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samedi 22 juin 2019 à 12:40

Justice : corruption de mineurs à Montceau

18 mois de prison dont 15 avec sursis pour le quadragénaire !



 

 

 



 

 

 

 

« Vous êtes l’adulte, je vous le rappelle. Vous êtes né en 1975 et eux en 1999 et en 2011. Un adulte peut-il proposer des choses pareilles à des enfants ? » C’était en juin 2014 à Montceau-les-Mines. Deux ados (13 et 14 ans) avaient fugué de leurs foyers éducatifs respectifs, et avaient trouvé à passer la nuit chez monsieur X. Les deux rebelles furent contents, pour une fois, de tomber sur la police et sa protection au petit matin.

 

Ce 21 juin 2019 au TGI de Chalon-sur-Saône, monsieur F. X. est jugé pour atteintes sexuelles sur des mineurs de moins de 15 ans et pour corruption de mineurs, dans la nuit du 6 au 7 juin 2014. Pas de violences, pas d’agression, mais le croisement de trajectoires errantes, chacune à sa façon, chacun trouvant un bénéfice à une situation que la loi prohibe, et qu’elle prohibe pour protéger les enfants et les jeunes, d’adultes qui les utilisent à leurs profits. L’un des garçons connaissait déjà F. Du reste les éducateurs de son foyer avaient fait un signalement en mai car cet ado de 14 ans, en grande difficulté psychique et psychiatrique, leur avait rapporté qu’un homme lui avait fait « des propositions à caractère sexuel », expose la présidente Therme. Le gamin était bien du genre à raconter des craques mais « la réitération et la précision » de ses plaintes ont poussé à les prendre au sérieux. Le 6 juin au soir, ce jeune ado, M.*, est avec un pote en fugue lui aussi, D., où aller ? Ils vont de leur plein gré chez F.

 

 

Comment la police est intervenue…

 

 

Le 7 juin au petit matin la police est appelée pour une bagarre dans un café près de la gare. Sur place, un policier croise un ancien éducateur qui vient de tomber sur un jeune mineur qu’il connaît : le gamin sortait d’un immeuble à côté, il venait de passer la nuit chez un homme, il parle de « fellation », de « masturbation ». Immédiatement les policiers rattrapent M., celui-ci les conduit au domicile de cet homme. F. X., 39 ans, alors en période de déshérence professionnelle, en période qui s’alcoolise seule dans les bars, en fragilité affective et manifestement sexuelle aussi, est interpellé sur le champ. Son ordinateur est saisi mais ne sera jamais exploité : les délais de l’expert informatique étaient tels que la juge d’instruction est passé outre. La justice qui manque de moyens, c’est à ce genre de détails qu’on la reconnaît.

 

 

La détention, « ça a été très compliqué »

 

 

Le tribunal est composé de trois juges. Sa présidente veut retracer le déroulement de cette soirée avec le prévenu. Celui-ci a fait quelques mois de détention provisoire, de juin à septembre 2014, puis fut placé sous contrôle judiciaire. Le jugement a été reporté plusieurs fois, maître Loïc Auffret (barreau de Lyon) a fait des actes qui ont renvoyé le dossier au parquet pour une nouvelle saisine du juge, le temps a passé ainsi aussi. La détention « ça a été très compliqué, très difficile », témoigne l’homme qui comparaît. Un homme de petit gabarit. Il raconte comment les gardiens du centre pénitentiaire ont tout fait pour qu’il soit seul en cellule. Il raconte qu’il n’allait pas à la douche s’il ne pouvait pas y être seul. Les promenades, idem : « J’y suis allé trois-quatre jours mais on entend tellement de choses, ça m’a traumatisé, j’ai bien mis un an à retrouver une vie sociale. » Il était devenu phobique. Quand on se mêle de faire la loi à la place de la loi, un homo réputé avoir abusé de gosses est une proie en or. On se refait une dignité sur son dos, pour pas cher. C’est moche mais la prison c’est comme ça.

 

 

Le 6 juin 2014 au soir, la donne n’était pas égale

 

 

D’ailleurs on croit déjà entendre une partie de l’opinion publique en faire autant : s’indigner, réclamer les pires sévices, hurler à la vertu. Eh bien en dépit de la sévérité qui y règne, une salle d’audience est finalement moins violente : le jugement remet chacun à sa place, puis sanctionne le coupable. Les mineurs « ne sont coupables de rien », c’est à l’adulte de se comporter en personne responsable. D’ailleurs pourquoi, reprendra maître Ravat-Sandre qui intervient pour les deux victimes, aujourd’hui majeures et qui n’ont pas souhaité assister au jugement (leurs parents non plus, la salle est vide), pourquoi cet homme a-t-il cédé à leurs demandes (passer la soirée chez lui, boire de l’alcool, voir du porno éventuellement) au lieu de se soucier d’eux ? De les ramener aux foyers ? De joindre leurs parents ? Bonne question. Elle ne s’est pas posée : chaque protagoniste a dû y voir son intérêt du moment. Les fugueurs se soustrayaient aux adultes tutélaires et flirtaient avec la supposée vie des grands, F. X. pouvait assouvir quelques pulsions génitales. La donne n’était pas égale, rien n’est jamais égal dans le rapport entre adultes et enfants. Au final, les deux pré-ados, l’un en larmes pendant son audition, « tout blanc » quand son père l’a récupéré, l’autre de toute façon sous l’effet d’injections à effet « retard » (on pique une fois, ça fait effet pendant x semaines) « à des posologies d’adultes » pour répondre à un diagnostic de psychose infantile, les deux pré-ados ne sont pas sortis de là épanouis, ils en sont sortis traumatisés.

 

 

La violence du porno, de l’excitation sexuelle réduite à elle-même

 

 

Eh oui, c’est pas le tout d’avoir des pulsions sexuelles : en explorer les émois avec un homme adulte qui passe du porno pour faire monter l’excitation et qui se masturbe devant vous, puis pratique des gestes sur vous, c’est se faire piéger, c’est basculer sur un versant violent qu’on n’a pas les moyens de métaboliser quand on a 13 ans, quand on a 14 ans. Le porno, ça fait ça. L’homme de 44 ans qui comparaît a suivi des soins (obligation judiciaire). La thérapie individuelle, il a arrêté, mais la thérapie de groupe, il a aimé, « on s’aidait les uns les autres ». Il a quand même toutes les difficultés à tenir un discours clair devant les juges. De dos on le voit frétiller comme ferait un petit poisson qui voudrait échapper à l’hameçon. Il ne s’apaisera que lorsqu’il sera invité à parler de sa vie actuelle : ce qu’il fait, où il vit, quels sont ses projets. Il explique qu’il a gagné en maturité, qu’il s’attache désormais aux qualités des relations qu’il peut avoir, qu’il ne cherche pas à se coller en couple à tout prix, qu’il a trouvé un milieu professionnel qui lui va, qu’il a d’ailleurs fait une formation, et qu’il ne boit plus comme il buvait en 2014.

 

 

La honte

 

 

« L’alcool le désinhibait » dit l’expert-psychiatre qui relève (en 2014) « une grande immaturité », « instable ». Maître Auffret ne négligera pas la moindre nuance pour défendre son client. Il prend soin de répéter que les deux garçons sont victimes c’est indiscutable (c’est la loi, ndla), mais bon le plus âgé était au seuil de ses 15 ans et l’ambiguïté n’est pas une abstraction. La soirée s’est déroulée sans violence, sans contrainte, sans menaces, etc. Vrai. Vrai et faux, relevait la présidente : la pression est une forme de contrainte, un adulte a un ascendant sur les plus jeunes (et cet adulte-là avait un toit et de quoi dormir, ce que les gamins recherchaient vraisemblablement – ils ont comme payé leur nuit, cela n’a pas été dit ainsi à l’audience mais c’est ainsi qu’on le perçoit, ndla). L’expertise psy écrit l’affect qui habite encore le prévenu et les victimes, un mot de 5 lettres qui imprègne les vies jusque dans leurs moindres cellules et influe tant sur bien des comportements : la honte.

 

 

Les faits sont constitués

 

 

« J’aurais aimé entendre : ‘je suis le seul responsable’, car j’aurais pu le transmettre aux deux garçons », plaide maître Ravat-Sandre. « L’atteinte sexuelle n’est pas l’agression sexuelle, mais elle est punissable de 7 ans de prison, depuis 2018, au lieu de 5 ans en 2014, rappelle Dominique Fenogli pour le ministère public. Quant à la corruption de mineur, son but est d’éveiller des pulsions sexuelles en l’autre pour en tirer un profit personnel. Monsieur X est coupable, les victimes ont subi cette soirée. » Il requiert 18 mois de prison dont 15 seraient assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans. « Ces deux jeunes gens ne sont pas tout à fait innocents sur le plan de la sexualité, même s’ils ne sont coupables de rien. » Maître Auffret fait la démonstration que son client n’est pas « un prédateur sexuel », que cette soirée fut le fruit d’un cumul de circonstances et non une pratique habituelle. Monsieur X a un casier judiciaire vierge, « il a eu le tort de céder à des demandes ».

 

 

« La peine est adaptée à la gravité des faits et aussi à vos efforts depuis »

 

 

La salle d’audience s’est vidée des trois jeunes stagiaires posés sur ses bancs. Il est presque 19 heures, dehors des enceintes crachent des décibels, la fête de la musique se pointe, le tribunal va délibérer.

 

F. X. est déclaré coupable. Il est condamné à une peine de 18 mois de prison dont 15 mois sont assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans. Obligations de soins, de travailler, interdiction d’exercer une profession au contact de mineurs, obligation d’indemniser les victimes. Il reste 3 mois de prison ferme : « Le tribunal a souhaité ne pas dépasser la période de détention provisoire. La peine est adaptée à la gravité des faits et aussi à vos efforts depuis. Le suivi de 2 ans est un contrat, si vous n’en respectez pas tous les termes, vous pourriez alors exécuter la peine en prison. » F. X. sera inscrit au FIJAIS, c’est automatique pour la corruption de mineur, pendant les 20 ans à venir. Il devra justifier de son domicile deux fois par an, les autorités devront toujours savoir où le trouver.

 

 

Il devra verser 1 000 euros de dommages et intérêts à M., et 2 000 euros à D., « le tribunal a fait une différence, estimant que les gestes d’atteinte sexuelle ne sont pas de même nature pour chacun ». Le diable est dans les détails, dit-on ? La justice l’est aussi.

 

 

Florence Saint-Arroman

 

 

*Les initiales des prénoms des victimes ont été changées.

 

 

tribunal 2208172

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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