« Devoirs de vacances » par Patrice Lardeau (ex-IFREMER)
Pas étonnant de la part d'un tel scientifique
Hier, vous avez pu lire ici le cri d’alarme (d’actualité) poussé par un chercheur : ancien membre de l’IFREMER, qui attirait notre attention sur des petits gestes de la vie courante qui nous semblent anodins mais ont pourtant des répercussions graves sur notre environnement.
Jean-Michel Lendel, pour rédiger son article, a du synthétiser le fruit de plusieurs années de recherches mais il nous a semblé intéressant et surtout fort utile (pour une meilleure appréhension du problème) de publier le résultat de ce travail aussi titanesque qu’édifiant.
« Cela commence comme un exercice de mathématiques. Les données marquées d’une* sont des statistiques officielles que l’on peut retrouver sur différents sites d’internet Soit une région, Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui a un linéaire de côtes de 687 km* et dont les plages constituent l’un des principaux atouts touristiques
La population permanente des communes littorales peut être estimée à 3,5 millions d’habitants* et on évalue à 20%* la part de ces résidents qui fréquentent régulièrement les plages des 3 départements côtiers (Bouches-du-Rhône, Var et Alpes-Maritimes) pendant, environ, 100 jours* par an. Cela correspond à l’équivalent de 70 millions de nuitées.
Première région en France, en terme de fréquentation touristique, elle accueille, en outre, 34 millions* de visiteurs par an, pour une durée moyenne de séjour de 7 jours*, ce qui représente, annuellement, 220 millions* de nuitées et les études montrent que 65%*de l’économie touristique régionale concernent les communes littorales. On en déduit que le nombre de nuitées liées directement à la fréquentation des plages est de l’ordre de 143 millions auxquels il faut ajouter les 70 millions correspondant aux résidents permanents. On atteint le chiffre global de 213 millions de nuitées.
Sachant que :
chaque touriste élimine quotidiennement 2 litres d’urine dont 1 litre* entre 10 et 18 heures (le plus souvent lors de ses baignades car la plage qu’il fréquente n’est pas équipée en toilettes publiques),
chaque touriste utilise, en moyenne, 1 flacon d’huile solaire de 300 ml par quinzaine*,
En vous aidant des données disponibles, vous calculerez l’impact écologique de l’activité préférée des Français pendant leurs vacances estivales.
CORRIGE
Un calcul simple permet de chiffrer la quantité d’urine rejetée, chaque saison, dans le milieu marin :
Pour la fréquentation, le chiffre pertinent à retenir est celui des nuitées puisque l’on comprend bien qu’un touriste venant huit jours sur la plage a le même impact que 8 touristes fréquentant le littoral pendant une journée.
En ce qui concerne ce que l’on peut, pudiquement, appeler les « pipis dans l’eau », nous devons donc retenir une quantité rejetée, annuellement, dans l’étroite zone de baignade, de :
213 000 000 x 1 litre = 213 000 000 litres ou 213 000 mètres cubes
Soit 7100 wagons citernes de 30 mètres cubes chacun, constituant un train d’une longueur de 100 kilomètres. Par delà l’aspect quantitatif, qui, avouons- le, est impressionnant, il faut évoquer l’aspect qualitatif. L’urine contient, entre autres substances, des phosphates, des sulfates et des nitrates, en quantités variables. Autant de substances que l’on retrouve dans l’ensemble des engrais, utilisés dans l’agriculture car ces mêmes substances sont indispensables à la croissance des végétaux.
L’arrivée, dans le milieu marin, d’une telle quantité de nitrates et de phosphates, notamment, va constituer, pour la flore sous-marine particulièrement riche et abondante dans les 25 premiers mètres sous la surface (il s’agit de la zone bénéficiant de l’énergie solaire indispensable au phénomène de la photosynthèse), un apport en nutriments exceptionnel qui va se traduire par une accélération du métabolisme et une prolifération des espèces végétales. Dans les zones les moins battues, le risque d’eutrophisation va devenir pressant.
Mais les dégâts risquent de ne pas se limiter à ce phénomène. En effet, à l’issue de la saison chaude, lorsque va cesser cet apport exceptionnel en nutriments, cette flore, en pleine exubérance, va, progressivement, s’étioler et un grand nombre de ces végétaux va mourir. Leur décomposition va favoriser la croissance de bactéries hétérotrophes qui vont consommer une grande quantité d’oxygène. La quantité d’oxygène dissous dans l’eau étant limitée (30 fois moins que dans le même volume d’air)*, cette surconsommation va entraîner un déficit pour les autres organismes vivants, dont certains vont mourir par anoxie.
En ce qui concerne les huiles solaires, un simple calcul permet de déterminer que, durant la saison estivale, il est utilisé, en moyenne, 2 840 000 litres de produits solaires soit, si l’on reprend le postulat d’une saison de 100 jours, environ 28 400 litres par jour, une part significative de ces produits étant constituée par les huiles solaires.
Or, il faut savoir qu’en raison de la différence de densité entre l’eau et l’huile cette dernière se dépose à la surface de l’eau, en couche mono-moléculaire. L’extrême finesse de cette couche superficielle fait que 1 ml d’huile peut couvrir 1000 m².*
Les nuisances engendrées par cette pollution quasi-invisible (sauf à la tombée du jour quand vous pouvez observer, en lumière rasante, une couche irisée à la surface de l’eau) ne sont pas d’ordre chimique mais relèvent de la physique et sont de deux types.
Le premier concerne les échanges gazeux qui se produisent continuellement entre la mer et l’atmosphère, au niveau de la surface de l’eau. Ces échanges sont complexes, mais pour faire court, on peut écrire que les océans absorbent une partie du gaz carbonique présent dans l’atmosphère (ils permettent, ainsi, de diminuer la quantité des gaz à effet de serre et de ralentir les évolutions climatiques dont ils sont responsables) et rejettent de l’oxygène produite lors de l’activité photosynthétique des végétaux marins. La couche d’huile solaire déposée en surface agit, alors, comme une membrane étanche qui interrompt les échanges gazeux dans la zone où ceux-ci sont les plus importants en raison de la présence d’une flore riche et diversifiée.
Le second tient au fait que la couche d’huile solaire va agir, aussi, comme un miroir posé sur la surface de la mer.
Pendant la journée, dans un environnement sain et non perturbé, les rayons incidents du soleil sont, pour partie, réfléchis et renvoyés vers l’atmosphère mais une autre partie est réfractée et pénètre, ainsi, les premiers mètres de la masse d’eau jusqu’à une profondeur d’environ 100 mètres (zone euphotique).
Lorsqu’une pellicule d’huile solaire vient s’interposer entre l’air et l’eau, l’effet miroir va faire en sorte que la totalité des rayons incidents va être réfléchie. Les fonds marins cessent de bénéficier de l’énergie solaire et le processus photosynthétique ne peut plus fonctionner de manière optimale.
Il est rare que l’on évoque ces types de nuisances et cela, semble-t-il, pour quatre raisons :
La première d’entre elles relève de l’évidence. Ces agissements qui viennent d’être dénoncées relèvent d’habitudes très anciennes, datant d’une période où les mécanismes complexes d’interférences entre la mer et l’atmosphère étaient mal connus et où, de toute manière, les préoccupations environnementales ne constituaient pas une priorité pour la Société.
La seconde est toute aussi évidente. Comment faire autrement alors que les municipalités rechignent à équiper leurs plages en toilettes publiques, que les plagistes soumettent l’autorisation d’accès aux sanitaires à la commande d’une consommation et que les médias ne cessent de répéter (avec raison) qu’il faut se prémunir des effets néfastes d’une exposition excessive au soleil.
La troisième, compréhensible mais dangereuse, est la non prise en compte de l’effet cumulatif des phénomènes. Un « pipi dans l’eau » ou quelques gouttes d’huile solaire répandues à la surface de l’eau semblent bien anodins au regard de la pollution émise au niveau des villes et des zones industrielles, sans parler d’accidents spectaculaires qui font souvent, trop souvent, la Une des journaux. Mais lorsque ces gestes sont répétés des millions de fois, on comprend bien qu’ils ne puissent rester sans effets.
La dernière raison, enfin, vient du fait que, malgré toutes les bonnes raisons derrière lesquelles il est facile de se réfugier et, notamment, celles qui viennent d’être citées, il s’agit de nuisances dont nous sommes directement responsables. Or, il n’est pas facile d’accepter notre part de responsabilité et nous sommes généralement plus enclins à dénoncer, le plus souvent avec vigueur et véhémence, le « comportement incivique des autres ».
Ce manque d’objectivité se manifeste de manière flagrante lorsque l’on aborde des sujets qui fâchent tels que les marées vertes de Bretagne ou les marées noires.
Les marées vertes dont souffrent chaque année les côtes bretonnes sont dues à des proliférations algales provoquées par l’arrivée massive, dans le milieu marin, de nitrates et de phosphates apportés par les eaux de ruissellement. On pointe, alors, du doigt les agriculteurs locaux qui utilisent trop d’engrais et se montrent négligents dans la gestion de leurs fosses à lisiers.
Mais quelle différence fondamentale y a-t-il, alors, entre LEURS engrais et NOS pipis ?
Ne cherchez pas, la réponse est toute simple : dans un cas, nous sommes VICTIMES d’une pollution qui se voit et qui intéresse, à ce titre, les médias et, dans l’autre, nous sommes RESPONSABLES d’une pollution du même ordre mais qui ne se voit pas et qui, pour cette raison, n’intéresse pas les médias.
Pour ce qui concerne les marées noires, cette différence de perception est encore plus flagrante. Lorsqu’un pétrolier se brise sur un rocher ou se casse en deux lors d’une tempête, le tollé est général. On évoque des pétroliers poubelles, des compagnies scélérates, des économies indignes… C’est parfois vrai, c’est souvent excessif, mais quelle qu’en soit la cause, les hydrocarbures se répandent à la surface de l’eau. Cette chape de pétrole va, pendant plusieurs jours, interrompre les échanges gazeux entre la mer et l’atmosphère et absorber le rayonnement solaire privant ainsi la flore sous-marine de l’énergie dont elle a besoin pour se développer
Mais quelle différence, alors, y a-t-il entre LEUR pétrole et NOTRE huile solaire ?
Ne cherchez pas, la réponse est toute simple : dans un cas nous sommes VICTIMES d’une pollution qui se voit et qui intéresse, à ce titre, les médias et, dans l’autre, nous sommes RESPONSABLES d’une pollution du même ordre mais qui ne se voit pas et qui, pour cette raison, n’intéresse pas les médias.
Si, pourtant, il existe une différence, dans le cas des huiles solaires. Une marée noire est un événement exceptionnel parce qu’accidentel. La marée d’huile solaire relève d’un comportement volontaire, renouvelé quotidiennement, pendant toute la période estivale. Alors, abandonnez les huiles solaires et préférez-leur, pour votre protection, les crèmes solaires beaucoup moins nocives pour le milieu marin
En conclusion, que dire ?
Avant de vouer notre prochain aux gémonies, sachons porter un regard critique sur nos propres agissements. Si nous sommes victimes de la pollution des autres, nous sommes aussi acteurs. Souvenons-nous de la paille et de la poutre.
Ne baissons pas les bras. Il est vrai que le milieu naturel, et particulièrement, le milieu marin, subit, quotidiennement, des agressions, mais il sait lutter et, dans la grande majorité des cas, il porte en lui, une grande capacité à se régénérer pour peu que cessent ces agressions. Changeons donc, individuellement, nos comportements pour que se maintiennent les grands équilibres écologiques.
A quoi bon, me direz-vous, si les autres continuent d’agir comme avant ?
La réponse est toute simple
Si vous avez, vis-à-vis du milieu marin, des gestes agressifs, vous n’avez aucune légitimité pour interdire aux autres d’en faire autant
A l’inverse, si vous faites un effort pour améliorer votre comportement, vous avez le droit de demander aux autres, des efforts analogues et je peux vous dire que si les 34 millions de touristes qui fréquentent la région Provence-Alpes-Côte d’Azur font un petit effort individuel, par effet cumulatif, ce sera un vrai changement de mentalité (cette remarque est, bien sûr, toute aussi valable si vous avez prévu de passer vos vacances dans une autre région !!!)
ALLEZ, BONNES VACANCES QUAND MÊME !!!«