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mercredi 12 novembre 2014 à 08:29

Du côté de la librairie…

Envie de lire… de la littérature étrangère



 


Envie de lire… de la littérature étrangère

 

Parcourons cette semaine l’Australe rurale des années 40, les tréfonds de l’Amérique fervente et des montagnes de l’Arizona, avant de nous perdre dans les landes inhospitalières d’une île britannique, face au désespoir des uns et aux illusions des autres. Une sélection étrangère assez noire !

 

 

 

Georges Dawes Green, auteur du roman « La jurée » qui a été adapté au cinéma, nous revient avec un polar décalé intitulé « Jackpot », dont l’humour noir se rapproche de celui des frères Cohen.

 

 

La famille Boatwright vient de remporter les 318 millions de dollars de la loterie de Géorgie. Tara la fille, Jase le fils, Patsy la mère et Mitch le père se retrouvent devant une fortune colossale qui va attirer les convoitises les plus malsaines. Appâtés par le jackpot, deux minables en route vers la Floride, Shaw et Romeo, vont imaginer un plan diabolique pour avoir leur part du gâteau. Shaw se fera passer pour un représentant des jeux et séquestrera la famille. Pendant ce temps, Romeo rôdera dans sa voiture, prêt à tuer oncle, tante, grand-mère ou meilleure amie pour les maintenir sous leur coupe. Mais si tout se passe comme prévu au début, très vite la situation va se fissurer. D’abord parce que Romeo, entièrement sous l’influence de Shaw, va petit à petit comprendre qu’il est lui-même manipulé et que la situation est sans issue. Ensuite parce que ce même Shaw, face à la toute-puissance supposée que lui donne l’argent, va perdre pied et se transformer en ange rédempteur.

 

On assiste ici à un tour de génie de l’auteur, qui nous amène presque à aimer Romeo, prenant le dénouement de l’histoire presque comme une injustice face celui qui a été autant maltraité que les otages par un Shaw halluciné. George Dawes Green décrit ici une Amérique pétrie de religion, excessive et prête à trouver des Messie partout, même dans le pire des individus, pourvu qu’il sache faire miroiter le Ciel. Il nous entraîne aux côtés de ces deux individus, reléguant presque au second plan la famille séquestrée et ses principes. Tout comme la voiture de Romeo autour de la ville, nous partons dans une ronde infernale qui se termine forcément mal…

 

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Georges Dawes Green. Jackpot. Paris : Livre de Poche, 2014. 423 p. 13.60 €

 

Justin St. Germain propose ici une histoire vraie : la sienne. Celle d’un enfant né d’une arme, comme le dit le titre. 2001 : nous sommes à Tombstone en Arizona. Debbie, la mère de Justin, est retrouvée morte dans sa caravane, le corps criblé de balles. Son cinquième mari, Ray, est introuvable.

 

Le roman décrit la longue quête de Justin pour comprendre ce qui a conduit sa mère à être assassinée. Il va aller de beau-père en ancien petit ami, de maison en caravane, sur les traces de cette femme instable et fragile, mais aimante. Sans complaisance ni pour lui ni pour les autres, il dresse un portrait ultra-réaliste de cette Amérique profonde et de ses habitants liés à l’histoire locale : que Debbie ait été tuée dans la ville qui le théâtre de la légendaire fusillade d’O.K. Corral prend alors une toute autre dimension.

 

Férue de littérature américaine contemporaine, j’ai découvert ici un auteur attachant, à l’histoire cassée, mais dont il se détache juste assez pour nous laisser rentrer dans son histoire. On sent ses fêlures, ses blessures, sans pour autant avoir envie de s’apitoyer sur son sort. Son écriture sobre, mais attachante, nous laisse suffisamment de latitude pour nous approprier son histoire et surtout celle de sa mère. J’ai cependant été un peu déçue par la longueur de ce livre, qui aurait pu mériter quelques pages de moins : les retrouvailles successives avec les anciens maris ou amis de sa mère auraient supportées des allègements, d’autant que l’on comprend assez vite sa personnalité et les raisons pour lesquelles elle a atterri à Tombstone. En revanche, le dénouement n’est pas là, puisque dans l’histoire même de Justin, celui-ci n’existe pas. Sa mère est morte. Pourquoi Ray l’a-t-il tuée ? Il ne le saurait probablement jamais.

 

 

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Son of a gun. Justin St Germain. Paris : Presses de la cité, 2014. 319 p. 20 €

 

 

Etrange livre que celui-ci, qui m’a laissé sur ma faim. Jake, jeune Australienne, s’est réfugiée sur une île britannique où elle s’occupe seule d’un élevage de moutons. Le jour où plusieurs de ses bêtes sont sauvagement mutilées, la police locale ne semble pas prendre sa plainte au sérieux. Pourtant Jake se sent menacée et se demande si son passé mouvementé et douloureux ne l’a pas rattrapée. En proie à la violence et au désir des hommes, Jake n’est cependant jamais une victime : elle prend sa vie en main pour pouvoir oublier, part, décide de se reconstruire, fonde de nouvelles relations.

 

La construction de ce roman est particulièrement intéressante : composé de flash-back de plus en plus rapprochés, il fait s’entrechoquer le passé de Jake avec sa vie actuelle, rembobinant progressivement la vie de la jeune femme de son arrivée sur l’île jusqu’à son enfance. Si l’on a tendance au début de la lecture à revenir sur ses pas pour comprendre l’enchaînement des faits, on se prend vite au jeu de ces instantanés qui nous ramènent à l’origine de son départ d’Australie et qui éclairent peu à peu la personnalité de cette femme secrète. Le passé semble s’accélérer au fur et à mesure des pages. Cependant, autant cette lecture m’a passionné dans l’explication de ce passé, autant les dernières pages m’ont conduites à penser que j’avais loupé un épisode tant la fin m’a parue étrange. En tout cas ce roman qui se veut noir a cependant un côté lumineux et humain indéniable qui fait que l’on a du mal à le poser avant d’avoir lu la dernière page. A découvrir car parfaitement maîtrisé.

 

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Tous les oiseaux du ciel. Evie Wild. Paris : Actes Sud, 09/2014. 285 p. 21.80 €

 

 

Dernière proposition pour cette chronique : Eden-Ville de Patrick White. Réédition d’une œuvre publiée en 1939 sous le titre Happy Valley (« Du monde entier » édité en 1951 en français), c’est le premier roman écrit par Patrick White, écrivain australien prix du Nobel de littérature en 1973.

 

Eden-ville est le nom donné par les chercheurs d’or à une petite ville d’Australie. La vie s’y déroule désormais selon le rythme imposé par les saisons : l’hiver est glacé et l’été est torride. Cette saison voit revenir chaque année un esprit de folie qui anime les habitants. On découvre que le docteur, dont la femme phtisique dépérit à la maison, découvre l’amour dans les bras d’une couturière professeur de piano, tandis que l’instituteur étrangle sa femme qui le trompe avec le régisseur de riches colons. Et quand revient l’hiver, la folie disparaît. Chacun retrouve son calme et la vie reprend son cours. Ainsi, toutes les grandes rebellions, digressions ou envie d’évasion estivales disparaissent, noyées dans la routine ou la lâcheté, la soumission et le nécessaire devoir.

 

Je l’avoue, cela n’a pas été la meilleure lecture de la semaine, et j’ai eu bien du mal à lire ce roman, dont les tirets des dialogues ont été oubliés. Cela peut paraître anecdotique, mais ce parti-pris m’a personnellement beaucoup gênée. Il ne donne pas beaucoup de respiration au livre et alourdit la lecture. L’écriture est très caustique, assez recherchée, et si les portraits des différents protagonistes sont méticuleusement brossés, il ressort comme un malaise, une impression de raté de la vie.

 

 

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Eden Ville. Patrick White. Paris : Gallimard, 2014. Coll. L’imaginaire. 438 p. 11 €

 

Véronique Décrenisse-Kieny

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 






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