais.
FSA
Lofti X devra verser au policier victime, une indemnité (légèrement modulée) de 400 euros, et 600 euros pour ses frais d’avocat.