Maltraitance de trois enfants à Montceau
6 mois de prison ferme et 3 ans de mise à l’épreuve
« On sait qu’il y a des associations d’aide, s’il le faut, quand il n’y a rien à manger : on est à Montceau-les-Mines, pas au fond d’un désert ! » Maître Ravat-Sandre plaide pour 3 enfants, des jumeaux âgés de 5 ans et une fille de 3 ans.
La police avait commencé à enquêter le 22 juin dernier, à la demande d’un juge des enfants suite à une information préoccupante : les petits furent placés le jour même.
Les policiers qui ont eu à entrer au domicile du couple (la mère, 28 ans, et son compagnon, 30 ans) ont forcément connu le choc, pourtant récurrent dans leur métier (mais s’habitue-t-on à cela ?), de constater l’absence totale d’hygiène et d’entretien du logement, les asticots dans le saladier posé dans la baignoire (« il n’y avait plus de place dans la cuisine », la jeune femme ne faisait plus la vaisselle), et surtout cette chambre d’enfants aux murs nus maculés de traînées d’excréments, pas de jouets, l’urine macérant dans les pots de chambre pas vidés. L’abandon, et l’envahissement. La directrice de l’école maternelle avait fait remonter à l’inspection académique ce qu’elle observait : des petits enfants sales, aux vêtements inchangés, qui réclamaient à boire en arrivant le matin mais aussi à manger, se jetant comme des perdus sur toutes les occasions de goûter, et puis des ecchymoses, parfois, sur le visage, parfois.
Hôpital, foyer de l’enfance, administratrice ad-hoc
Les enfants, ce 22 juin, sont en fait d’abord hospitalisés 15 jours à Chalon. En deux semaines les jumeaux prennent du poids et des centimètres. A leur sortie, on les confie au foyer de l’Enfance à Mâcon. Depuis, ils voient leur mère en visites médiatisées à Montceau, une heure par semaine, « mais la semaine prochaine j’aurai 30 minutes de plus, parce que c’est leur anniversaire », précise la jeune femme à la barre. Dans la salle, Florence Baillet, administratrice ad hoc* : elle est chargée, au sein du conseil départemental, de suivre le parcours pénal et civil du dossier pour ces petits-là, elle fait l’interface entre l’autorité judiciaire (et la société qui protège, par des lois précises, les enfants) et ces trois très jeunes victimes, elle s’assure que leurs droits et leurs intérêts soient respectés. Elle a rencontré les petits la semaine dernière pour leur dire que leur mère et son compagnon allaient être jugés et « punis pour ce qu’ils vous ont fait ».
Violences, privations de soins et d’aliments…
Les préventions sont lourdes : « violence suivie d’incapacité supérieure à 8 jours (14 jours, ici, pour chaque enfant) sur mineurs de 15 ans par un ascendant » (le compagnon aussi), « soustraction par un parent à ses obligations légales compromettant la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de ses enfants », « privation de soins ou d’aliments » (le compagnon aussi). La mère encourt jusqu’à 10 ans de prison et peut se voir déchue de ses droits parentaux. Elle se mettra à pleurer en cours d’audience, jusqu’à sa fin. Il y a de quoi pleurer car cette catastrophe n’est pas tombée du ciel, elle est le fruit d’un parcours dont l’audience ne livre pas toutes les clés, elle n’en raconte qu’un peu, mais ce peu est suffisant à mettre du sens à l’insensé, un petit peu.
Dans un cumul de difficultés, le lien mère-enfant s’annonçait pas évident
Voici une jeune femme dont la maman buvait. Sur cette enfance-là, pas d’autres informations. Née en 1991, la voilà enceinte de jumeaux à 20 ans. Elle fait ce qu’on appelle un « déni de grossesse ». Les bébés souffrent d’« un retard de croissance in utero ». Elle accouche de grands prématurés qui commencent leurs existences dans un service de néonatalogie. Le père ne les reconnaît pas. Elle est seule. Elle rencontre celui qui lui fera un troisième enfant, il reconnaît le bébé mais s’évapore et persiste à ne prendre aucune responsabilité. Dès la naissance des jumeaux, la PMI assure un suivi à domicile. La maman habitait chez sa propre mère à l’époque. Entre le déni de grossesse et les retards de croissance, on se dit que le lien mère-enfant s’annonçait pas évident, on veille, on encadre, on aide, comme on le fait de nos jours, et comme on le peut.
« J’ai beaucoup de mal à prendre l’aide, et pourtant il faudrait »
En 2013, mesure d’assistance éducative à la maison (AEMO) : elle vivait avec le père de sa troisième, violences et addictions en plus. Elle veut bien être aidée, mais elle a du mal à l’accepter. A l’audience elle le dira deux fois : « J’ai beaucoup de mal à prendre l’aide, et pourtant il faudrait. » Début 2016, l’AEMO est levée, ça allait. Sauf que sa consommation d’alcool va flamber avec l’arrivée du dernier compagnon, et les informations préoccupantes se multiplient. Courant 2016, tous les témoins remarquent que déjà ça ne va plus, et qu’en 2017, forcément, ça empire. Tous les acteurs possibles du monde de la petite enfance se mobilisent pour que la mère respecte les conditions de la nouvelle AEMO, mais le suivi médical est « fastidieux », dit la présidente Sordel-Lothe, et il faut se battre pour que les gosses soient inscrits à la cantine, ce lieu béni où l’on a des repas entiers.
Quotidiennement, « des litres d’alcool »
C’est qu’à la maison, ils mangeaient « seuls », « pour s’autonomiser ». La présidente essaie de savoir ce que ça signifie exactement, et ce n’est pas simple, car le couple est sur la défensive. « Je préparais, je leur donnais leurs assiettes, et on les laissait manger seuls, là, on a eu tort », dit la jeune femme. Les trois juges, toutes des femmes, ont les visages concentrés sur ce couple dépareillé et uni qui s’enquillait quotidiennement, « des litres d’alcool », insiste Marie Gicquaud, substitut du procureur. Du reste, pour le parquet comme pour le tribunal et les avocats, la place massive des bières et alcools forts qui faisaient les jours et les nuits des deux prévenus a compté pour lourd dans ce qui les a conduits à être jugés en comparution immédiate ce jeudi 25 octobre. Placés sous contrôle judiciaire le 2 août dernier, cet homme et cette femme vivent désormais au rythme des visites médiatisées hebdomadaires, et elle a repris torchons et balai pour faire ses preuves, mais… mais comment dire ce sentiment qu’elle donne d’être absente à sa maternité ?
« Je tapotais sur le front, c’est tout, mais c’est peut-être ma chevalière qui laissait une marque »
Ce sont ses enfants qui le disent le mieux : il n’était pas prévu que monsieur, qui n’est le père d’aucun d’entre eux, s’implique dans ces visites. Il accompagnait sa conjointe, et voilà que les enfants se sont précipités vers lui. Lui qui pourtant a usé de méthodes de dressage pour se faire obéir, ce qu’il minimise à la barre (« je tapotais sur le front, c’est tout, mais c’est peut-être ma chevalière qui laissait une marque ») après les avoir d’abord niées en audition, puis reconnues finalement : ses déclarations et celle de sa compagne étaient si divergentes que les enquêteurs les ont confrontés à leurs romans sans le moindre rapport avec cette chambre vide de toute vie, en dehors de traces d’excréments : c’était la merde, dans cette baraque.
Carencée au point de ne pouvoir répondre aux besoins élémentaires des petits ?
C’était la merde, vraiment, mais les enfants « se sont précipités » vers ce papa d’adoption. Ensuite seulement vers leur mère. Leur mère qui essuie ses larmes, et voudrait dire sa souffrance. Quelle souffrance pour une femme de voir sortir d’elle-même deux bébés dont elle ignorait l’existence ? Quelle souffrance que de se débattre dans une misère dont elle n’avait aucun moyen, avec les moyens dont elle disposait, de s’extirper ? Quelle souffrance d’être carencée au point de ne pouvoir répondre aux besoins élémentaires des petits ? Quelle souffrance de ne rien y comprendre, rien ? Elle les a délaissés. Cela ne signifie pas qu’elle n’a pas d’affection pour eux, on n’en sait rien : cela signifie surtout que dans le vide où elle se tenait, elle ne pouvait pas tenir, justement.
Ce couple-là, comme encombré par une portée dont il ne savait que faire
Dans l’appartement, il y avait pourtant des jouets mais « pas accessibles aux enfants ». Les enfants pleuraient la nuit, ou faisaient du bruit. Il y a de quoi pleurer, et s’agiter. Le couple se défend, encore, d’avoir été ce couple-là, celui qui a conduit trois petits à des états de carence alimentaire, à sentir mauvais, à n’avoir pas les vêtements adaptés. Ce couple-là, qui traînait les bouteilles d’alcool partout : dans la salle, dans la cuisine, au pied du lit. Ce couple-là, comme encombré par une portée dont il ne savait que faire, et subitement perdu quand on lui retire les enfants. On les voit, là, debout, côte-à-côte, à écouter réquisitions et plaidoiries. Elle pleure, il a posé sa grande main dans son dos, en protecteur. Ils sont comme des enfants dans des corps d’adultes, des enfants ignorants, qui n’ont pas su remplir leurs devoirs, qui n’ont pas su faire face, qui n’en étaient pas capables. Il la protège. Les petits n’ont pas eu cette chance.
Chambre nue, pots non vidés, pas de vrais repas : nier jusqu’à l’existence des enfants ?
On ne sait pas comment faire la part entre ce qui pouvait être annoncé de cette catastrophe – vu l’histoire ce cette maman si démunie de moyens psychiques, débordée par ce que la vie lui imposait -, et une volonté de nier jusqu’à l’existence des enfants (chambre nue, pots non vidés, pas de vrais repas : rien qui réponde aux besoins élémentaires physiques), car sur un autre versant, l’audience ne dit rien de câlins, d’échanges, de sorties ensemble, rien. Pourtant, pas de méchanceté dans les propos du couple, non, pas d’hostilité déclarée contre ces enfants-là, mais ces descriptions terribles d’un quotidien et d’un intérieur où rien n’est adapté à la vie d’une famille nombreuse. Pas de jouets « ni de doudous », illustre maître Ravat-Sandre, mais ils ont su dire aux enquêteurs que « papa » et maman buvaient beaucoup.
Des manques abyssaux, dont les enfants ont finalement, bien sûr, fait les frais
« C’est quoi pour vous, l’autorité parentale ? – S’occuper d’eux, leur donner à manger, et une éducation, quand même. » Rien de tout ça n’existait plus en 2016-2017, alors qu’il fut un temps où, très secondée, la mère s’en sortait mieux, ce qui relève peut-être du tour de force au vu de cette histoire qui n’égrène que des malheurs et des manques. Des manques abyssaux, dont les enfants ont finalement, bien sûr, fait les frais. L’avocat du couple a pourtant trouvé « pire », dans l’actualité du jour, à Limoges : un père alcoolique, ne sachant ni lire ni écrire ni compter, qui, une fois les allocations bues, ne leur servait que du coca-cola. Dents pourries, et séquelles sévères. Dans le dossier qui nous tient 3 heures au TGI, des enfants « frêles, chétifs », mais bien vivants si on écoute les éléments du rapport.
« Ils sont dans le déni »
« Ils n’ont pas pris la mesure de ce qu’ils ont fait, synthétise Marie Gicquaud pour le ministère public, et c’est très grave. Je note, moi aussi, un certain retour en arrière, depuis les gardes à vue. » Elle relève les réponses « primaires » de la mère, et la position très minimisante de monsieur sur les violences, pourtant avérées. Elle ne requiert pas le retrait de l’autorité parentale (de la mère, son conjoint ne l’a pas) car elle laisse une chance aux soins que les deux devront suivre, de les faire cheminer, et au besoin le juge des enfants statuera. « Ils sont dans le déni, plaide maître Diry. Regarder en arrière, ils ne le peuvent pas. Il peut y avoir aussi de la honte, à devoir s’exprimer sur des choses pourries. » L’avocat leur souhaite « du courage ».
6 mois de prison ferme et 3 ans de mise à l’épreuve
Le tribunal condamne ce couple à la même peine : 30 mois de prison dont 24 mois sont assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 3 ans. Obligations de travailler, de suivre des soins (sevrage de l’alcool, et psychologiques), et d’indemniser les victimes. Un jour, peut-être, cette famille se reformera. La jeune maman a su dire quelque chose de vrai : « En fait, on souffrait chacun de notre côté. Je commençais à me sentir débordée. Ils ont autant souffert que moi. » En désespoir de cause, la présidente replace les choses : « Madame, ce n’est pas pareil, ils ont 3 et 5 ans, ils sont dépendants pour tout. »
Avant le lien avec les enfants, le lien avec soi-même
Comme quoi, à Montceau-les-Mines comme partout ailleurs, on peut croiser sans le savoir, des déserts : des vides, des personnes en partie désertées à cause de carences si fortes qu’elles sont condamnées à bricoler – et ne tiennent qu’avec leurs défenses, lesquelles les empêchent précisément d’évoluer -, mais ces manques ne manqueront jamais de s’exprimer, par des problèmes ou par des désastres, car si notre société « gère » un certain nombre de choses, il y a de l’ingérable dans ce qui n’existe pas, qu’il faudrait apprendre autant qu’il est possible, mais nous ne sommes pas les champions de la vie symbolique, hélas. Notre société promeut d’autres valeurs. « La question du travail est à faire sur le lien avec les enfants », insiste encore la présidente.
Florence Saint-Arroman
Maître Ravat-Sandre avait demandé 5000 euros d’indemnités pour chaque enfant. « Le prix de la douleur, de la privation. Ils ont souffert de la faim et de la soif au point d’en avoir des problèmes de santé, il a fallu les hospitaliser. IL y a le temps d’adaptation au foyer de l’enfance, il y a la rupture, il y une vie un peu suspendue dans l’attente d’une décision judiciaire. Ils sont en grande demande affective. », avait-elle plaidé. Le tribunal en accorde 3000 à chacun.
*On peut dire que l’administrateur ad hoc est un représentant spécial, désigné par un magistrat, qui se substituera aux représentants légaux pour représenter leur enfant mineur dans une procédure en cours ou à l’occasion d’un acte. Il a donc qualité pour exercer aux nom et lieu du mineur qu’il représente, ses droits, dans la limite de la mission qui lui est confiée.
2 commentaires sur “Maltraitance de trois enfants à Montceau”
Et après on va leur rendre leurs enfants qui aurontcete places 3 ans auront eu un début d’éducation et de mieux vivre . Voir de la tendresse dune famille dacceuil ….. Et la justice va leur rendre Parce que ce sont leurs enfants ???? Pauvre France vous feriez mieux d’être plus souple sur le mode d’adoption les gens j’irai pas adopter des petits malheureux à l’étranger pfff qui leurs coûte un bras ….
Excellent article Florence Saint-Arroman
Bien sûr que MONTCEAU n’est pas le fin fond du désert. Chacun le sait, ceux qui ne font pas l’autruche. Violences….. Alcool….. La base de tant de drames aux issues trop souvent fatales. Comme le disait si bien : « Jean Ferrat – Nul ne guérit de son enfance ».
Souhaitons à ces petits de retrouver un semblant de bonheur, de trouver une bel et bonne famille pour prendre le relais d’une Maman et d’un Papa, sans doute jamais guéris eux mêmes de leur enfance.
Ayons confiance en notre justice pour les mettre à l’abri, et éviter l’irréparable . pour eux ou pour autrui ; aujourd’hui ou demain. Malgré le peu de moyens existants de nos jours, espérons en haut lieu bien des changements de mentalité pour une prise en charge à la hauteur de tout drame innommables.