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mardi 8 novembre 2016 à 06:23

Votre fourchette vous fait maigrir, mangez avec vos doigts

Si ça va mal avec, ça ira mieux sans



 Attention ceci est une histoire vraie arrivée près de chez vous….

 

 

Prenons le syllogisme des syllogismes : « Tous les hommes sont mortels, Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. »

 

 

Et transformons-le en sophisme aussi célèbre : « Tous les humains sont mortels, un âne est mortel, donc un âne est un humain » et nous avons le fond glorieux de la pensée moderne actuelle, du progrès en marche triomphant.

 

 

Je vous livre un sophisme très actuel et très emblématique.

 

 

 

Dans un EHPAD des résidents maigrissent car ils ne peuvent plus se servir de leurs couverts donc sans couverts ils vont cesser de maigrir.

Sans plaisanter, personne à aucun moment ne s’est dit « ils ne peuvent manger parce qu’ils ne peuvent plus tenir les couverts, si on faisait tenir ces couverts par quelqu’un d’autre ? »

 

Pourquoi ? D’abord parce que, ensuite ce n’est pas possible puisqu’il manque trop de personnels, parce que l’on doit réduire les budgets. Du coup on supprime les couverts.

 

 

Et puis le mot à la mode, le protocole du jour, le progrès le plus ébouriffant du management gérontologique, c’est l’autonomie.

 

 

L’AUTONOMIE, je rappelle que nous sommes dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes… n’est point-là un de ces oxymores dont l’administration a le secret le plus pétaradant ? Si sans aucun doute et donc c’est un sophisme de plus.

 

 

« L’autonomie c’est le contraire de la dépendance donc en supprimant la dépendance aux couverts on rend les gens autonomes ».

 

Sauf que s’ils sont autonomes ils n’ont plus rien à faire dans un EHPAD et que ce n’est pas comme ça qu’ils vont se requinquer.

 

 

 

Mais absence de personnel n’est pas plaie mortelle si les résidents sont autonomes, en fait s’ils savent se passer du minimum vital quitte à perdre quelques kilos, qui a cet âge sont forcément superflus.

 

 

C’est génial cette science du sophisme. Mais là problème. Comment manger la soupe ? Comment manger les viandes chaudes en sauce ? Comment avec des doigts pétrifiés d’arthrite saisir de la purée ?

 

 

S’il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème, mais comme il y a un problème il y a une solution (prenez du paracétamol si vous n’arrivez pas à suivre), on va gélifier toute la nourriture, la rendre solide, même la soupe.

 

 

Les résidents les plus affectés vont donc être placés dans un programme alimentaire digne de la NASA. Il ne reste plus qu’à les mettre sur orbite. Tiens mémé un cube gélatineux de soupe au poireau, suffit de le prendre comme on peut et de sucer.

 

 

Pour les cas les plus difficiles nous préconisons de mixer cette alimentation d’avant-garde avec les commodités des campagnes moyenâgeuses. On creuse des écuelles dans les tables et les résidents perclus de rhumatismes, et de polyarthrite pourront tranquillement laper à leur rythme sans en mettre partout.

 

 

Depuis des générations de notre passé glorieux d’occidentaux phares du monde civilisé nous avons été éduqués à l’utilisation obligatoire et bienséante de couverts pour bien montrer notre supériorité avec les sauvages de nos colonies du monde entier qui mangeaient avec leurs doigts, ou même simplement des serfs de nos campagnes.

 

Dans les grandes familles nobles ou bourgeoises on avait même une fourchette, un couteau, une cuillère pour chaque type de plat, que s’en était un casse-tête continuel. Le couvert, le fait de ne plus manger avec ses doigts, sauf exceptions gastronomiques, c’était le progrès, la civilisation, l’hygiène, l’hygiénisme.

 

 

 

Rappelons que l’hygiénisme réunissait des théories politiques et sociales comprenant l’architecture et l’urbanisme pour les collectivités, définissant pour les individus des pratiques médicales et diététiques, élaborant et préconisant les grands principes de la santé publique en matière de hygiène et de prévention.

 

 

Les règles HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point ou en montcellien moyen Analyse des dangers – points critiques pour leur maîtrise) appartiennent à un système qui identifie, évalue et maîtrise les dangers significatifs au regard de la sécurité des aliments (NF V 01-002).

 

Ce système s’intéresse à 3 classes de dangers pour l’hygiène des aliments dont le premier est : les dangers biologiques (virus, bactéries…).

 

 

Sans vouloir faire du sous Zola façon favela, pour avoir appartenu au CVS (Conseil de la Vie Sociale) de l’Ehpad où ma mère a fini ses jours, je connais parfaitement les règles d’hygiène que les sous-effectifs imposent. Pas de douche une fois par semaine, pas de contrôle bactériologique des mains des résidents… donc s’ils mangent avec leurs doigts, la première règle concernant la première classe de dangers  est à oublier tout de suite. Ou alors il faudra des gants jetables, on va rire quand les pauvres essaieront de les enfiler, car s’il n’y a personne pour tenir la fourchette à leur place, il n’y aura pas plus de monde pour leur enfiler les gants.

 

 

 

Comme on peut le voir, nous assistons à la marche triomphante du progrès, « à budget constant vous obtiendrez moins, vous boufferez de la gélatine (on ne parle plus de manger, de gastronomie mais de nourrissage), et vous n’aurez pas plus d’aide que lorsque vous bataillez avec vos couverts. »

L’espérance de vie augmente mais l’espérance de bien vivre vieux disparait derrière la technocratie sans état d’âme face à ses insuffisances et ses contradictions profondes.

 

 

Mais peut être ne suis-je qu’un vilain rétrograde ingrat qui ne voit pas ce que le système apporte de bien.

 

 

Gilles Desnoix

 

 

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3 commentaires sur “Votre fourchette vous fait maigrir, mangez avec vos doigts”

  1. MSV dit :

    Gilles, bravo pour cette analyse pertinente.
    Notre société devient folle.
    Le monde de la santé va mal, très mal à force de coupes budgétaires.
    Une aide soignante bienveillante à la place d’un cube gélatineux : y a pas photo ……
    Mais la réalité est là : 4 aide-soignantes et 1 infirmière pour 60 personnes âgées quasi ou totalement dépendantes, ce n’est plus du soin mais du travail à la chaîne.
    Honte aux décennies de politiciens qui n’ont pas pris la mesure du vieillissement de la population et qui ont laissé s’instaurer l’actionnariat dans les établissements de santé.
    D un côté, nos « vieux » un peu malmenés par les rythmes militaires des soignants et de l’autre des soignants épuisés et démotivés par des conditions de travail qui se dégradent de jour en jour.
    Et j’oubliais le dernier côté : nos technocrates, jamais sur le terrain et qui décident,devant la machine à café, de nos conditions de travail.
    Une soignante….en grève ce jour ….mais au boulot .

  2. joel dit :

    pourquoi ne pas réduire le personnel administratif et employer des infirmieres et aides soignantes

  3. Chiron17 dit :

    Et oui Gilles, telle est la réalité de ce monde. L’énarchie impose à la société ses »lumières »!!! Que de jolis mots sur des pages administratives et stérilisation des terrains et des réalités… Ce qui n’est pas rassurant, c’est que ce paradigme morbide est appliqué non seulement à la santé, mais à l’industrie, l’artisanat, l’agriculture, etc…
    Le bon sens non seulement n’est plus entendu, mais il n’a plus droit à la parole et il est shunté par les médias et les politiques bien-pensants du moment.
    Une civilisation se meurt… comme d’autres avant elle et probablement pour les mêmes raisons: quand l’administration devient folle et s’éloigne de la réalité, le déclin s’installe, inexorablement. Le résident de l’EHPAD a besoin d’humanité. Ce ne sont pas les textes législatifs débiles qui nourrissent son âme avec les doigts ou sans les doigts, gélifiés ou non gélifiés… A quand les EHPAD en kit (avec ou sans aide-soignantes, infirmières, etc)? Désolants…