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samedi 27 janvier 2018 à 05:57

Réactualisé ce samedi à 04 h 54 : Assises : meurtre de la petite Méline..

Sébastien Chabrier condamné à 25 ans de prison, pour avoir tué sa fille



 

 

Au terme de quatre jours de procès devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire, Sébastien Chabrier, 45 ans, a été condamné à 25 ans de réclusion criminelle et à un suivi socio-judiciaire de 10 ans pour le meurtre de sa fille, Méline, qui n’avait que deux ans et deux mois.

 

 

Il est inscrit de plein droit au FIJAIS. Bien des gens pensaient à, ou espéraient, une réclusion criminelle à perpétuité, la pire des peines pour le pire des faits, mais l’échelle du pire a ses surprises, et les échelles de peines sont des affaires de juristes. Retour sur cette dernière journée de procès.

 

 

 

Les jurés n’avaient à répondre qu’à deux questions dont ils avaient déjà les réponses (Sébastien Chabrier est-il coupable d’avoir volontairement donné la mort à Méline Chabrier ? Était-elle âgée de moins de 15 ans ?), mais l’avocat général et l’avocat de la défense ce matin ont argumenté chacun en faveur de deux lectures possibles du dossier : Sébastien Chabrier a « planifié l’idée de tuer ses enfants puis de se suicider, il a toujours eu la maîtrise de ses actes », ou Sébastien Chabrier « a ruminé (comme un obsessionnel peut le faire), et il est passé à l’acte, est sorti de là les mains tremblantes ». Préméditation ou pas ? On suppose que cette question, qui n’était pas posée aux jurés, a joué dans la délibération puisqu’elle a duré plus de 5 heures.

 

 

 

Il faut reconnaître que l’exercice est compliqué car le code pénal prévoit bien la pire des peines pour le « pire des crimes ». Dominique Fenogli, avocat général sur ce procès, va se faire pédagogique : « J’estime qu’il faut la réserver à des individus autrement plus dangereux, comme des récidivistes, cette peine n’est pas appropriée ici. Vous le condamnerez néanmoins à une peine lourde, il a rayé de notre humanité cette petite Méline. »

 

 

 

« Il n’a jamais nié », relèvera maître Nicolle. C’est vrai, mais l’accusé a toujours refusé de parler de ce qu’il a fait, a maintenu la Cour dans le périphérique, et le contenu de la boîte noire est resté livré aux interprétations. L’avocat général, qui ne s’est jamais départi d’une voix douce et d’un ton égal, pense que « les mots sont importants » : « Moi, je pense que c’est prémédité. » Sébastien Chabrier a relevé la tête et regarde Dominique Fenogli qui lui fait face : « Monsieur Chabrier a fait une petite erreur, devant le juge d’instruction, car il se souvenait bien de la position de Méline, couchée en chien de fusil, la tête posée sur un doudou… et plus tard, il ne sait plus ?! » L’accusé le regarde encore. « Selon le légiste, Méline était vivante au moment des coups de couteaux, mais c’est la suffocation qui entraîne sa mort.

 

 

 

Voici mon hypothèse : il soulève le tee-shirt, donne un premier coup de couteau, elle hurle, il plaque ses mains sur son cou et sa bouche car elle peut réveiller Quentin. Cela dure 5 à 6 minutes, c’est une éternité. » L’accusé le regarde toujours, et c’est un fait d’exception. « Vous me regardez, monsieur Chabrier, et vous savez que c’est comme ça que cela s’est passé. » Dominique Fenogli argumente en faveur d’un acte « réfléchi », il pense que le moment de bascule dans la tête du père se fait le jour où son épouse lui annonce qu’elle va demander le divorce. La rupture est inéluctable. « Il doit reprendre la main, et la seule façon de reprendre la main, c’est de couper, selon sa volonté, le lien. »

 

 

 

Faute de mots, faute de pouvoir se représenter « psychiquement » la rupture, comme l’a dit l’expert psychiatre, l’homme aurait alors envisagé de tuer ses enfants et d’en finir lui-même, mais après avoir tué sa fille « il s’est rendu compte à ce moment-là de la difficulté à tuer un être humain, et c’est pour ça qu’il ne tuera pas Quentin. » « C’est suffisamment horrible comme ça, pas besoin d’en rajouter, lui répond maître Nicolle. Ce n’était pas un acte réfléchi, c’était un acte volontaire avec intention de tuer, un acte ‘ruminé’, mais pas réfléchi. »

 

 

 

L’avocat avait donné l’axe de sa défense : « L’acte est monstrueux mais c’est l’acte d’un homme. » Bruno Nicolle s’attache pendant 2 heures et vingt minutes de plaidoirie à réhumaniser un accusé réduit selon lui à des jugements de valeurs, par « des tombereaux d’injures à chaque phrase », et des moqueries (de la salle – quelques rires il est vrai, la présidente a ramené l’ordre et le public fut ensuite respectueux), à ramener « parmi nous », dit-il, celui qui « jusqu’à cette nuit fatale, était des nôtres ». « Défendre Sébastien Chabrier, ce n’est pas justifier l’acte ou le crime, certainement pas, c’est se demander : comment quelqu’un qui nous ressemble, qui a vécu au milieu de nous, a pu en arriver à ‘ça’ ? », parce que le meurtre fait partie de l’humanité depuis la nuit des temps.

 

 

 

L’avocat va diluer son argumentation dans des incises difficiles à suivre, sur les enfants qui meurent chaque jour injustement, de maladies, par exemples. Mais sur l’essentiel, sa plaidoirie va démontrer, si l’on a bien compris, que chacun d’entre nous vit avec les ressources dont il dispose, et que le Sébastien Chabrier, qui se tient, gris et sans plus aucune lumière en lui, à le voir, « ne vient pas de nulle part », et qu’en matière de ressources internes, il a toujours été court : « Il est introverti, très tôt, il n’a pas d’amis, c’est rare, aucun copain. Il est fusionnel avec sa mère, ça n’aide pas à se construire, les relations fusionnelles ne produisent pas des êtres équilibrés et Sébastien Chabrier n’est pas quelqu’un d’équilibré. »

 

 

 

L’avocat flingue au passage le travail du docteur Canterino, psychiatre, « ce n’est pas une expertise ! », avec lequel il avait eu un échange tendu hier matin, jeudi. « Le docteur Canterino n’aime pas la neuropsychiatrie. » Bruno Nicolle veut en effet croire qu’une IRM aurait peut-être, qui sait, livré les clés du comportement de l’accusé. Dominique Fenogli n’avait pas manqué de pointer que l’expertise, « accablante en tous points », n’avait débouchée sur aucune contre-expertise, et l’avocat le regrette aussi, mais il n’était pas là au moment où. L’avocat général avait gardé les contours du profil de Sébastien Chabrier, tel que les 3 jours de procès l’ont fait émerger : manipulateur, tyrannique, froid, menteur.

 

 

L’avocat de la défense veut faire ressentir que c’est bien un être humain, un homme en arrêt maladie qui a des problèmes psychologiques depuis longtemps, un homme d’une « solitude totale », qui en un seul jour se voit confronté à « un échec total » : sa femme est partie et lui annonce qu’elle prend un avocat, la mère de son fils l’appelle pour lui dire qu’elle demande la garde exclusive du petit, sa mère le jette au téléphone, « il prend tout en pleine figure ».

 

 

 

Le soir, après le dîner au restaurant, il couche les enfants, et il rumine, il passe à l’acte, et sort de la chambre de l’enfant « les mains tremblantes ».

L’avocat général et le défenseur étaient d’accord sur une chose : juger n’est pas se venger.

 

 

Sébastien Chabrier ne reçoit aucune visite en prison, il a un traitement médicamenteux important (anxiolytiques, antidépresseur, neuroleptiques), il est devenu l’ombre de ce qu’il fut. Peut-être que d’avoir verrouillé une boîte noire le protège de l’effondrement, mais cela le prive du même coup de toute lumière, il paraît si peu vivant lui-même. Et Bruno Nicolle de conclure : « Il a reconnu trop tard qu’il avait besoin de se soigner, l’irréparable avait été commis. »

 

 

FSA

 

 

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Vendredi 27 janvier 2018

 

 

« C’est quelqu’un qui est authentiquement dépressif, c’est quelqu’un qui ne va pas bien. » Le docteur Canterino, expert psychiatre, le dira plusieurs fois : Sébastien Chabrier va mal. Depuis longtemps. Ce n’est pas mieux maintenant, bien au contraire.

 

 

 

Réactualisation : Dominique Fenogli, avocat général, a requis 30 ans de réclusion criminelle, avec période de sûreté de 20 ans et retrait de l’autorité parentale….

 

Et les trois heures passées ce matin à entendre parler du « sujet » qu’il est pour les experts, ont dû être longues. Les plaidoiries des avocats des parties civiles cet après-midi, au troisième jour de son procès pour l’homicide de sa fille de deux ans, ont ouvert le temps qui précède celui du verdict. Sébastien Chabrier encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

 

 

 

Il est détenu (sauf pendant la durée du procès) essentiellement dans des unités psychiatriques pénitentiaires depuis plus de 2 ans. Mais l’expert est catégorique, le « déluge de réponses dilatoires » de l’accusé lors de l’expertise ne change rien à des points fondamentaux : Sébastien Chabrier se souvient de tout, il n’a pas d’amnésie, il la simule. Il est possible en revanche qu’il ne puisse pas en parler, pour se protéger d’un effondrement. Sébastien Chabrier prétend souffrir d’hallucinations auditives : « c’est faux, c’est un mensonge ».

 

 

Le psychiatre parle d’une personnalité de type narcissique, avec « tentative d’emprise et de manipulation sur autrui », y compris sur le psychiatre lui-même, « il peut mentir de façon éhontée ».

 

 

Tony Arpin, expert psychologue, envisage le passage à l’acte comme résultant d’une « impasse », pas d’issue envisageable à « un conflit interne ». Dominique Fenogli, l’avocat général, lui demande d’expliquer la dernière phrase de son rapport : « Le sujet semble s’installer dans un rêve dont il ne souhaite pas sortir », et le psychologue lui répond : « Monsieur Chabrier n’avait toujours pas pris pleinement conscience de la réalité des faits. Il était dans le déni (quand il l’a rencontré, en avril 2016) et n’avait pas fait le deuil de sa fille, qui était toujours présente. »

 

 

 

Parmi les dossiers médicaux exploités, il ressort des notes de tel médecin : « 43 ans, très silencieux, regard sombre et triste. 04/2015, l’homme est en grande souffrance, ni délirant, ni suicidaire. 08/2015, très très anxieux. Prochain RV le 7/09. » Après le crime, le 4 septembre 2015, en unité psychiatrique pénitentiaire, un médecin relève : « distant, froid, calme ». Froideur « pas adaptée » à la nature et à la gravité des faits. La mère de l’enfant pendant ce temps-là a vu la terre s’ouvrir sous ses pieds, elle est en état de choc, on a dû la sédater.

 

 

 

Selon Jean Canterino, le meurtre de l’enfant peut être compris à deux degrés, « à un degré superficiel comme une vengeance contre l’épouse qui le délaissait, et à un degré plus profond, comme une destruction de l’objet commun, destruction qui a en quelque sorte la valeur d’une annulation de ce qui s’est passé dans le couple ».

 

 

Le 2 septembre après 3 heures du matin, Sébastien Chabrier vient d’ôter tout souffle à sa petite, et il écrit un courrier, à « madame la gendarme ». Il écrit avoir fait quelque chose de « lamentable », puis, « j’ai toujours été là pour éviter le pire ». A quelques mètres de lui, la chaleur quitte lentement le corps martyrisé de la fillette. L’homme reste obsédé par Aurore, et des contentieux divers, absurdement administratifs : « j’aurais dû la quitter », « elle est manipulatrice », « elle a jeté plusieurs fois mon téléphone portable et la vitre est fendue », « j’ai toujours fait à manger, le ménage… j’ai fait les terrasses et 80% de la maison ». Un salmigondis de propos hyper projectifs (sur son épouse) et d’une complainte sur « les autres », Sébastien Chabrier ressasse, tourne en boucle, mais il vient de tuer sa fille.

 

 

 

Aurore Prost, elle, habillée pour l’hiver et pour l’éternité par cet homme malade mais responsable de ses actes, conserve un « traumatisme sévère ». « Détresse émotionnelle importante », « a du mal à respirer quand elle évoque Méline », « troubles du sommeil », « fatigabilité », « se sent coupable de ne pas l’avoir protégée », « violence et douleur intolérables ». On a le ventre creusé à la bêche de l’écrire. Cette douleur. Cette violence.

 

Violence et douleur aussi pour Quentin, pour sa mère, pour les autres enfants de sa mère certainement, pour la grand-mère d’Aurore, pour ses parents, pour ses frères, pour ses neveux et nièces. « Quatre générations », dira maître Cuinat, vivent sous le souffle de la déflagration. Maître Hachouf, du barreau de Marseille, parle de Quentin, 10 ans, aujourd’hui, et parle pour lui : « Cela a gâché sa vie, c’est un séisme qu’a subi ce petit garçon. C’est un enfant qui scénarise encore aujourd’hui cette scène où il voit son père le tuer.

 

 

 

Il aimait son père, ce père qui est seul avec sa conscience, et qui est sourd à la souffrance de Quentin. Il était important, dans ce débat judiciaire, de dire ce qui s’était réellement passé, c’était l’occasion ou jamais, mais Sébastien Chabrier n’a aucune empathie, il regarde son procès passer, impavide. Or Quentin a besoin de son père : du côté de la partie civile, il y a de l’humanité, mais cet individu-là est dangereux. » Et l’avocate demande que le père soit déchu de ses droits.

 

 

Les jurés sont très attentifs. Trois hommes, trois femmes, dont deux femmes et deux hommes de moins de 40 ans. Ils ont vécu, comme nous tous, une palette d’émotions difficiles au fil des débats.

 

 

Ils ont dû, eux, regarder les photos des blessures infligées à l’enfant. Hier, quand Aurore Prost pleurait, les deux femmes les plus jeunes étaient comme captées par cette béance, cette douleur insondable, pourtant contenue par la mère. On note la tenue des parties civiles, qui n’ont pas transformé la salle des assises en lieu de recueillement, comme on l’a déjà vu faire, projetant, par exemple, un diaporama de photos de la victime, non. De la tenue, de la retenue, mais les deux jurées avaient le visage marqué par cette empathie dont l’accusé n’a en effet montré aucun signe.

 

 

 

« Tu ne prends pas ta fille car tu lui ferais du mal. » Sébastien Chabrier a lancé ces mots, oui, ces mots, à son épouse lorsque celle-ci a fui le domicile, après avoir reçu des coups, le 30 août 2015. Maître Cuinat les rappelle. « Il veut que le mal qu’il a engendré se poursuive. Il veut que la famille continue à se poser des questions.

 

 

Une petite fille de 25 mois a été tuée dans son sommeil. Vous allez devoir juger le comportement de Chabrier à la mesure des faits commis et de sa personnalité, et apprécier s’il a des circonstances atténuantes. » L’avocat entend démontrer qu’il n’en a aucune, qu’il n’y a pas eu de « coup de folie », rappelle le tee-shirt non perforé par les coups de couteaux et dont la face postérieure était pourtant ensanglantée, rappelle la couverture remontée sur le corps exsangue, « comme si elle dormait », rappelle que l’accusé ment. « Voilà un homme qui a porté le mal partout où il est passé depuis ces dix dernières années. Méline ne reviendra pas. On sait quels dégâts sa mort violente a causé et cause encore à sa mère. Je vous demande le moment venu de vous en souvenir. »

 

 

 

Demain l’avocat général va requérir, puis maître Nicolle plaidera pour Sébastien Chabrier. Les experts psy ont parlé de « risques de réitération ». Les jurés seront convoqués à l’endroit de leur intime conviction, non sur la culpabilité qui est déjà établie (quoiqu’ils auront à l’affirmer), mais sur l’intention qui a présidé au geste, et sur les circonstances atténuantes pouvant moduler la peine, ainsi que sur la dangerosité de l’homme.

 

 

« C’est un monstre, disait la mère d’Aurore Prost hier à la barre. Il a martyrisé ma fille, il a assassiné ma petite fille, il a anéanti une famille. » Dans la bouche de cette femme, ces propos sont légitimes. Comment penser un tel acte, une telle horreur ? Mais on juge un homme, un homme qui a commis un acte, oui, monstrueux.

 

 

 

Florence Saint-Arroman

 

 

 

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Jeudi 25 janvier 2018 :

 

 

La maman de Méline a fui le domicile conjugal le 30 août, et s’est réfugiée chez ses parents. Ce mercredi 2 septembre 2015, elle pense retrouver sa fille de 2 ans et demi, pour le week-end.

 

 

Aussi, aidée de sa mère, elle prépare une chambre pour la fillette. Mais « on a vu débarquer les gendarmes. Ils nous ont demandé de nous asseoir.

 

Le médecin du SAMU nous a expliqué ce qui s’était passé. Ils avaient prévu un camion de pompier pour moi. Ma fille, c’était ma vie. » Dans le box l’accusé ne bronche pas. De partout ailleurs dans la salle des assises de Saône-et-Loire surgissent des mouchoirs, le public pleure. Méline est morte, étouffée et poignardée par son père. C’est le 2ème jour du procès, et les contours de l’histoire se dessinent un peu mieux, en dépit du mutisme de Sébastien Chabrier dont la culpabilité est établie : il l’a reconnue le jour-même des faits.

 

L’accusé au teint gris fatigue. Les journées d’audience sont longues, on l’extrait de prison avant l’aube pour éviter qu’il ne reste bloqué au centre pénitentiaire (personnel pénitentiaire en grève), et aujourd’hui il semble sédaté, son élocution est très pâteuse. Toujours dans l’objectif de faire émerger une réponse au « pourquoi », la présidente Caroline Podevin ne cesse de creuser les sillons sans que jamais la moindre parole spontanée ne fuse de cet homme verrouillé.

 

 

« C’était jamais lui, c’était les autres »

 

Verrouillé, il en le fut pas toujours, son frère aîné le confirme : Sébastien, collégien, avait des copains. Il ressort des déclarations de leur mère qu’à un moment donné, son fils cadet est devenu « paranoïaque ». Il était adulte depuis des années, mais son comportement, de pénible, devient inquiétant. « On le harcelait tout le temps, disait-il, et c’était à chaque fois pareil. »

 

 

Des incidents à répétition émaillent son dossier professionnel, sans pour autant qu’il y ait eu de sanctions disciplinaires. Il travaillait plutôt bien mais avait des problèmes relationnels constamment. Du coup il en a eu par extension avec sa famille, sa mère et son frère aussi, ils ne se parlent plus depuis le décès de leur père, en 2014. Sa mère, 65 ans, dit qu’il était « un très bon père de famille », mais qu’il « ne faisait rien pour s’aider lui-même. C’était jamais lui, c’était les autres. » Elle reconnaît une « relation fusionnelle » entre elle et lui, mais lui en impute la charge, il s’était durci, rigidifié.

 

 

La présidente met ces propos en lien avec l’audition de la directrice départementale des Finances publiques de Corrèze qui confirme les problèmes psychologiques, les violences verbales à fleur de lèvres, son « regard noir », une fatigue psychique qui majorait une fatigue physique, et les arrêts maladie qui se multipliaient. Ce point intéresse particulièrement la présidente, qui semble y voir un moment de bascule. Moment de bascule, car tous ces récits se succédant doivent dessiner ce qui a conduit au geste ultime, à l’irréversible, au sommet d’une montagne que nul ne voudrait gravir : ôter la vie à son propre enfant.

 

 

« Il ne s’excusait jamais »

 

 

Le témoignage à la barre de F. A., 47 ans, qui fut la compagne de Sébastien Chabrier et qui est la mère de Quentin confirme la bascule : « Au début (2006), il était très gentil. Mais les choses se sont dégradées quelques mois avant la naissance de Quentin. Il ne fallait jamais le contrarier. Un jour il m’a soulevée (elle est petite, il est grand et massif, ndla) et jetée contre un mur. J’étais enceinte. Il a pris l’habitude de me jeter contre les murs. »

 

 

 

Elle a deux enfants adolescents, ils s’interposeront chacun, ils prendront des coups, chacun. « Il ne s’excusait jamais. » Un jour elle montre à une collègue de travail : elle est bleue des fesses jusqu’à la moitié du dos. Elle ne veut pas déposer plainte : elle ne veut pas vivre ce qu’on appelle « les suites ». Elle parvient à obtenir séparation. Reste Quentin, et l’obligation d’un lien maintenu pour lui. « Il (l’accusé) considère les autres comme des objets. » Sa nervosité impressionne, elle a les mains jointes dans le dos et jamais on n’a vu des doigts s’agiter avec autant de célérité, comme si elle transcrivait en morse tout ce qu’elle dit.

 

 

Une jeune femme fragilisée par les séquelles d’un AVC, « ce bébé était un miracle »

 

 

Pas de plainte, pas de suites, la roue continue à tourner, et Sébastien rencontre Aurore, en 2012. Ils ont 12 ans d’écart, elle a alors 28 ans. C’est une jeune femme décidée, au caractère trempé. En 2004, à l’âge de 20 ans, elle est victime d’un AVC. 2 mois de coma, 4 mois de rééducation. Son côté gauche reste en partie paralysé, rend sa marche chaotique, et « lorsque je suis trop stressée, mon visage fait un rictus que je ne peux pas maîtriser.

 

 

Il ne faut pas l’interpréter, je n’y suis pour rien », explique-t-elle à la Cour avant de lui parler. Cet accident compte, car aussi combative soit-elle, elle se trouve, à 20 ans, atteinte dans son corps et son visage aussi, et cela fragilise certainement la jeune femme. Alors, quand ce grand gars pas vilain se rapproche d’elle… L’antécédent d’AVC lui interdit la pilule, Sébastien Chabrier ne met pas de préservatif, elle tombe enceinte, « bébé miracle » dit-elle.

 

 

 

Elle accouchera à Dijon sous césarienne, pas possible autrement. Tout va vite, mais elle porte la vie, et c’était inespéré à ce qu’on entend. Alors, Sébastien se montre férocement jaloux dès le début, mais elle va subir, accepter, pour une bonne part, pour tout un ensemble de raisons, certaines visibles d’autres pas, la vie affective a ses mystères, c’est ainsi. « Jaloux » n’est pas le mot adéquat, car ce qu’elle décrit c’est bien une emprise dont les griffes puissantes ne relâcheront pas leur étreinte.

 

 

Si on en doutait, la diffusion d’un enregistrement vidéo pris par Sébastien lui-même avec son téléphone l’emporte. L’image ne compte pas, il ne filme pas réellement la scène, il prend le son. On est en 2015, l’année terrible, l’année où « tout » s’est aggravé. Et la voix de l’homme nous claque le visage, « Est-ce que j’ai dit ça ? Est-ce que j’ai dit ça ? Est-ce que j’ai dit ça ? Est-ce que j’ai dit ça ? ». On entend sa jeune épouse qui pleure, « arrête », qui gémit, « laisse-moi ». Et son filet de voix nous claque le cœur. Rien de plus violent que la nudité des enregistrements qui nous livrent une tranche de vie saignante, à vif.

 

La fin du huis clos, seconde bascule

 

Il aurait fallu qu’elle parte. Bien sûr, c’est l’évidence pour tous ceux qui ne sont pas sous emprise. Quand on l’est, c’est plus compliqué. Si c’était simple, on le saurait, si c’était simple il y aurait moins de dossiers de violences conjugales. On fréquente assez les salles d’audience pour constater que l’injonction judiciaire reste vaine face à la puissance des rets de l’emprise.

 

Jusqu’ici, donc, et malgré son carafon, Aurore semble subir les choses. Mais son entourage voit tout cela d’un mauvais œil, sa mère en particulier. Le prédateur qu’à ce stade du procès Sébastien semble être, le sent, et s’efforce par tous les moyens de tenir les beaux-parents à distance. L’emprise exige le huis-clos.

 

 

Et s’il y a une seconde bascule qui conduit à la tragédie, c’est bien au moment où la fuite d’Aurore, les appels entre sa mère et la mère de Sébastien, et avec la maman de Quentin, qui appelleront toutes les gendarmes pour crier au-secours, il y a danger, qu’elle s’opère. Le huis-clos a explosé, la parole s’exprime, les forces de l’ordre sont saisies. Mais le discours d’Aurore n’est pas encore mûr, elle n’apporte pas de preuves aux gendarmes ou au moins des éléments matériels à l’appui de ses dires, elle est dans l’urgence, elle craque. Le couple se renvoie des reproches sur deux jours consécutifs, le parquet n’a pas de charges suffisantes et classe sans suite les violences conjugales. N’empêche que l’édifice de Sébastien Chabrier, cette vie réduite à de la suspicion permanente, colmatée avec du chantage, du harcèlement et des accès de violences, qui tenait encore parce qu’il y avait une petite fille et une promesse de vie dans leur pavillon tout neuf, l’édifice est ébréché, et il l’est mortellement.

 

Un arbre qui cachait la forêt

 

 

Aurore Prost a commencé à ouvrir les yeux sur des éléments de réalité qui devront l’emporter sur ce rêve d’une vie auprès de son homme et de cette enfant inespérée, dans une jolie maison, mais elle n’est pas encore dans la lumière, ce ne sont que les prémisses. Elle ne savait pas que Sébastien Chabrier avait proposé qu’elle récupère Méline, le dimanche 30 août. Et puis on lui a dit qu’il avait en tant que père autant de droits qu’elle à être avec son enfant.

 

 

 

De fait, c’est la loi, et on entend trop souvent aussi, des parents dire n’importe quoi pour pourrir l’autre, alors tant qu’on n’a pas d’éléments objectifs suffisants… Et la brûlure sur la main du petit Quentin, qu’Aurore vient reconnaître et regretter à la barre, et sur laquelle Sébastien Chabrier s’est empressé d’orienter les regards, devient alors comme l’arbre qui cache la forêt. On comprend que le processus qui mène à une séparation sécurisée dans ce genre de contexte ne fait que commencer, et c’est encore insuffisant pour que la justice puisse intervenir, c’est ainsi.

 

 

Alors, quand, le lundi 1er septembre, on propose à Aurore de récupérer sa fille, celle-ci se dit que le parquet vient de classer sans suite, que donc on ne considère pas Sébastien Chabrier comme dangereux, que la petite vient de faire sa rentrée, et que si elle l’a le week-end, ça serait « comme le début d’une organisation de la garde de l’enfant ».

 

Un homme sans amis

 

Sébastien Chabrier n’a pas d’amis. Sommé d’en nommer lors de l’instruction, il lâche deux noms : le directeur d’un club en Corrèze, et celui d’un ancien collègue d’une centrale où il fut surveillant de prison pendant 2 ans, son premier métier. Le collègue en fut tout surpris, dit-on, et l’on a de la peine à entendre autant de misère existentielle dans une vie qui du coup ne tenait que par le travail, mais dont le souffle s’amenuisait : Sébastien Chabrier était bien confronté à des problèmes qui généraient « une grande fatigue psychique » mais n’a jamais fait le pas d’aller déposer tout ça franchement chez un psy. « C’était jamais lui, c’était les autres. »

 

 

Le divorce a été prononcé : il fait appel

 

 

On souffre de constater que ce déroulé au 2ème jour de son procès devient cohérent, tout autant que l’impuissance de tous les protagonistes à prévenir le crime. La lecture est faite a posteriori, on a une idée du jus dans lequel tout cela baignait, et la stratégie qui consiste à maintenir sa proie sur des plaques chauffantes est efficace : dévorer l’esprit et l’énergie de l’autre, l’empêcher de penser. On devrait toujours s’interroger quand l’autre vous empêche de penser, sauf que c’est toujours le moment où l’on n’est plus en capacité de s’interroger.

 

 

Dans ces conditions on prend un coup à l’estomac lorsqu’Aurore Prost explique que Sébastien Chabrier, incarcéré et coupable d’un crime sur la personne de leur enfant, « continue à me pourrir la vie ». Son avocat, maître Cuinat, s’avance devant la Cour pour expliquer que le JAF a prononcé le divorce aux torts de monsieur, mais que ce dernier a fait appel, demande l’aide juridictionnelle ce qui retarde encore les choses, donc la liquidation des biens n’est pas possible, « donc ça n’est pas réglé », résume la présidente.

 

Un couteau d’une longueur totale de 26.5 cm

 

Ce matin la Cour a montré des photos de la maison, des pièces, et du lit à barreaux blancs au drap de dessous souillé de sang. Le père avait pris un grand couteau dans le bloc de la cuisine. Ce n’était pas celui qui était à portée de main, il était au fond, sa lame faisait plus de 14 cm. Le père infanticide n’a jamais dit quoi que ce soit de ce qui s’est passé « cette nuit-là » au chevet de ce petit lit.

 

 

Plus les gendarmes resserraient leurs questions, moins ils avaient de réponses. Et même si un des gendarmes a parlé à la barre de la « détresse » de cet homme la journée précédant son acte criminel, détresse réelle, certainement, elle devait être d’une nature particulière car on garde le sentiment ce soir que le « suspicieux » n’a pas supporté que le soupçon subitement braque des yeux luisants sur lui.

 

Florence Saint-Arroman

 

 

 

 

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Mercredi 25 janvier 2018

 

Il fait nuit depuis longtemps quand on quitte la salle d’Assises de Saône-et-Loire ce mardi 23 janvier 2018, rincés, lessivés par cet immense après-midi au cours duquel Sébastien Chabrier, 45 ans, jugé pour le meurtre de sa fille Méline alors qu’elle allait vers ses 3 ans, a persisté dans des « je ne sais pas », « j’ai oublié », « ça fait deux ans ».

 

 

Cette constance rejoindra celles que la présidente Caroline Podevin a énumérées : « Vous avez toujours dit que vous aviez commis un acte odieux, que vous le regrettiez, que vous êtes fou. » Pour le reste, entre imprécisions et incohérences, le discours de l’accusé semble border une boîte noire : on parvient laborieusement à savoir ce qu’il a fait « avant » et « après », mais sur ce qui s’est passé dans la chambre de l’enfant, en cette nuit du 1er au 2 septembre 2015, Sébastien Chabrier n’en dit rien, jusqu’à désincarner et son acte, et sa victime. Les deux reprennent corps avec l’audition du dernier témoin de la journée, un gendarme de la brigade du Creusot.

 

 

 

Dans l’océan glacé de silence du père : la main brûlée de son petit garçon

 

 

Le 30 août, Aurore Prost se présente à la gendarmerie, sur le conseil du maire de Marmagne. Elle ne veut pas déposer plainte, elle s’inquiète que son mari veuille emmener les enfants en Corrèze chez sa mère à lui. Le gendarme appelle illico Sébastien Chabrier, et lui demande de venir à la brigade du Creusot pour s’expliquer, ce dernier obtempère sans difficulté.

 

 

Il vient avec Méline et Quentin. Le couple se renvoie des reproches, et en fin d’après-midi « les collègues de Montchanin ont dit que madame rentrait chez ses parents et que monsieur pouvait garder les enfants ». Sébastien Chabrier remet au gendarme un certificat médical daté du 15 juin 2015 qui atteste de la brûlure de la main droite de son fils infligée par Aurore Prost avec un linge imbibé d’huile chaude. Sébastien, mutique sur son passage à l’acte, en revient toujours à cette brûlure, que son épouse a reconnue pour une maladresse. C’est toujours vers ce fait qu’il veut que les regards se tournent, y compris lorsqu’on lui demandera, plus tard, pendant sa garde à vue, s’il a des éléments « susceptibles de faire avancer l’enquête » : « il y a dans mon disque dur des photos de la main de mon fils ».

 

 

 

Le 1er septembre, Sébastien Chabrier a proposé que la mère récupère sa petite

 

 

A ce stade aucun clignotant ne s’allume autour du sort de la petite fille, et le gendarme transmet la procédure au parquet, qui classe sans suite. Aurore Prost en est un peu déçue et demande alors à revoir son époux en présence des gendarmes, car elle a peur de lui. Le gendarme accepte cette mise en présence, le 1er septembre. Les reproches mutuels reprennent. Aurore Prost n’a qu’un objet : que Sébastien se fasse soigner. Celui-ci propose que la mère récupère sa fille, « ça ne me dérange pas », dit-il. Mais la mère répond « non, non, je la récupèrerai vendredi soir ».

 

 

 

Cette nuit-là le père, pris d’un « coup de folie » dira-t-il, tue sa fille, quitte son domicile en laissant son fils dormir, puis se pose à Antully où il tente, dit-il, de mettre fin à ses jours. Il envoie un SMS au gendarme à 3h28, « allez chez moi – vite- chambre Quentin marquée – sortez-le ».

 

 

 

Le gendarme ne prend connaissance du message qu’au matin. Entretemps Sébastien est repassé chez lui, a réveillé son fils et l’a embarqué, chaussé que d’un pied, au parc des Combes, où il jette une serviette dans laquelle il a vomi (nous y reviendrons). Il dit au petit garçon qu’il a fait « une grosse bêtise », et c’est Quentin qui pousse son père à aller voir les gendarmes. « Il a une position parentalisée, cet enfant », a remarqué la présidente.

 

 

Et « il m’a dit ‘je l’ai tuée’ ».

 

 

 

Le père voulait acheter des chaussures au petit, mais du coup c’est toujours avec une seule chaussure que celui-ci arrive à la brigade. Il est 8 heures du matin, le gendarme se dirige vers la voiture, « pas maintenant, je ne veux pas que mon fils entende », lui dit Sébastien Chabrier.

 

 

Et ensuite, « il m’a dit ‘je l’ai tuée’ ». Le militaire marque un temps, le temps de contenir l’émotion qui monte à ces mots. Il alerte immédiatement la brigade de recherches d’Autun, et informe sa hiérarchie.

 

 

 

Il est en liaison avec le major qui intervient au domicile de Méline, « et je l’entends crier ». Ecraser deux larmes, contenir encore la vague qui monte : il avait vu l’enfant la veille et l’avant-veille, et là il entend le major qui est entré dans la chambre, « crier ». Il place alors Sébastien Chabrier en garde à vue.

 

 

 

La présidente, l’accusé, et la serviette

 

 

A Antully, après avoir commis son crime, Sébastien Chabrier dit avoir voulu mettre fin à ses jours, et avoir beaucoup bu pour se « donner du courage ». L’éthylotest le lendemain matin sera à zéro. Cela fait partie des mystères de la boîte noire que l’auteur garde soigneusement fermée. Il dit vouloir se porter des coups de couteaux, mais son corps n’en a aucune trace, et il dit avoir voulu s’étouffer avec une serviette.

 

 

« Monsieur Chabrier, comment on se suicide avec une serviette ? Je n’ai toujours pas compris, vous n’aviez aucune trace autour du cou, insiste la présidente. ?- Ben, comme j’ai vomi, c’est bien que j’avais fait quelque chose. ?- Est-ce que vous pouvez expliquer ? Répondre à une question précise ?- J’ai tenté un étouffement.?- Mais, comment ? En essayant de l’avaler ?- Je pense que je l’ai attachée derrière la tête, et que j’ai essayé comme ça. C’est loin… c’est pour ça que j’ai vomi. »Il « pense que », il trappe la réponse, et le vomi devient une « preuve ».

 

 

 

 

L’avocat général, l’enquêteur, et le tee-shirt de Méline

 

 

Alors qu’à la barre se tient l’adjudant, enquêteur à la brigade de recherches d’Autun, Dominique Fenogli, avocat général, n’a qu’une question à lui poser : « Le tee-shirt ensanglanté de Méline n’était pas troué (par les coups de couteau, ndla), comment est-ce possible ? – Soit l’auteur l’avait soulevé, soit il l’avait enlevé. – Est-ce que cela est compatible avec un « coup de folie » ? – Non, pas du tout. »

 

 

Maître Nicolle, avocat de l’accusé, reste tassé sur sa chaise les bras croisés et grommelle qu’il ne va pas s’attarder « sur des détails sans importances ». N’empêche, c’est dit.

 

 

Etait-ce un « dîner d’adieu » ?

 

 

Parmi les témoins qui ont défilé à la barre, la patronne du restaurant « Chez Camille » à Arnay-le-Duc, où un père « désemparé » accompagné de ses deux petits « qui n’avaient pas de gilets ou de vestes alors que la soirée était fraîche » s’est présenté à 21h30 le 1er septembre pour dîner. La journée avait été longue, entre rentrée des classes, otite de Quentin, luxation du bras de Méline (« une pronation bénigne et fréquente chez les petits » a dit le médecin qui les avait reçus), et puis tout seul…

 

 

Sébastien a voulu prendre le menu le plus cher, un menu avec plusieurs plats que la cuisine n’était plus en mesure d’assurer à cette heure. Menu pas très adapté du reste à un dîner seul avec deux petits. Et la question se pose alors : était-ce un « dîner d’adieu » ? L’accusé dit que non, mais son silence laisse les questions ouvertes, et les débats qui vont suivre tourneront encore autour des questions sans réponse.

 

 

Sébastien Chabrier, décrit aujourd’hui comme un homme de conflits (familiaux, professionnels), « très procédurier », agressif, asocial, introverti, qui a développé « une paranoïa », qui se sent persécuté, qui avait installé des caméras de surveillance chez lui, extérieures mais aussi intérieures, devra entendre les experts, psychiatre et psychologue, parler de lui. Sans doute les écoutera-t-il comme il a tout écouté mardi : la tête baissée, et en triturant ses doigts, ne levant la tête que pour répondre, « par des déclarations assez imprécises » déplore la présidente de la Cour.

 

 

La petite est morte, mais le cauchemar est vivant.

 

 

Florence Saint-Arroman

 

 

 

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1er article : mardi 23 janvier 2018

 

Il est 9h17 ce mardi 23 janvier 2018 lorsque l’escorte de gendarmes introduit l’accusé dans le box. Il est alors masqué par son avocat, qui, debout, sort ses dossiers et codes de son sac. La salle des Assises de Saône-et-Loire est plus que pleine, le fond est tapissé de gens debout.

 

 

Les parties civiles sont installées sur le banc tout devant à gauche. Les bras sont croisés, les regards graves, la salle est calme. Puis on le voit : gris et grisonnant, il a gardé son anorak. Sébastien Chabrier, né en février 1972 à Tulle va être jugé pour avoir, à Marmagne, dans la nuit du 1er au 2 septembre 2015, volontairement donné la mort à Méline, sa fille. Elle avait 2 ans et demi.

 

Sept personnes se portent parties civiles, dont le propre fils de l’accusé. Il avait alors 7 ans, il est représenté par sa maman, et évidemment absent.

 

L’accusé doit donner son état civil, sa filiation, sa profession, « fonctionnaire des finances publiques ». Il bredouille un peu, il recommencera sous le feu roulant des questions des avocats de la partie civile.

 

Le 2 septembre 2015, Sébastien Chabrier s’est constitué prisonnier à la brigade de gendarmerie du Creusot. Il était 8 heures du matin, son fils était avec lui. Le père a déclaré avoir tué sa fille, l’avoir étouffée et lui avoir asséné des coups de couteau. Il remet aux gendarmes un sachet en plastique avec l’arme dedans. Pendant qu’il parle, des militaires de la brigade de recherches d’Autun foncent au domicile à Marmagne. Ils enfoncent une porte, grimpent jusqu’à la chambre de la petite, tentent une réanimation, constatent son décès. A midi, un médecin légiste de l’Institut médico-légal de Dijon arrive sur les lieux. Il constate 6 plaies sur le thorax de la fillette, dont 4 pénétrantes ayant entraîné de graves lésions internes, des signes « compatibles avec une asphyxie secondaire à une strangulation », et des signes de violences physiques perimortem (qui existent, mais n’ont pas causé la mort). Il conclut sur le rôle prépondérant de la strangulation. Pas de lésion de défense sur l’enfant : elle dormait quand son père est entré dans sa chambre, et elle avait deux ans.

 

Cette tragédie est survenue dans un contexte déjà plein de signaux d’alerte. Violences conjugales et aussi intrafamiliales. Sébastien Chabrier avait eu son fils d’une première union. En 2015 il en avait la garde, il savait que la mère allait saisir le JAF pour la redemander. Méline était née de son union avec Aurore P., rencontrée en 2012 sur leur lieu de travail en région parisienne. Les deux sont mutés dans la région et emménagent dans un pavillon à Marmagne en mars 2015. Ils s’étaient mariés en 2015, « pour la maison » dit l’accusé. Mars 2015 marque aussi le début de l’arrêt de travail de Sébastien, un long arrêt pour dépression, mais il ne prenait pas son traitement, en tous cas pas pendant cet été-là. En guise de signaux d’alerte, sa visite à une de ses médecins : il lui montre les photos de la main de son fils, brûlée avec de l’huile chaude par sa belle-mère qui voulait lui montrer… que ça brûle. Et puis les contacts avec la gendarmerie. Le 30 août, Aurore P. se présente pour dénoncer les violences dont elle se disait victime, mais ne souhaite pas déposer plainte. Sébastien avait déjà été convoqué à ce sujet, n’avait pas reconnu de violences, mais avait dénoncé les faits de maltraitance de sa femme à l’encontre de son fils. Le 30 août le parquetier de permanence classe sans suite : insuffisance de charges. Le 1er septembre, les époux sont entendus, et se reprochent des mensonges réciproques. Sébastien pense que la séparation est inévitable. Dans la nuit, un des gendarmes recevra un texto, à 3h28. Sébastien Chabrier lui écrit de se rendre en urgence à son domicile. Méline est morte. Le père est devenu un père infanticide.

 

La présidente de la Cour, Caroline Podevin, interroge l’accusé. « Je ne souhaite pas m’exprimer sur les faits qu’il y a eu avant le meurtre perpétré sur ma fille (on entend « par ma fille », on n’est pas sûr d’avoir bien entendu). » Il ne le souhaite pas, mais bon an mal an va le faire, guidé par les questions de la présidente : elle est la seule a avoir connaissance de la procédure, il faut que ses assesseurs et les jurés la découvre à travers les récits des uns et des autres. On apprend que le dimanche 30 août, une dispute de trop et Aurore P. quitte le domicile, se réfugie chez ses parents. Le père va préparer et assurer la rentrée des classes des deux enfants tout seul. Il achètera, le lundi matin, des chaussons pour Méline qui va à la maternelle. Mais sur bien des points, « je ne me rappelle pas », « j’ai oublié », « je ne sais plus », « je le sais parce que c’est dans les auditions ». Sauf ceci : « J’ai une image où je suis sorti de la chambre de ma fille, un couteau à la main, je tremblais. »

 

L’accusé parle comme si un pan de lui-même avait sombré dans l’abyme du meurtre, disparu en même temps que l’enfant, que sa fille. C’est pourtant ce pan qui est au cœur du procès qui s’est ouvert ce matin, et les débats sont déjà orientés vers la question de la préméditation, du choix de cet enfant là et pas de l’autre, de ses velléités suicidaires non suivies d’effet, « j’ai manqué de courage ». « Cela signifie-t-il que vous avez fait preuve de courage quand vous avez planté un couteau dans le thorax de votre fille ? » bondit un avocat de la partie civile. L’homme dans le box vacille, se remet à bredouiller. Il est en prison depuis deux ans et demi, soit autant que la vie de cette enfant. Il a dit que « Méline était une enfant adorable », et il a répété : « je me rappelle avoir tremblé ».

 

Florence Saint-Arroman

 

 

 

 

tribunal 0310172

 

 

 



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Un commentaire sur “Réactualisé ce samedi à 04 h 54 : Assises : meurtre de la petite Méline..”

  1. albatros.71@hotmail.fr dit :

    Bonsoir, je suis extrêmement écoeuré et bouleversé. Cette pauvre enfant ne demandais rien sauf si ce n’est que dormir et ce père abonninable et sans scrupules ce jette sur son enfant pour venger sa relation avec la personne avec qui il pensait faire sa vie. J’ai envie de gerber et milles excuses pour ce terme mais là aucune pitié et croyez moi vous avez mon adresse mail ce père mérite emplement la peine que le juge d’instruction donneras. Affaire à suivre.