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lundi 15 juin 2020 à 21:01

1ère journée du procès d’assises de Tarik A.

... meurtre de Valentin Amrouche : "ça s’est joué à 20 grammes..."



 

 

 



 

 

 

« La bascule dans le passage à l’acte criminel tient souvent à l’épaisseur d’un cheveu » écrit* le docteur Daniel Zagury, expert psychiatre devant les tribunaux.

Le premier jour du procès, ce lundi 15 juin, devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire où l’on juge Tarik A., 44 ans pour le meurtre de Valentin Amrouche, le 18 juillet 2017 à Montceau-les-Mines, nous apprend qu’en l’occurrence ça s’est joué à 20 grammes.

 

Valentin Amrouche était né en 1991 à Champigny-sur-Marne. Son père fuit dès la grossesse, et Valentin perd sa mère dès ses 11 ans. Il vit un temps chez son père, puis il est placé dans un foyer en région parisienne, avant d’être recueilli par ses grands-parents maternels. Le jeune homme consommait du cannabis, certains dans son entourage se demandaient s’il ne dealait pas un peu. À l’été 2017 il se blesse un orteil, on lui prescrit une béquille pour se déplacer. Le 18 juillet 2017, il se rend à l’AFPA, il allait démarrer une formation. 

 

Valentin est porté disparu – Une odeur pestilentielle dérange tout un immeuble

 

Le 21 juillet, Girard Vandesboch va signaler la disparition de son petit-fils. Valentin est porté au fichier des personnes disparues. On entend son ami A., le dernier à l’avoir vu. Dernières traces : une tentative de retrait d’argent le 18, vers 22h30, avec la CB, mais les caméras montrent un homme qui n’est pas Valentin. On saura plus tard que c’est l’accusé.

 

Le 3 août, les services de police de Montceau pénètrent dans un appartement perché au 8ème étage d’un immeuble sis au 2 rue général Koenig. A cette seconde l’appartement devient une scène de crime. Le 3 août en fin d’après-midi, le parquet de Chalon saisit la police judiciaire de Dijon pour homicide volontaire, en attendant d’en savoir davantage.

 

Corps décomposé, la pièce d’identité de Valentin dans l’appartement

 

Le corps est tellement abimé qu’il est méconnaissable. « Tous les tissus organiques sont détruits, raconte le commandant Geoffroy de la PJ de Dijon, le squelette est visible. » Mais les premières constatations permettent de reconstituer un scénario : des traces de violences, et, plus surprenant, « une scène de soins dans la scène de crime ». Le commissaire de Montceau-les-Mines parle de la disparition de Valentin. Les enquêteurs trouvent sa pièce d’identité dans l’appartement. Rien n’est avéré mais tout converge vers le terrible fait : Valentin Amrouche est mort, depuis longtemps.

 

L’accusé reconnaît les coups mortels mais conteste avoir eu la volonté de tuer

 

Ce lundi, Céline Therme, présidente de la cour, a tiré au sort 6 jurés, 4 hommes et 2 femmes, puis deux jurés supplémentaires au cas où. Ils vont, avec trois juges professionnels, juger Tarik A., né en 1976 à Autun, accusé d’avoir volontairement donné la mort à Valentin Amrouche le 18 juillet 2017. Il encourt une peine de 30 ans de réclusion criminelle. L’accusé reconnaît les coups mortels mais conteste avoir eu la volonté de tuer. Voilà l’enjeu du procès. Le premier interrogatoire à son procès est émaillé de sorties de Tarik A. car il sature vite et déborde. Il sature encore plus rapidement quand c’est l’avocate générale, qui porte l’accusation, qui le confronte à ses déclarations changeantes. 

 

L’état du corps ne permet pas d’écarter la possibilité d’autres blessures

 

L’accusé, au fil des questions, déroule un récit qui serait crédible si des détails et des observations relevées par les enquêteurs et les experts ne venaient le troubler.

 

L’enquêteur qui témoigne confirme « des violences réciproques », mais s’interroge, par exemple, sur la présence d’un pilon, taché de sang, posé à côté du couteau trouvé dans la salle de bain. Il ne comprend pas avoir mesuré des jets de sang à 1,90 m, distance incompatible avec les blessures établies : l’état du corps ne permet plus de trouver si possiblement la victime aurait reçu d’autres coups qu’à la main, à l’avant-bras, à la fesse gauche, à l’arrière de la cuisse droite, à l’estomac et au foie (en deux temps, on y viendra).

 

L’appartement d’un couple d’octogénaires

 

A Montceau, ça cause, la presse relate la découverte du cadavre, donne l’adresse.

 

L’appartement est loué par un couple d’octogénaires qui a l’habitude d’aller passer plusieurs mois par an au Maroc. Ce couple a laissé ses clés à une de ses filles, et à un de ses fils, Tarik. Ce dernier est alors sans travail, en instance de divorce, il n’a plus de permis de conduire depuis 2011 (faute de points), il fume du cannabis « depuis 25 ans, 10 joints par jour », il est décrit, rapporte l’enquêteur, « comme un semi-clochard ». Sur ce fond, un grave accident du travail (un peu ancien, semble-t-il) a fait rupture : très gravement brûlé, on doit l’amputer de 2 ses deux petits doigts, l’opérer « 23 fois » dit l’intéressé qui en juillet 2017 attendait une greffe de peau, ou venait d’en recevoir une – il n’est pas toujours aisé à comprendre. Dernier élément, peut-être important : il avait été jugé à Lyon cette année-là, en son absence, mais il savait avoir une peine de prison à purger.

 

C’est alors que les deux hommes montent à l’appartement dont Valentin ne ressortira jamais

 

C’est dans ce contexte que le 18 juillet, sortant du PMU, il passe au débotté chez son neveu A., et y tombe sur Valentin. Ils se connaissent « comme ça », fument un joint. Valentin a besoin de cannabis, Tarik peut lui en vendre mais ne l’a pas sur lui, Valentin se rend rue général Koenig en début d’après-midi. Tarik tient un morceau de 55 grammes, qu’il cachait dans l’immeuble, – « mais jamais chez mes parents », précise-t-il, comme si cette supposée marque de respect pouvait encore compter -, mais Valentin n’en veut que 35 grammes, la transaction ne peut se faire au pied de l’immeuble, car il faut couper le morceau, c’est alors que les deux hommes montent à l’appartement dont Valentin ne ressortira jamais. Ça s’est joué à 20 grammes.

 

« On est là pour parler du meurtre ou pour parler d’hygiène ? »

 

« C’est quelqu’un (l’accusé) qui a une propension à s’emporter », dit l’enquêteur. La présidente Therme interroge l’accusé sur sa vie en juillet 2017. L’appartement fut trouvé dans un état très négligé. Vaisselle sale, plusieurs poubelles dans la cuisine, des cannettes de bière « qui traînaient ici et là dans la chambre de vos parents ». « Dans quel état étiez-vous ? – J’avais les mains brûlées, je ne pouvais rien faire. – Vous ne pouviez pas mettre les cannettes de bière dans la poubelle ? – On est là pour parler du meurtre ou pour parler d’hygiène ? »

 

L’accusé déborde rapidement

 

La présidente ne perd pas la main – elle ne la perd jamais -, et rappelle à l’accusé, avec prévenance et autant d’égard qu’il est possible dans ce contexte, les places de chacun, et comment se déroule un procès : elle a lu toute la procédure, mais pas les jurés ni ses assesseurs, on doit tout redéployer, « pour comprendre ». L’accusé prend acte. Une poignée de questions plus tard, il sature à nouveau et redevient agressif. La magistrate le prie de changer de ton. « A partir de maintenant je garde le silence. J’ai été assez compréhensif avec vous » lui lance Tarik A. Fraction de seconde de stupeur, puis une courte suspension d’audience. Maître Forray (barreau de Lyon) explique le malentendu. Son client voulait dire « coopératif », il s’est trompé. 

 

Violences réciproques

 

Le 18 juillet 2017, Valentin Amrouche et Tarik A. montent à l’appartement pour que Tarik coupe le morceau de cannabis. Il n’a pas mangé à midi, s’est contenté de clopes-bière. Là, ils sont posés chacun sur une banquette du salon, mais très vite s’accrochent. A., neveu de l’accusé et meilleur ami de Valentin, s’est fait voler. « Je croyais que c’était lui, Valentin, et lui il disait que c’était moi », raconte l’accusé. Les deux hommes se lèvent, le ton monte, Valentin lance une insulte. Laquelle ? « Je ne sais plus, un truc sur ma mère… » Tarik s’avance et le claque, Valentin riposte d’un coup de béquille. « Je prends le couteau sur la table et je lui mets deux coups. »

 

« Alors, coup de béquille = coup de couteau ? »

 

« Pourquoi vous lui donnez deux coups de couteau ? – Parce que la béquille… – Alors, coup de béquille = coup de couteau ? – C’est par rapport à mes mains, les blessures, les séquelles. Mais c’est pas une raison, je sais ! Je sais ! J’ai toujours peur pour mes mains, même maintenant. » L’homme en use volontiers lorsqu’il parle, bien sûr les doigts manquants lui font des mains longues et étroites, bien sûr la peau semble fragile, il a dû souffrir le martyr, tous les grands brûlés en témoignent. Dans ces conditions pourquoi n’a-t-il pas eu le réflexe d’appeler les secours pour Valentin ?

 

Ils pansent les premières blessures eux-mêmes, avec de l’adhésif pour les cartons

 

Blessures au couteau, ça veut dire « police, enquête ». L’accusé soutient une chose et une autre. Les deux hommes ont sorti des compresses et faute de pansements ont scotché les carrés de coton avec du large scotch à carton… Valentin le portait encore à la main et au bras, quand la police scientifique et des experts se sont penchés sur son sort. Tarik A. explique qu’ensuite ils étaient calmes, ont fumé leurs deux dernières cigarettes. C’était bien la dernière de Valentin, mais Tarik le savait-il à ce moment-là ? Il affirme que non, que c’est Valentin qui l’a étranglé par surprise et par derrière dans l’entrée de l’appartement. Tarik se débat, se dégage et file sur le balcon pour reprendre son souffle. La deuxième et dernière scène commence alors. 

 

Deux blessures mortelles « mais pas immédiatement », contrairement à ce que soutient l’accusé

 

L’accusé dit que Valentin s’était armé du couteau et se trouvait dans l’encadrement de la porte du salon. Il se sont battus, il a touché Tarik à la main, lequel l’aurait désarmé et planté. L’estomac, le foie : deux blessures mortelles mais « pas immédiatement », disent les médecins légistes et les enquêteurs. « Il est tombé, il a gigoté mais pas longtemps, hélas, et il est mort », affirme l’accusé. « Vous n’appelez toujours pas des secours ? insiste la présidente. – Pourquoi ? Il était décédé. » Ce point sera encore débattu au cours du procès, il est crucial. 

 

« Le toucher pour lui piquer sa sacoche, c’était supportable ? »

 

L’homme devenu meurtrier recouvre le corps de Valentin de deux couvertures, « cette vision était insupportable ». Certes, constate Angélique Depetris, avocate générale, mais par contre « le toucher pour lui piquer sa sacoche, c’était supportable ? ». Tarik A. reste calme : « À ce moment-là, je savais qu’il était décédé. Je voulais voir mes enfants, je savais qu’en prison je ne les verrai pas. Ça fait trois ans que je ne les ai pas vus. »

 

« J’ai fait une connerie »

 

Il est resté bouclé dans sa chambre au moins trois heures, pendant que sa victime achevait de se vider de son sang (si on se réfère aux constats des experts). « Je broyais du noir. » Il se douche, il se change. Il a décidé d’aller chercher ses enfants chez leur mère, dans une autre ville du département puis de rejoindre ses parents au Maroc, « avant de me rendre ». Le fait est que lorsque le corps fut découvert puis identifié, Tarik A., du Maroc, a contacté la police, « j’ai fait une connerie ». Il donne son vol de retour, on l’arrête à sa descente d’avion. Garde à vue, puis placement détention provisoire. Il vit incarcéré depuis bientôt 3 ans.

 

Mandat d’amener A., neveu de l’accusé et ami de la victime

 

À la barre, le commandant Potiquet donne son sentiment : si le prévenu s’est signalé c’est parce que sa famille lui a mis la pression, « pour eux c’est un cataclysme, on a trouvé un corps chez eux ». A l’appui de son appréciation : lorsque Tarik A. l’appelle du Maroc, le 4 août vers midi, il insiste : « Laissez ma famille tranquille ». 

En début d’après-midi, la Cour a délivré un mandat d’amener à l’encontre d’A., neveu de l’accusé et ami de la victime. Cité comme témoin, le jeune homme ne s’est pas présenté, et la police le cherche. Il est le fils d’une des sœurs de l’accusé, il n’a pas caché son émotion lors de son audition en août ni sa peine en apprenant la mort de son ami Valentin, mais à 18h15 ce lundi, la Cour n’avait encore aucune nouvelle de lui. 

 

« En fin de compte, ça a dégénéré pour rien du tout. Si c’était à refaire… »

 

À cause de 20 grammes de trop dans le morceau de cannabis que Valentin Amrouche voulait acheter, il est monté jusqu’à l’appartement. Puis, de cordial, l’échange avec Tarik A. a donc dégénéré. « Pour rien, dit l’accusé. En fin de compte, ça a dégénéré pour rien du tout. Si c’était à refaire… » Le silence se fait épais, dans la salle. Plus tard il a affirmé : « J’ai pas pris les bonnes décisions, en gros tout ce que j’ai fait, c’était pas ordonné ». Pourtant les enquêteurs ont expliqué à la barre comment il avait, avant de partir, neutralisé la sonnette de l’appartement, et glissé une allumette dans le cylindre de la serrure : nul ne pouvait plus entrer. Puis il est parti, avec la voiture de Valentin. « Je voulais gagner du temps, pour voir mes enfants et mes parents. »

 

Florence Saint-Arroman

 

* Dans son livre La barbarie des hommes ordinaires (Daniel Zagury, 2018, éditions de l’Observatoire, page 27)

 

 

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Photo d’archives

 

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Photo d’archives

 

 

 



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