Autres journaux



samedi 19 octobre 2019 à 05:45

Un couple du bassin minier accusé de viols incestueux

Le beau-père condamné à 14 ans de réclusion criminelle



 



L’homme jugé depuis ce lundi par la cour d’assises de Saône-et-Loire, a été déclaré coupable de viols et d’agressions sexuelles aggravés sur la fille de son épouse, alors mineure, du 19 novembre 2005 au 31 août 2016, et condamné à 14 ans de réclusion criminelle.

Il était 22 h 15, ce vendredi 18 octobre, quand la cour est revenue après des heures de délibérations. La mère de Sylvie (prénom modifié), poursuivie pour non-assistance en danger a été acquittée, mais à l’annonce du verdict, c’est elle qui s’est effondrée. Lui, le visage mangé par une barbe naissante et l’air très fatigué, n’a pas marqué le coup, pas de façon visible en tous cas. Sa personnalité restera un mystère car l’expert psychiatre s’y est cassé les dents, rendant ce qu’on appelle une « expertise blanche », qui ne donne rien. « Une expertise transparente », a dit l’avocate générale.

Retour sur cette dernière journée de procès

Au dernier jour du procès d’un couple devant la cour d’Assises de Saône-et-Loire, un peu de stupeur chez tout le monde ce matin d’apprendre que le fils de l’accusée, frère de celle qui se dit victime d’agressions sexuelles puis de viols incestueux de la part de leur beau-père pendant 11 ans, va assister aux réquisitions, car chacun est conscient de la violence inouïe dans laquelle chacun est pris, à sa façon, et l’on s’interroge sur l’effet que le procès peut avoir sur lui. Que les accusés soient déclarés coupables ou qu’ils soient acquittés, cette famille vit une tragédie.

La parole de la victime est crédible
Différentes expertises concluent que la parole de la jeune Sylvie, qui à au moins trois reprises a dénoncé des actes incestueux de la part de son beau-père, est crédible. Ce qu’elle rapporte est « vraisemblable » du point de vue physique et psychologique, aussi l’avocat de l’accusé s’attachera, lors de sa plaidoirie, à démontrer que bien au contraire rien n’est vraisemblable dans les dires de la jeune fille.
A l’audience de mercredi, la présidente montre sur les écrans géants placés de part et d’autre de la salle, un échantillonnage de photos à caractère pornographique extraite de l’ordinateur domestique. Des photos de hentai. Elle évoque deux supports intitulés « Lolita ». Puis on voit des photos de l’appartement, pour que les jurés puissent se représenter des éléments de réalité, dans leur banalité. La photo d’une chambre, le lit superposé dont Sylvie occupait le haut. Elle soutient y avoir subi viols et agressions, en silence, alors que son petit frère dormait en dessous. L’accusé ironise : « Le lit qui ne fait pas de bruit. »

« Elle refuse le moindre regard critique sur elle et sur son mari »
Maître Ravat-Sandre intervient pour la victime. L’avocate est convaincue de la réalité suivante : la petite a bien subi agressions sexuelles et viols. Elle énumère tout ce sur quoi s’appuie sa conviction. Quant à la mère : « Elle est dans le déni le plus complet. Elle refuse le moindre regard critique sur elle et sur son mari. » Agnès Ravat-Sandre explique ce déni par l’irreprésentable, dans l’esprit de la femme à l’éducation rigide, de cette transgression criminelle de la part d’un homme qu’elle aime et dans lequel elle a placé sa confiance, et met dans la balance les témoignages de l’entourage de la jeune fille, y compris après son placement : Sylvie a dit les mêmes choses à tous ses interlocuteurs.

« Elle ne dit pas n’importe quoi. Et rien, dans ce dossier, ne laisse une autre possibilité »
Aline Saenz-Cobo, avocate générale, se rapporte également aux éléments objectifs : le rapport du médecin légiste, celui de l’expert psychologue, les déclarations « constantes » de la victime sur la chronologie des faits, leur gradation, leur progression. Certains détails, et puis le fait qu’à aucun moment la plaignante ne charge son beau-père : « Il n’y a pas eu de violences, pas de menaces. » Elle rappelle aux jurés que le code de procédure pénale leur demande quelle est leur « intime conviction ». « Sylvie X ne dit pas n’importe quoi. Et rien, dans ce dossier, ne laisse une autre possibilité. » La mère « ne pouvait pas ignorer » ce que sa fille vivait. Elle a dû faire un choix, un choix pas facile, je veux bien le reconnaître, mais elle a choisi de sacrifier le devenir de sa fille. »

La mère « a présenté des visages différents »
Sur le mot que la petite aurait laissé pour sa mère sur la cafetière de la cuisine quand elle était en classe de 3ème et qui est une pierre d’angle de la défense puisque madame soutient ne jamais l’avoir vu : « Vous pouvez considérer que c’est la parole de l’une contre la parole de l’autre, mais on ne peut exclure une part de comédie de la part de la mère, car elle a présenté des visages différents. » Aux enquêteurs et à la juge d’instruction, madame affirme son amour pour sa fille et sa volonté de la soutenir si les faits sont avérés, mais « elle tient en privé, les écoutes téléphoniques en attestent, des propos violents, virulents et rejetants contre sa fille. Un moment sincère de désarroi devant un OPJ, n’a pas empêché la construction d’un « déni », « mécanisme de défense qui n’est pas volontaire ».

Réquisitions : 15 ans de réclusion criminelle pour lui, 3 ans de prison pour elle
En tout état de cause, poursuit l’avocate générale, « depuis le 14 février 2017, elle sait, mais à aucun moment n’a apporté de soutien à sa fille. » Aline Saenz-Cobo tempère son discours sur la fin : « Il est difficile de juger ses semblables. » Elle rappelle qu’aucun des deux accusés n’est réductible à ce dossier, que les faits, aussi graves soient-ils, n’obèrent pas leurs personnes entières. Elle requiert 15 ans de réclusion criminelle à l’encontre du beau-père, et 3 ans de prison pour la mère, « il appartiendra à la cour de se prononcer sur le retrait ou non de l’autorité parentale ».

Plaidoirie de la défense : place au doute
« Je crois Sylvie X, mais pas par empathie », avait dit l’avocate générale au début de ses réquisitions. Faux, répondra maître Champagne lors de sa plaidoirie. Tout le monde a eu de l’empathie, à un degré ou à un autre, et la culpabilité de son client a finalement été comme un postulat de départ. Certains propos n’ont pas été objectivés. Par exemple, « l’expert qui vous dit qu’elle ne se lavait plus pour se rendre « repoussante », « qui vient dire qu’elle était sale, qu’elle puait, qu’elle était mal habillée ? Avez-vous vu quelque chose de cette sorte ? » tonne l’avocat aux jurés. Une plaidoirie habile. « Il ne suffit pas d’affirmer que c’est vrai, il faut que ça soit vraisemblable. » Place au doute. L’avocat démonte la « faisabilité » des passages à l’acte, « dans le cadre familial ». « Une telle prise de risque ? Et la mère ne voit rien et n’entend rien ? Je ne dis pas que ça n’est pas possible, mais j’ai du mal à y croire. »

L’expert médico-légal, et le mystère de la « défloration ancienne »
Puis, parce qu’il le faut bien pour plaider un acquittement, il met en doute la parole de la petite lorsqu’elle écrit, a priori vers ses 11 ans, dans un journal intime laissé chez sa grand-mère paternelle : « je déteste mon beau-père parce qu’il me viole ». « Cette détestation apparaît où dans le dossier ? » Enfin, le mot sur la cafetière : l’avocat Versaillais épouse la position de la mère, « ce mot n’a pas pu exister. Sans ce mensonge, sa mère l’aurait crue. » Reste les éléments objectifs. « L’expert médico-légal parle de défloration ancienne. Sa mère a donné une explication possible. » La veille la mère évoquait ses propres premières relations sexuelles, tenues secrètes. Sa fille en aurait fait autant (voir la déposition de l’expert dans le premier article). « Il subsiste un doute énorme, conclut l’avocat. Je vous demande d’avoir le courage de douter, et parce que vous doutez, vous ne pouvez condamner. »

Maître Vermorel plaide l’acquittement pour la mère
Maître Vermorel estime que sa cliente devait bénéficier du non-lieu puisqu’elle n’a pas été poursuivie dès le départ, pour non-assistance en danger. Il plaide « l’absence radicale de preuves », dans un contexte familial de « haine ». Il revient sur les changements de positions du parquet (ne pas poursuivre madame, puis finalement si), cite Nietzsche, « les certitudes rendent fous » et engage les jurés à douter, là aussi, « et le doute doit profiter à l’accusé ». Le doute lui aura donc profité, et elle peut rentrer chez elle, retrouver ses deux autres enfants. L’avocate générale avait rappelé les expertises : « Madame est dépendante affective et compliante aux autres. »

Le beau-père est « responsable de l’intégralité des préjudices »
« Des années de viols et un abandon moral et physique… En le niant, monsieur empêche tout travail d’évolution de lui-même », développait Aline Saenz-Cobo sur le risque de récidive, avant de requérir 15 ans. Que dire de l’enfant, qui a vécu ce crime perpétré sur elle, à un âge où elle pouvait encore prendre cela pour de l’affection, jusqu’à celui où elle a su être violée ? Les jurés ont tranché selon leur intime conviction. La cour a déclaré les constitutions de parties civiles de la jeune fille et de son père, recevables et fondées, dit que le beau-père est responsable de l’intégralité des préjudices et le condamne à payer à Sylvie (prénom modifié), 17 000 euros de dommages et intérêt en réparation de son préjudice moral, et 4000 euros à son père.

La peine répond à la question posée par les expertises
Le condamné a quitté le palais de justice menotté, sous escorte policière, la capuche de sa parka rabattue sur sa tête, alors qu’aucun photographe ne faisait le siège sur les marches plongées dans la nuit. « Il sait l’interdit de l’inceste, disait encore l’avocate générale, mais il ne l’a pas intégré, profondément. » Il peut faire appel : tous ceux qui se disent innocents font appel. La peine prononcée n’est pourtant pas en demi-teinte, elle répond à la question ouverte dès le premier jour du procès, sous-jacente à la déposition de l’expert médico-légal : « qui » a fait « ça » ?

 

Florence Saint-Arroman

 

 

 

 

 



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.


» Se connecter / S'enregistrer