ASSISES DE SAÔNE-ET-LOIRE
Le procés du meurtrier présumé de Jacques Vaude aura bien lieu
L’ouverture du procès devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire, ce lundi 27 janvier, pour y juger un homme de nationalité bulgare, accusé d’avoir tué, le 5 octobre 2013, un habitant d’Autun, Jacques Vaude, et d’avoir tenté de tuer son épouse, a été retardée par le mouvement national de grève des avocats auquel le barreau de Chalon est associé.
« Si nous renvoyons ce procès, quand jugerons-nous monsieur Chikov ? Dans un an ? La solution la plus humaine pour tout le monde, et la plus respectueuse des droits de monsieur Chikov, c’est de retenir ce dossier. » Damien Savarzeix, chef du parquet du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, est avocat général pour ce procès, il est donc bien placé pour savoir quel dispositif lourd et coûteux a dû se mettre en place pour que l’accusé, détenu dans son propre pays, soit « prêté » (c’est ainsi qu’il faut le dire, nous dit-on) à la France pour une durée très limitée, aux fins de comparaître devant la Cour et d’y être jugé. Si la Cour renvoie, il n’est pas possible d’audiencer le procès avant « 12 à 18 mois », estime l’avocat général, « c’est beaucoup trop long ».
L’avocat de la défense travaille à l’aide juridictionnelle sur ce procès
Il ne manque pas de sel que de remarquer que si les droits fondamentaux de l’accusé sont respectés c’est aussi parce que son avocat intervient au titre de l’aide juridictionnelle : il est donc très (très très) peu payé au regard du travail fourni et de la totalité des heures passées pour avoir suivi toute l’instruction, puis pour assister son client pendant 15 jours aux assises et y plaider. C’est donc un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue, puisque maître Jérôme Duquennoy demande un renvoi, précisément pour défendre la possibilité pour les avocats, de pouvoir assister et défendre des gens pécuniairement démunis et bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, ce qui ne serait plus le cas si cette réforme des retraites des avocats passait.
Plus de 30 avocats en soutien dans la salle, contre « cette vision stupide de la réalité sociale »
Les prises de parole se sont succédées. Plus de 30 confrères dans la salle se sont levés, le tract explicatif du Conseil National des Barreaux plaqué sur leurs robes. Maître Duquennoy, puis maître Seriot, bâtonnier, puis maître Lépine, pour les jeunes avocats, sont venus répéter les motifs de cette grève « historique » : le doublement des cotisations mensuelles pour une retraite dont le montant serait diminué de 30 % ; la disparition de nombreux cabinets consécutive à cette augmentation drastique de leurs charges ; le tout constituerait « une atteinte au droit ». « Sans avocat, il n’y a pas de justice », conclut maître Duquennoy. « Dogmatisme et aveuglement », martèle le bâtonnier, président à « cette vision stupide de la réalité sociale qui vise à faire disparaître un régime autonome, réclamé en son temps par l’Etat, et qui ne coûte rien à la collectivité. » « Ce projet vous atteindra également », lance-t-il aux magistrats. Maître Lépine raconte les commissions d’office, les heures passées « à galoper dans les commissariats et les brigades », « nous sommes auxiliaires de justice ».
Les avocats des parties civiles s’opposent au renvoi
La solidarité prend un coup avec les prises de paroles des avocats des parties civiles. Maître Bibard (barreau de Chalon), maître Monnier (barreau de Grenoble), et maître Estève (barreau de Dijon) se sont longuement élevés contre ce renvoi, dans l’intérêt de leurs clients (la victime et ses proches, le défunt et ses proches), ce qui est évidemment compréhensible et ne surprend personne : 7 ans ont passé, il est temps de juger et de clore un pan de ce qui est venu faire séisme dans leurs vies, clore un pan de ces tragédies. Mais les avocats taclent leur confrère en défense, jouant sur « la discipline » (respect d’une décision votée à la majorité) et « l’indépendance » (constitutive de leur fonction) dont ils estiment devoir user. Un manque d’élégance qui a ulcéré les avocats présents dans la salle, au point que le plus ancien d’entre eux a demandé la parole, la présidente Podevin accepte.
« Je comprends la position difficile des confrères en partie civile, mais… »
Maître Guignard s’avance : « Je comprends la position difficile des confrères en partie civile, mais c’est à eux d’expliquer à leurs clients qu’ils ont la chance d’avoir des avocats indépendants. J’ai l’honneur de porter cette robe depuis 45 ans, j’ai eu l’honneur de plaider pour des accusés qui encouraient la peine de mort, je demande aujourd’hui que la tête des jeunes avocats soit sauvée. » C’est au tour de l’avocat général. Il demande donc que le dossier soit retenu, car la situation administrative et judiciaire de l’accusé est très particulière. (On dit que son transfèrement a été négocié et mis au point par les ministères des affaires étrangères de France et de Bulgarie, ndla.) L’avocat général rappelle la lourdeur des dispositions que cette situation exige, invoque le long temps, et conclut sur le respect des droits de l’accusé (défendu, on le rappelle, par un avocat payé à l’aide juridictionnelle, ainsi la boucle est bouclée, ndla).
« Les avocats assurent le service public de la justice en assistant les plus démunis »
La Cour se retire pour délibérer, puis revient vers 12h15. La demande de renvoi est rejetée, mais la présidente souligne que les avocats assurent le service public de la justice en assistant les plus démunis. Cela donne toute légitimité aux demandes de renvois et au mouvement des avocats. Le procès s’ouvrira cet après-midi, pour durer deux semaines.
Florence Saint-Arroman