Vous avez adoré « ma femme a du crédit »
Vous allez adorer « votre score Schufa »
Ma femme a du crédit est un documentaire YouTube pour LCP réalisé par un français qui suit dans une société entièrement placée sous surveillance en Chine. Il a filmé le quotidien de son épouse Lulu et des chinois confrontés à un système intrusif qui juge leurs vies chaque jour, chaque heure, chaque seconde grâce à une surveillance tous azimuts adossée à une révolution technologique et sociale impactante. Sans allez si loin et si intrusivement dans tous les détails de la vie, l’Allemagne a développé un système un peu comparable concernant la solvabilité et le pointage de crédit des citoyens ou des étrangers régulièrement installés au travers de ce qui dénommé valeur de score.
Qu’est-ce que c’est et comment ça fonctionne ?
1927 : 2 employés de la BEWAG (Berliner städtische Elektrizitäts-Aktiengesellschaft), société d’électricité proposant des services de paiements à crédit ont créé une association « la Schufa » (Schutzgemeinschaft für allgemeine Kreditsicherung) un organisme aux crédits et permettant de contrôler la solvabilité des clients de Berlin.
1952 : développement dans toute l’Allemagne de l’ouest (RFA)
2000 : changement de statut en une société anonyme (Aktionsgesellschaft) réunissant tous les organismes régionaux. Elle devient la Schufa Holding A.G.
Aujourd’hui : la Schufa enregistre les données concernant au moins 68 millions de personnes, les trois quarts de la population allemande. Tous nouveaux résidents désirant contracter un prêt, ouvrir un compte en banque ou un forfait de téléphone sont inscrits automatiquement dans cette société.
La « Schufa Auskunft » ou informations de crédit suit le client toute sa vie ou pour les résidents le temps de leur séjour. Ce pointage de crédit (Kreditwürdigkeit) mesure la fiabilité du demandeur, du client au niveau de ses obligations financières et donc de sa capacité à rembourser un prêt par exemple. Mais en fait cela va beaucoup plus loin puisque les loueurs, les magasins d’électro-ménagers s’en servent aussi, et ils ne sont pas les seuls. Ce score de solvabilité s’établit en pourcentage. 100 % lors-qu’aucune dette n’a été enregistrée et c’est à partir de lui que les banques accordent ou refusent des crédits, cela joue aussi pour la location d’un appartement, l’achat en plusieurs fois d’électro ménager, les abonnements téléphoniques, etc…Toutes créances honorées, les données seront effacées au bout de trois ans maximum,
C’est un système assez opaque maintenu dans l’opacité volontairement par la Schufa qui prend comme excuse que « « Si le modèle de calcul était totalement ouvert, le score pourrait être manipulé et n’aurait donc plus aucune valeur …/.. la formule est « connue de l’autorité compétente en matière de protection des données et contrôlée par celle-ci et par des scientifiques indépendants ». Donc « circulez il n’y a rien à voir. » Chacun peut connaître son score Kreditwürdigkeit, gratuitement sous trois mois, immédiatement en payant
Au contraire du système français qui travaille sur l’incident bancaire, donc rétroactivement avec l’inscription à la banque de France, le système allemand lui va prémunir le système en attribuant un score à chaque client ou résident en Allemagne. Ça va beaucoup plus loin et plus intrusivement. En France pas d’inscription en Banque de France, aucun score venant vous évaluer. En Allemagne vous êtes fiché à vie.
Un jugement de la CJCE en date du 7 décembre 2023
Concernant le Score Schufa la Cour de justice de la communauté Européenne (CJCE) a été saisie de deux affaires :
– une femme à qui ont a refusé un crédit, de supprimer une inscription et de lui donner accès à ses données. C’est le tribunal administratif de Wiesbaden devant qui la requête avait été portée qui a soumis l’affaire devant la CJCE afin de clarifier le rapport avec le règlement général sur la protection des données (RGPD).
– concernant le stockage de données issues de répertoires publics, tels que les registres d’insolvabilité la question posée est « la Schufa peut elle exploiter les données relatives à l’insolvabilité des consommateurs et les conserver encore plus longtemps que les tribunaux. »
Le jugement est très clair, les juges ont alors précisé qu’il est contraire au RGPD que les agences de crédit privées conservent ces données plus longtemps que les registres publics d’insolvabilité. En effet, l’effacement des dettes doit permettre à la personne concernée de participer à nouveau à la vie économique ; or, lors de l’évaluation de la solvabilité, cet élément est toujours utilisé comme un facteur négatif.
Ensuite et ils ont décidé que si la conclusion d’un contrat dépendait de manière déterminante du score Schufa, cela contrevenait au RGPD et qu’il devait donc être mis un terme à cette pratique.
Une victoire pour les uns, une semi défaite pour les autres et un casse tête pour tous ceux qui utilisaient le score Schufa comme seul critère, bien que tous s’en défendent. Mais en effet cela aura des conséquences pour de nombreuses entreprises qui se fiaient jusqu’à présent à l’évaluation de la Schufa.
Il appartient maintenant au système judiciaire allemand de décider des cas concrets en tenant compte de la décision de la CJCE.
Se méfier du citoyen ce n’est pas pareil que contrôler les actes des mauvais payeurs à posteriori car tous ne sont pas de mauvais citoyens et beaucoup de « mauvais payeurs » n’ont pas choisi de l’être.
Deux choix de sociétés l’une anglo-saxon et l’autre latine. Les Français de par leur histoire et leur attachement à la liberté individuelle au sein de garanties protectrices communes n’acceptent pas le « fichage », ils s’en plaignent très souvent.
Gilles Desnoix