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mercredi 17 juin 2020 à 06:37

2ème journée du procès d’assises de Tarik A.

« Les coups de couteau déclarés par monsieur Tarik A. ne sont pas suffisants pour générer ce que nous avons constaté »



 



 

Au second jour du procès pour meurtre, de Tarik A. devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire, ce mardi 16 juin, on apprend deux choses. Un expert de l’IRCGN (1) se montre catégorique : « Les coups de couteau déclarés par monsieur Tarik A. ne sont pas suffisants pour expliquer tout ce qu’on a constaté dans l’appartement. »

Seconde point, plus général : le fait de vivre en infraction surdétermine les existences, et entraîne immanquablement des conséquences, parfois gravissimes.

 

Conduites sans permis, à la pelle, consommations de produits stupéfiants

 

Les « j’avais pas de permis », alors « je voulais éviter le commissariat », « et aussi, j’avais pas le permis, alors je ne voulais pas le dire » dit à la barre le fameux témoin si attendu, A.M., neveu de l’accusé et ami de la victime. L’accusé, lui, l’a invoqué hier comme prétexte parmi d’autres : « je l’ai pas emmené à l’hôpital, j’avais pas de permis », alors que dans le même temps les messieurs concernés reconnaissent avoir toujours conduit. L’accusé achetait même un véhicule fin juillet pour emmener ses enfants au Maroc, le revendait ensuite, enfin, on ne sait pas trop, c’est ce qu’il dit.

Autre infraction : le cannabis, dont la consommation est illégale, et dont le dépannage, « la dépann’ », s’appelle du trafic devant un tribunal correctionnel. La victime en prenait, A. M. en prenait, l’accusé également qui annonce des doses sévères et depuis un quart de siècle.

 

Couvrir l’oncle qui fuit une peine de prison, encaisser un chèque volé pour lui

 

Enfin, Tarik A., sous le coup d’une condamnation récente au pénal, était, disait-on dans sa famille, « en cavale ». Un bien grand mot pour expliquer qu’il n’irait pas au-devant de ses responsabilités, parce que, d’un autre côté le gars « en cavale » dormait chez ses parents, circulait en ville, voyait ses enfants. En attendant, c’est parce qu’il pensait son oncle « en cavale », que son neveu A. M. a commencé par passer sous silence la rencontre de Valentin et de son oncle, chez lui, en fin de matinée. « Je me suis dit, je ne vais pas lui envoyer la police. J’étais certain que la disparition de Valentin n’avait aucun rapport avec mon oncle », explique à la barre ce témoin qui a fini par venir de lui-même, et présente des excuses à la Cour. La présidente Therme revient sur ce chèque, un chèque volé que Tarik A. a confié un jour à son neveu pour qu’il l’encaisse. Résultat : le neveu perd 300 euros. En voulait-il à son oncle ? « Un peu, mais il devait me rembourser, alors j’attendais. »

 

La culture de l’embrouille, toxique en tous points

 

« La famille côté A. (sa famille maternelle, celle de l’accusé, ndla), c’est des embrouilles. », avait résumé ce jeune homme lors de sa garde à vue. Le mot désigne aussi des disputes. En fait il désigne tout ce qui n’est pas clair, et l’expérience démontrant que ce qui n’est pas en conformité avec la loi n’étant jamais clair, par définition, ça fait forcément beaucoup d’embrouilles et les embrouilles ne portent jamais de beaux fruits. Dans le meilleur des cas, elles sont stériles, dans les pires des cas elles se reproduisent, se multiplient, et peuvent terminer en apothéose, dans des actes criminels. Avant toute question morale, puisque ce n’est pas le sujet, c’est une question logique. L’accusé va faire l’aveu de cette mentalité qui préside dans la conduite de sa vie, et qui échappe à tout ce qu’une vie sociale met en place pour permettre aux uns et aux autres de vivre sans s’entretuer, justement.

 

Dans un élan de spontanéité, l’accusé livre quelque chose de son fonctionnement

 

Hier (voir article du 15/06) l’accusé racontait comment, d’après lui, un échange tranquille avait tourné à l’affrontement avec Valentin Amrouche : un vol chez son neveu A. M. L’accusé parle de quelques centaines d’euros et de shit, le neveu à la barre parle de 30 ou 50 euros, « un petit billet » et c’est tout. Pas de cannabis ? « Il est stressé, dit son oncle, c’est pour ça. Il ne dit pas tout. Si c’était insignifiant pour lui, pourquoi il m’en aurait parlé ? Il voulait peut-être que je cherche c’est qui. » Rien ne vient assurer que les choses se soient déroulées comme le dit l’accusé, d’autant moins que les experts sont formels : les blessures déclarées ne collent pas avec les constations faites dans l’appartement. Mais, dans un élan de spontanéité, l’accusé a livré quelque chose de son fonctionnement, à ses yeux bien légitime. A ses yeux.

 

Scène d’embrouille sur le perron du palais de justice

 

Autre illustration, in situ et en direct, suite au témoignage de A. M., sur le perron du palais de justice. Épisode bruyant et échevelé, avec une petite course poursuite jusque sur le parking latéral, qui a mis les policiers présents au footing et au travail. Qui a agressé qui, et pourquoi, on ne sait pas. En revanche sans l’intervention des policiers ça partait en agression physique. « Ne parle pas sur ma famille ! » Les membres féminins venus à l’audience pour la déposition de A. M. ont fait la démonstration de la façon dont on génère une embrouille, puis comment on en fait une cause sacrée, qui vient justifier à leurs yeux qu’on en vienne aux insultes, puis aux mains. « On comprend quelle pression pouvait peser sur le témoin », entend-on ici et là parmi les spectateurs de cette scène. 

 

« Avec vous, rien n’a jamais de rapport avec rien »

 

La présidente Therme le soulignait à l’accusé : « C’est quand même fou que quelque chose d’insignifiant aux yeux de celui qui a subi le préjudice, puisse déclencher une telle dispute et de telles actes, avec de telles conséquences, qui vont jusqu’à la mort. »
« Avec vous, rien n’a jamais de rapport avec rien », lance l’avocate générale à A. Elle liste les éléments qui pourraient se trouver liés entre eux, mais que le jeune homme expose sans aucun rapport entre eux, et en fait « des coïncidences » relève Angélique Depetris. « Est-ce que vous avez peur de Tarik A. ? lui demande maître Forray. – Non, non, mais je ne veux plus de lien avec lui. – Vous le craignez ? insiste l’avocat. – Non, non, pas spécialement, mais je veux juste être dans mon coin. »

 

« C’est très difficile de se trouver devant le meurtrier de son frère »

 

Il dit que ce meurtre a eu des effets qui ont « détruit » sa vie d’alors, et lui ont fait du mal. Un mal dont une des sœurs de Valentin vient témoigner en ce qui la concerne. Elle a 23 ans. Biologiquement Valentin était son demi-frère, mais ils ont grandi ensemble, il était donc son frère, « protecteur, joyeux, souriant ». « C’est très difficile de se trouver devant le meurtrier de son frère. » La jeune femme est bouleversée et bouleversante, dans le box l’accusé reste impassible, fermé.
« Il est si difficile de penser que Valentin est mort de mort violente. Je tiens à témoigner qu’il avait une famille qui l’aime et des amis qui l’aiment, et je voulais que son meurtrier l’entende. Moi ça ne m’intéresse pas d’avoir de l’argent de la part d’un meurtrier (2). » Dans le box, l’accusé se détend la nuque, comme font les boxeurs.
La jeune femme raconte, tâchant de dépasser son émotion et ses sanglots, la douleur qui l’accompagne et parfois la mord : une boulangerie qui s’appelle « Valentin », les questions sur sa fratrie, et comment « à vie », elle aura à vivre également avec la réalité de l’existence du meurtrier de son frère. Elle espère que ce procès apportera des réponses aux nombreuses questions qu’elle se pose, la présidente lui explique que certaines questions resteront sans réponses.

 

« Les coups de couteau déclarés par monsieur Tarik A. ne sont pas suffisants pour générer ce que nous avons constaté »

 

Parmi ces questions, il en est une centrale pour l’issue du procès, car la position de l’accusé consiste à affirmer qu’il ne s’agit que de coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner, mais la visite en 3D de la scène de crime raconte autre chose, sans que les spécialistes puissent dire ce qui s’est passé exactement. Franck Leroux est morpho-analyste des traces de sang (3), il travaille à l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, basé à Pontoise. Nous le suivons dans la visite de l’appartement environ 3 semaines après le meurtre. Nous voyons les mares de sang séchées, les traces plus modestes, voire minuscules. L’expert reste dans toutes les limites de ses compétences et n’a qu’une certitude, la répète : « Les coups de couteau déclarés par monsieur Tarik A. ne sont pas suffisants pour générer ce que nous avons constaté. »

 

Le corps de la victime n’était plus entièrement lisible, la scène de crime l’est davantage

 

Le gendarme ne peut pas retracer de chronologie, il ne peut pas non plus dire ce qui s’est passé, il peut juste affirmer que les déclarations de l’accusé, si elles correspondent à ce que le légiste a pu constater, dans les limites imposées par l’état de putréfaction du corps, soit 4 plaies à l’arme blanche (fesse, face postérieure cuisse, estomac et foie), les déclarations de l’accusé ne rendent pas compte de tout. Par exemple, la présidente Therme interroge le spécialiste au sujet des traces sur la partie basse de la porte de la cuisine. Peuvent-elles provenir d’une perte de sang ? « Non, ce sont des projections caractéristiques de gestes actifs. Ces traces ne sont pas laissées par une personne qui perd du sang. »

 

« Je lui ai dit ‘Au-revoir, mon chéri’ »

 

La grand-mère de Valentin est venue dignement à la barre, raconter son petit-fils. Une grand-mère aimante dont le visage s’est fait minéral lorsqu’elle a regardé l’accusé. La présidente l’a ramenée avec douceur dans l’enceinte du procès « qui doit rester digne, la justice n’est pas la vengeance ». La femme en convient sans difficulté, pourtant « il ne faisait rien de mal, Valentin. Pourquoi lui retirer la vie ? »
Les stupéfiants ? « Je n’en ai jamais vu à la maison. J’ai appris des choses depuis son décès. » Son ami A. ? « Il était très gentil. » Valentin était-il bagarreur ? « Il se défendait. » Il avait fait de la boxe ? « Oui, de la boxe française. Il se déplaçait avec une certaine élégance, je dirais. » Elle témoigne, comme A., que Valentin était sur une pente ascendante, qu’il allait apprendre un métier, qu’il était motivé, qu’il s’était équilibré.

Puis, en réponse à une question de Julien Marceau, son avocat, cette grand-mère relate comment, le 18 juillet 2017, elle a vu son petit-fils partir à son rendez-vous à l’AFPA. « Je lui ai dit ‘Au-revoir, mon chéri’, il m’a dit ‘Coucou, mamie’. » Elle ne l’a plus jamais revu.

Florence Saint-Arroman

(1) IRCGN : l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale

 https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/IRCGN?page=1
(2) Les indemnités que les parties civiles peuvent légitimement demander, auxquelles elles ont droit.
(3) https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/IRCGN/L-Expertise-Decodee/Sciences-Medico-Legales/La-morpho-analyse-de-traces-de-sang

 

 

Photo d’archives



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