SUITE : Assises de Saône-et-Loire : Un couple du bassin minier accusé de viols incestueux
Le verdict rendu aujourd'hui
« Il y a toujours eu pas mal de pudeur dans la famille, ce n’est pas facile », dit l’accusé à la barre, ce jeudi 17 octobre, au 4ème jour de procès à la Cour d’assises de Saône-et-Loire. Le procès de cet homme d’une quarantaine d’années, accusé d’avoir violé pendant des années la fille de son épouse. Comme il le dit « ce n’est pas facile ».
Rien n’est facile en effet. Quatre jours déjà que la présidente Caroline Podevin déploie minutieusement un dossier violent sous des apparences plutôt banales. Une famille de classe moyenne, adossée à des traditions familiales « strictes » et très enfermée sur l’image qu’elle a d’elle-même. L’épouse est accusée, elle, de non-assistance à personne en danger, et tout le monde, vu la nature des faits, pensait que le procès se déroulerait à huis clos mais il n’en est rien. La victime est désormais majeure, elle a fait savoir à maître Ravat-Sandre qui l’assiste, qu’elle laisserait les débats se faire en public. De public, cela dit, il n’y en a point.
Une pression énorme, comme à chaque procès
Néanmoins la publicité du procès est une blessure supplémentaire portée à cette culture familiale « pudique ». Mais tous les procès sont impudiques et sont violents : le travail d’enquête est un travail d’extraction de tout ce qui peut concourir à faire surgir la vérité. Tout. Le passé, les relations, amicales ou amoureuses, l’enfance, l’adolescence, les débuts dans la vie professionnelle, le curriculum vitae complet et détaillé, les loisirs, les goûts, les pratiques, les habitudes, les exceptions aux habitudes : tout. « Vous ne vous rendez pas compte, vous ne vous rendez pas compte… de la pression », soufflait l’accusée en fin d’après-midi. Énorme, éprouvante au-delà de ce qu’on peut imaginer.
Une question épouvantable ne cesse de se poser
Les accusés souffrent, c’est visible, mais ils se protègent aussi, car ils ne cèdent rien sur leur position commune : ils sont innocents. Le beau-père « ne comprend pas » pourquoi l’adolescente l’accuse de cette sorte, la mère estime que sa fille « ment », puisqu’elle n’a jamais trouvé de mot sur la cafetière (lire le premier article) dénonçant les viols répétés du beau-père, père de substitution. Donc, si sa fille ment sur ce mot, c’est qu’elle ment sur le reste. Mais il subsiste une question, induite par le rapport du médecin légiste qui a déposé ce lundi devant la cour, question renforcée par la déposition de Tony Arpin, psychologue et expert judiciaire interrogé ce matin en visioconférence.
« Il y a eu un traumatisme d’origine sexuelle »
Le premier atteste de « stigmates d’une défloration ancienne » et de la nécessité de nombreuses pénétrations pour parvenir à ces « résidus hyméneaux » constatés sur l’adolescente. La jeune fille est réputée « réservée », « timide », « effacée » et le couple revendique un cadre éducatif « strict », pas du tout versé dans le lâchage d’ados dans la nature et les discothèques, etc. Le second, l’expert psychologue, rejoint le médecin sur ce point : « Il y a eu un traumatisme d’origine sexuelle, mais cela n’en donne pas l’intensité ni l’auteur. » Tony Arpin explique ce qui lui permet de penser avec certitude que la jeune fille « n’a pas un discours construit ».
Elle fond en larmes pendant un cours sur la protection de l’enfance
Les détails qu’elle livre à l’expert, l’évolution des périodes et des prises de conscience, tout concourt à la rendre crédible. « Vers 5 ou 6 ans, l’enfant n’a pas conscience de l’interdit, et cette petite, à l’âge œdipien, a cru avoir une relation privilégiée avec son beau-père », plus tard, « ça la gênait, ça la dégoutait », puis à l’adolescence, elle met en place des stratégies d’évitement et se néglige, se rend « repoussante ». L’expert insiste : à l’adolescence on est encore dépendant de ses parents, donc si ceux-ci ne sont pas protecteurs comme ils devraient l’être, alors l’ado culpabilise : qu’est-ce que j’ai fait pour être (mal)traité(e) de la sorte ? Une pause, « une rémission » dit-il, coïncide avec la naissance de la demi-sœur. Puis ça recommence, et là, elle commence à parler. A sa mère, dit-elle, puis à des copains, puis… Puis elle fond en larmes pendant un cours sur la protection de l’enfance, sur les droits de l’enfant. Elle parle à une professeure, à l’infirmière du lycée, elle est retirée du foyer familial le jour même.
« Elle voulait sortir d’une situation qu’elle ne pouvait plus supporter »
« Pas d’indice de mythomanie, ni de dissimulation, elle n’est pas histrionique. » Elle ne somatise pas non plus, et c’est compréhensible : les viols amenés par gradation par un proche, sans violence, font que le traumatisme vient plus tard. « Au foyer où elle est placée, elle s’épanouit d’une manière extraordinaire. » Elle n’était guidée ni par la vengeance, ni par la manipulation, mais, toujours selon l’expert, « elle voulait sortir d’une situation qu’elle ne pouvait plus supporter. C’est après cela que la colère est montée ». Voilà le bilan.
Un des juges assesseurs aborde plus frontalement cette terrible question
Du côté des accusés, les discours sont plutôt normalisants jusqu’à en être mornes (monsieur) et se justifiant, très centrés sur la restauration d’une image entachée par ce déballage (madame). Les deux sont décrits globalement comme plutôt stables et équilibrés. Il faut attendre les derniers moments avant la fin des débats pour qu’un des juges assesseurs aborde plus frontalement cette terrible question : monsieur se dit innocent et madame croit son mari, soit, mais que fait la mère de ces constatations ? Que fait la mère de cette « défloration ancienne » ? Rien. « C’est pas à moi de l’expliquer. Quand j’ai eu mon premier rapport, je ne l’ai pas dit à ma mère. Pourquoi elle m’en aurait parlé ? Je ne suis pas dans sa tête. »
L’accusée semble à bout : « J’ai pris le parti qu’elle mentait »
L’avocate générale intervient à son tour, maître Ravat-Sandre également, la présidente aussi. S’il peut enfin se dire quelque chose, c’est le moment car bientôt les débats seront clos, et demain vendredi sera le jour des réquisitions et des plaidoiries, avant les délibérations puis le verdict. L’avocate générale renvoie à la mère les éléments de réalité dans les dépositions de sa fille, puisque la mère met en avant des éléments qu’elle conteste. L’accusée semble à bout : « J’ai pris le parti qu’elle mentait. » Aline Saenz-Cobo insiste, doucement : « Sur la page du journal intime il y a un autre mot (voir le précédent article, ndla), il existe celui-là. Qu’est-ce que ça vous évoque ? – Quoi que je réponde, vous allez rebondir dessus, et j’ai pas envie, en fait. Vous ne vous rendez pas compte… » Il est 18 heures, le silence se fait épais, dense, pesant, pendant quelques secondes. « De quoi ? – De la pression. Oui, on a vu ce mot, je ne l’explique pas. »
Une porte s’entrouvre mais se referme aussitôt
La présidente prend la suite : « On est d’accord qu’il existe. On sait que c’est de sa main, mais on ne sait pas quand. La grand-mère paternelle le trouve et le garde pour elle. Puis elle en parle avec votre mère, mais votre mère ne vous en parle pas. Vous en avez parlé avec votre mère ? Vous êtes en colère qu’elle ne vous en ait pas parlé ? – Oui ! On ne serait pas là si elle m’en avait parlé (le ton monte, la femme est bouleversée), parce que j’aurais abordé la question avec Sylvie (prénom modifié), je l’aurais emmenée chez un psy, si elle ne voulait pas me parler à moi ! » Une porte s’est comme entrouverte, elle se referme presque aussitôt.
Florence Saint-Arroman
Voir l’article de la première journée :
Assises de Saône-et-Loire : Un couple du bassin minier accusé de viols incestueux