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mercredi 17 décembre 2025 à 04:43

La Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC)

Entre impératifs sanitaires, enjeux commerciaux et crise agricole



 

 Depuis des jours et des jours, les journaux télévisés, radiophoniques et écrits nous rebattent les oreilles avec la Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC). Des affrontements graves se produisent entre le monde paysan et les forces de l’ordre à chaque fois, ou presque, qu’un troupeau entier doit être abattu dès que l’on détecte, ou même soupçonne, un cas de DNC dans une exploitation. Comme toujours les thèses s’affrontent, le ressenti, le sensationnel et la priorité au direct dominent les débats. Mais qu’est-ce que la DNC, pourquoi est-elle dangereuse, pourquoi faut-il abattre les bêtes malades et saines d’un même troupeau, pourquoi ne vaccine-t-on pas l’ensemble des bêtes, pourquoi les syndicats agricoles ne sont-ils pas tous d’accord sur le sujet ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles Montceau News va essayer de répondre, dans la limite de ses modestes moyens, afin que tout le monde sache et comprenne de quoi il s’agit en réalité.

La Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC), ou Lumpy Skin Disease (LSD), est une maladie virale bovine d’origine africaine qui s’est étendue à l’Europe ces dernières années, frappant la France pour la première fois en 2025. Face à cette épizootie, les autorités ont mis en œuvre une stratégie radicale, mais vivement contestée, qui met en lumière un arbitrage complexe entre la protection du statut commercial de la filière et la survie des exploitations individuelles.

Comprendre la menace car la DNC est un fléau viral majeur mais qui ne présente aucun risque humain.

 

La DNC est provoquée par un capripoxvirus, entraînant fièvre, l’apparition de nodules cutanés et muqueux, une chute de lactation, et parfois une mortalité, avec un impact économique significatif sur l’élevage. Le virus se propage principalement par des insectes hématophages (stomoxes, taons, moucherons Culicoides). La transmission est donc largement vectorielle, rendant le confinement et l’isolement des animaux complexes. La DNC est non zoonotique, donc il est crucial de noter, comme l’affirment l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA/WOAH) et l’EFSA, que la DNC n’est pas transmissible à l’homme. La viande des animaux infectés reste consommable sous contrôle vétérinaire, soulignant que la crise est purement zoosanitaire et économique.

 

Qu’en est-il du cadre réglementaire européen ? La DNC est classée maladie de catégorie A dans le Règlement européen sur la santé animale (AHL). Ce statut impose une obligation d’éradication immédiate dès sa détection dans l’Union, justifiant les mesures drastiques de déclaration obligatoire, de restrictions de mouvements et, souvent, d’abattage. Pourtant il est attesté par certaines organisations syndicales que des camions de transport de bovins traversent la France, la question se pose donc de l’application des restrictions pour certains. Les transports autorisés sous conditions alimentent cependant des critiques sur l’application inégale des mesures.

 

La stratégie française est simple et sans appel : abattage total et vaccination ciblée.

Face à l’apparition de plus de 113 foyers confirmés fin 2025, le ministère de l’Agriculture a opté pour un plan de lutte strict, combinant deux piliers majeurs.

D’abord le choix de l’abattage systématique : objectif zéro virus La France applique un abattage systématique (dépeuplement total) de tous les bovins de l’exploitation dès la détection d’un foyer. Ensuite le second pilier, la vaccination ciblée pour éradiquer la DNC, conformément à son classement européen en catégorie A.  La vaccination n’est pas généralisée : elle sert à créer des cordons sanitaires autour des foyers, sans lever les restrictions de circulation.

La stratégie française d’abattage total des troupeaux bovins infectés par la Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC) est l’objet d’un débat houleux. Elle repose sur des impératifs légaux et sanitaires, mais elle est vivement critiquée pour ses conséquences sur le terrain.

Les arguments en faveur de l’abattage (ligne officielle). Le gouvernement et la ministre de l’Agriculture prônent l’application stricte du cadre européen qui comprend l’abattage des troupeaux infectés plus la vaccination ciblée car la priorité est donnée à l’éradication rapide et au maintien du statut sanitaire, avec indemnisation des éleveurs. La fraction présidentielle au Parlement et la droite gouvernementale apportent un soutien global à la ligne sanitaire officielle, tout en demandant une accélération des indemnisations et une meilleure gestion opérationnelle. La gauche, les écologistes, LFI, LE PCF et certains élus ruraux : critiques de l’abattage systématique, plaidoyer pour la vaccination de masse, des mesures proportionnées et une meilleure prise en compte du traumatisme et des pertes des éleveurs. Le PS ne remet pas frontalement en cause l’abattage systématique pour une maladie de catégorie A, mais plaide pour une évolution du cadre européen permettant une vaccination plus large et anticipée lorsque des vaccins efficaces existent. Il insiste surtout sur une proportionnalité des mesures, une meilleure concertation avec les éleveurs, et sur des indemnisations rapides, intégrales et un accompagnement psychologique renforcé.

 

Le gouvernement et les autorités sanitaires justifient cette mesure radicale par trois raisons principales. En premier l’impératif légal européen : la DNC est classée en catégorie A dans le règlement européen sur la santé animale. Cette classification impose aux États membres, dont la France, une obligation d’éradication immédiate, ce qui est interprété par les autorités comme l’abattage systématique des animaux susceptibles d’être contaminés pour éliminer le foyer. En second, la raison sanitaire et épidémiologique : L’abattage total vise à éliminer immédiatement la source virale. Étant donné que la DNC est transmise par des insectes vecteurs (mouches, moucherons) et que des bovins peuvent être porteurs du virus (en incubation ou avec des signes discrets) sans être cliniquement malades, seul le dépeuplement de l’unité épidémiologique est jugé suffisamment efficace pour stopper la propagation à d’autres troupeaux. Et en troisième, cette raison pèse lourd, semble-t-il, dans leur prise de position, l’objectif commercial stratégique : cette approche radicale permet à la France d’espérer retrouver le plus rapidement possible son statut d’« indemne de DNC sans vaccination » auprès de l’OMSA (Organisation mondiale de la santé animale). Ce statut est capital pour garantir les exportations de bovins et de produits bovins vers les pays tiers, protégeant ainsi l’économie globale de la filière.

 

Face à cette position et ces trois raisons, les éleveurs et les syndicats minoritaires dénoncent un manque de proportionnalité et une violence injustifiée de la part de l’État. Ils mettent en avant l’injustice et le trauma humain. L’abattage total entraîne la destruction non seulement des animaux malades, mais aussi des animaux sains et même, dans certains cas, des bêtes récemment vaccinées (comme cela a été observé dans le Doubs en 2025). Cela anéantit un patrimoine génétique sélectionné sur des décennies, il faut entendre cet argument car il participe aussi à l’excellence de la filière et à la lutte sanitaire. Pour eux cela provoque un traumatisme psychologique majeur pour les éleveurs. Concernant le manque de proportionnalité sanitaire, ils rappellent que la DNC est considérée comme une maladie à faible mortalité. Les critiques réclament l’abattage sélectif des seuls animaux cliniquement malades, ou un isolement strict, arguant que l’éradication ne devrait pas nécessiter un tel sacrifice si des alternatives comme la vaccination et l’isolement existent. Et il y a toujours la critique récurrente dans ce domaine comme dans celui de la signature de traités d’échanges internationaux, ils protestent vivement contre la rigidité excessive au profit du commerce. Cette politique est perçue comme une surtransposition de la réglementation européenne. Les éleveurs estiment que l’État sacrifie de manière disproportionnée les exploitations individuelles et le cheptel local au profit de l’économie d’exportation globale, un arbitrage jugé inacceptable et « schizophrène ».

 

Sujet de controverse et d’affrontement, la vaccination. Elle est obligatoire mais non généralisée. La vaccination, utilisant des vaccins vivants atténués très efficaces pour réduire l’incidence et la sévérité des cas, est rendue obligatoire et financée par l’État dans les seules zones réglementées autour des foyers.

Pourquoi la vaccination anti-DNC n’est-elle pas générale en France ?

La décision de l’État de limiter la vaccination contre la Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC) à des zones réglementées, sans la généraliser à l’ensemble du territoire national, est un point de friction majeur. Cette stratégie repose sur des considérations économiques et logistiques, mais elle est perçue par de nombreux éleveurs comme inefficace et contradictoire.

 

La stratégie du ministère de l’Agriculture et des grands acteurs de la filière s’appuie sur deux piliers pour justifier leur position antivaccination généralisée. L’argument principal est commercial. L’instauration d’une vaccination généralisée obligerait la France à déclarer un statut de pays « vacciné » auprès de l’OMSA (Organisation mondiale de la santé animale). Cette désignation entraînerait la fermeture automatique de nombreux marchés d’exportation pour les bovins français en dehors de l’Union européenne, représentant une perte d’avantages commerciaux jugée majeure et stratégique pour l’équilibre de la filière. Il y a aussi un problème logistique et de coût. La vaccination de l’intégralité du cheptel français, qui compte plus de 16 millions de bovins, représenterait un défi logistique et financier extrêmement lourd à mettre en œuvre et à maintenir sur le long terme.

Ce type d’argument a du mal à passer auprès de certains syndicats d’éleveurs, de certains partis politiques qui présentent donc une contre-argumentation. Les éleveurs et les syndicats contestataires (Confédération paysanne, Coordination rurale) dénoncent une stratégie inefficace et moralement intenable. Pour eux, la stratégie du ministère de l’Agriculture et des grands acteurs de la filière présente une efficacité sanitaire faible. Le « mur vaccinal » ciblé autour des foyers est jugé insuffisant pour stopper une maladie transmise par des insectes vecteurs, en effet ces derniers ne respectent pas les zones administratives par nature. La preuve en est, selon les critiques, la propagation du virus vers de nouveaux départements, signe que la stratégie ciblée est en échec. Ils évoquent un paradoxe « schizophrène ». Il est pointé du doigt que l’État accepte de décimer des milliers de bêtes (plusieurs milliers abattues en 2025) au nom de la protection d’un statut commercial, alors que la vaccination est le seul moyen éprouvé (comme ce fut le cas dans les Balkans) d’arrêter efficacement une épizootie vectorielle. Cet arbitrage est perçu comme une violence qui privilégie l’économie d’exportation à la survie et au bien-être des exploitations.

 

La gestion de l’État et son soutien par des grands acteurs de la filière créent des divergences syndicales et provoquent une grave crise de confiance. La politique gouvernementale a créé une profonde fracture dans le monde agricole. La FNSEA (syndicat majoritaire), bien qu’exprimant leur solidarité et réclamant des indemnisations rapides et justes, soutient globalement la ligne gouvernementale qui protège l’intérêt commercial et les exportations de l’ensemble de la filière. La Confédération paysanne et la Coordination rurale se présentent comme les porte-voix de la contestation, ils dénoncent un « massacre » et une politique de « terre brûlée ». Ils réclament l’accès au vaccin pour tous, l’abattage sélectif et une gestion moins traumatisante pour les éleveurs.

 

Dans ce contexte, des éleveurs et syndicats ont saisi les tribunaux administratifs (TA) pour contester la légalité et la proportionnalité des arrêtés préfectoraux d’abattage. Les TA ont souvent rejeté les référés en rappelant que l’abattage total est une obligation découlant du cadre européen pour les maladies de catégorie A.

L’État a mis en place un dispositif d’indemnisation prenant en charge l’abattage et le déficit de production, avec des mesures d’accélération des avances de trésorerie. Cependant, des retards, des lenteurs administratives et des complexités sont régulièrement dénoncés par les éleveurs touchés.

 

Lorsque la contestation met le doigt sur la rigidité excessive de la politique suivie, il est bon d’aller voir ailleurs si cette critique est fondée, voir comment se positionne la France face à l’expérience européenne.

La stratégie d’éradication choisie par la France en 2025 s’inscrit dans un cadre européen, mais elle contraste avec les approches adoptées par d’autres pays confrontés historiquement ou récemment à la Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC). Dans les Balkans entre 2015 et 2017, la stratégie principale pour la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, etc. a été d’avoir recours massivement à la vaccination de masse généralisée. Les résultats obtenus sont parlants mais doivent être nuancés. L’éradication de l’épizootie a été obtenue grâce à une très large couverture vaccinale, prouvant l’efficacité de cette méthode pour le contrôle d’une maladie vectorielle. Cette approche a néanmoins été menée au détriment du statut commercial temporaire de ces pays.

En Italie, en 2025, le pays a mis en œuvre une combinaison d’abattage en foyer et de vaccination ciblée autour des zones de détection. Il s’agit d’une stratégie similaire à celle de la France, bien que le contexte épidémique et géographique soit différent (avec des foyers signalés, par exemple, en Sardaigne et en Lombardie).

 Dans d’autres épizooties, certains pays ont choisi des stratégies médianes. Plusieurs pays européens ont déjà privilégié la vaccination de masse ou large lors d’épizooties : les Pays-Bas (fièvre aphteuse, 2001) et surtout l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France elle-même lors de la fièvre catarrhale ovine (2006-2010), avec un net recul de la maladie sans abattage systématique.
L’Italie et l’Espagne ont également utilisé des stratégies vaccinales étendues pour des maladies animales réglementées, notamment vectorielles, afin de freiner la diffusion.
Ces précédents sont souvent cités pour souligner qu’une approche vaccinale pragmatique peut être efficace, même si le cadre européen reste plus strict pour les maladies classées en catégorie A comme la DNC.

 

La position française, focalisée sur la préservation du statut d’exportateur, se trouve ainsi en contradiction avec l’approche plus pragmatique de vaccination de masse adoptée par d’autres pays européens lors d’épidémies passées, qui avaient réussi à stopper la progression de la maladie sans l’abattage systématique.

 

En conclusion, l’épizootie de DNC met la France face à un dilemme : préserver l’accès aux marchés mondiaux en appliquant une éradication forcée dévastatrice pour les éleveurs, ou privilégier la santé et la survie des troupeaux par une vaccination généralisée, quitte à perdre temporairement son statut d’exportateur. Le débat est loin d’être clos.

 

 Gilles Desnoix

 

 

Sources principales citées : ministère français de l’Agriculture (points de situation et modalités d’indemnisation), EFSA/documents européens sur la DNC, WOAH (ex-OIE) sur la non-zoonose, études sur les vecteurs (stomoxes, taons, moucherons), texte/arrêté fixant les modalités financières. Légifrance, ministère de l’Agriculture, European Food Safety Authority, Parlement européen, animal-diseases.efsa.europa.eu, PubMed, Sud Radio, CNEWS, La France Agricole, FNSEA, confederationpaysanne.fr, Food Safety, ndfr.nl, draaf.bourgogne-franche-comte.agriculture.gouv.fr, PMC, BLV, efsa.onlinelibrary.wiley.com

 

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