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vendredi 1 mai 2020 à 06:43

Violences intrafamiliales à Saint-Vallier

Prison et bannissement du département



 

 



 

 

Sa silhouette est encore juvénile, il renifle à gros bouillons, et pourtant il a 33 ans. Le confinement et le ramadan ont pu jouer dans son comportement, dit-il, n’empêche qu’il est jugé en état de récidive légale, pour des violences sur sa compagne et un enfant mineur. Ce coup-ci, la mineure a 10 jours d’ITT. Sa maman est dans la salle, défaite, triste et tendue. 

« Quand il hurle sur moi, les enfants ont peur »

Cette maman a une fille aînée, une ado qui est victime dans ce dossier. Le couple a eu 3 enfants, âgés de 8 à 1 an. « Ça fait 15 ans que je suis manipulée, que je culpabilise, que je vis un enfer avec les enfants. J’ai toujours du mal, face à lui, je me remets toujours en question. Quand il hurle sur moi, les enfants ont peur. » Ses mains dans son dos tremblent et s’agitent. Elle se tient debout dans la salle, car son conjoint est à la barre : l’audience des comparutions immédiates est sans public à cause de l’état d’urgence sanitaire, et les policiers, sans masques, préfèrent éviter le confinement du box.

 

Coups de poing au visage de l’ado

À ce sujet, le prévenu est clair : il a déjà été incarcéré 3 mois, il en a rapporté une hépatite et des cicatrices, alors il ne veut pas retourner en prison. Ce 30 avril, il encourt une peine de 7 ans, doublée par l’état de récidive. Samedi dernier en fin de journée à Saint-Vallier, une vie familiale déjà bien éprouvée a pris fin lorsqu’un des enfants a couru chez les voisins pour qu’ils appellent des secours. Les policiers qui débarquent « sont frappés par l’état du visage de X. Elle a la tête au carré, elle a manqué perdre connaissance » plaidera maître Ravat-Sandre pour le Conseil départemental de Saône-et-Loire qui a désigné un administrateur ad hoc pour la très jeune fille. 

 

« Nettoyer les plinthes avec une brosse à dents »

La police auditionne la fille de 8 ans (« mon père, très sévère, crie beaucoup, a déjà tapé ma sœur »), une des grands-mères (« il insulte les enfants, ma fille se réfugie chez moi quand il est violent »), la mère (« il est rigide, il fait peur aux enfants, il crache sur moi devant les enfants »). La présidente Sordel-Lothe évoque à plusieurs reprises, les ordres donnés aux filles de faire le ménage, « nettoyer les plinthes avec une brosse à dents », etc. Lui, il plaque ses grandes mains en haut de son front, ébahi par autant d’exagérations. Des coups poings à sa belle-fille ? Il montre ses battoirs aux juges : « Mais non, une claque ! », « un geste réflexe ».

 

Ensemble, malgré une interdiction de contact

A le voir essayer de persuader la présidente, on l’imagine bien baratinant sa compagne, lui assurer qu’il avait « changé », si, si, changé. Terminé les « pute », les « petite merde », les accès de colère qui partaient en vrille, fini, les coups. Ah ça ! Il l’avait convaincue plusieurs fois. Elle était même venue le chercher à sa sortie de prison. De fil en aiguille, il était revenu au domicile, malgré l’interdiction judiciaire de contact entre eux. L’état de grâce a duré 3 mois environ, et puis le naturel est revenu, au galop. Devant les juges le prévenu est presque inaudible. La voix cassée, il gesticule et ondule, se penche vers l’avant, il en est oppressant. Mais ça ne prend pas.

 

Il parasite l’instruction

« C’est une relation très toxique. Elle (sa compagne) sait me toucher, elle dit que les enfants ne m’aiment pas, et vu que je suis un gamin dans ma tête, je réponds par des piques, on se lance des piques entre nous. » Pour la énième fois, la présidente recentre le débat : « On n’est pas sur des piques, là. Elle a 10 jours d’ITT, c’est énorme ! » Le prévenu repart dans sa pièce de théâtre, la présidente doit l’interrompre encore. « Je voudrais que vous compreniez l’enjeu de cette audience. » 

Étrange audience, au final, puisque le père de famille nombreuse commence par phagocyter l’instruction : ce sont elles, mère et filles, qui se sont jetées sur lui, il n’a donné qu’une claque, bon, peut être plusieurs, non il n’avait pas de barre de fer à la main, donc il n’a pas pu blesser la jeune fille au genou en jetant cette barre.

 

« Je suis violent, je suis fou, je suis immature »

Le vice-procureur entre dans la danse et pose quelques questions. Le second acte devient une sorte de spectacle, non de repentance mais plutôt d’aveux emportés et presque provocants : « Oui je suis violent, je suis fou. » Plus tard : « Je suis immature, c’est pour ça. » Encore plus tard : « Je n’aime pas mes enfants, voilà ! » Genre : vous êtes contents, vous vouliez entendre ça ? La présidente tâchait de lui faire comprendre que « quand on veut s’excuser, c’est mieux de reconnaître » sa responsabilité. Il persiste à opposer ses postures pressantes et comme s’il parlait d’outre-tombe, mais quand une des juges assesseurs lui balance un peu de speed, il répond immédiatement sur le même ton. 

 

Le parquet salue « le courage de la jeune fille »

En 2010 il fut condamné pour homicide involontaire : un accident de voiture, il conduisait, le passager est mort. Alcool, cannabis et vitesse. En 2017, il est condamné à 6 mois de prison assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans pour violences sur sa compagne et sa fille. Son sursis probatoire a pris fin en janvier 2020. 

Charles Prost, vice-procureur, salue « le courage de la jeune fille. Les photos disent tout. » Il décrit les changements d’attitude du prévenu au cours de l’instruction, esquisse le portrait d’un homme peu courageux, regrette que l’interdiction de contact n’ait pas été respectée, requiert 3 ans de prison dont 1 an serait assorti d’un sursis probatoire, avec mandat de dépôt.

 

Toute la fratrie du prévenu a connu la violence

Maître Grenier-Guignard, commise en dernière minute comme le veut souvent cette procédure, a eu une sœur du prévenu au téléphone : toute leur fratrie a connu la violence, mais leur mère était restée avec leur père, puisque « culturellement c’est comme ça ». « Il mérite quand même une justice. Il a reconnu avoir des problèmes avec la violence. » L’avocate plaide la position de la victime, qui ne fut pas toujours très claire, « c’est une réalité qu’on est obligé de dire », elle plaide « l’éloignement » de son client. 

 

Incarcération, puis interdiction de paraître en Saône-et-Loire

Le tribunal déclare l’homme coupable et le condamne à 3 ans de prison dont 1 an est assorti d’un sursis probatoire de 2 ans. Obligation de travailler, de se soigner, d’indemniser la victime, interdiction de paraître au domicile, interdiction de contacts avec la mère et la fille aînée, interdiction de paraître en Saône-et-Loire. Le tribunal ordonne mandat de dépôt. L’escorte encadre le condamné, elle va le conduire au centre pénitentiaire pour qu’il y soit écroué.

 

« S’il est là, c’est de sa faute »

« Je dois me reconstruire », ne cessait-il de répéter. « Il n’a pas conscience d’être malade. Il ne culpabilise jamais. Je veux protéger mes enfants, je ne veux pas qu’on me les enlève. On a tous eu des épreuves dans la vie. S’il est là, c’est de sa faute », disait sa désormais ex-compagne. Le confinement et le ramadan ont bon dos.

 

Florence Saint-Arroman

 

La mère et l’administrateur ad hoc de la mineure sont reconnus parties civiles. Le tribunal ordonne une expertise médicale pour la jeune fille et renvoie sur intérêts civils en octobre.

 



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