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lundi 1 mars 2021 à 22:04

Assises de Saône et Loire

1ère journée du procès du meurtre d'Alain S à Montceau-les-Mines en août 2015



 



 

Il n’était pas loin de minuit, le 29 août 2015, quand Charles S. a déposé anonymement le corps de son frère Alain, aux urgences du centre hospitalier de Montceau-Les-Mines. C’était un soir de pleine lune. Alain était grièvement blessé par balles, il est mort vers 2 heures du matin.

Ce lundi 1er mars 2021 s’est ouvert le procès devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire, d’Auguste et Louis M., deux frères accusés d’avoir assassiné Alain S.

Cette nuit-là, un riverain appelle le commissariat : des coups de feu sont tirés avenue des Alouettes. Il est environ 23h30. Un quart d’heure plus tard, c’est l’hôpital qui appelle, pour signaler l’arrivée d’un individu très gravement blessé par balles. Le blessé, âgé de 48 ans, succombe à ses blessures. L’autopsie relève une plaie traversante au niveau du coeur, un hématome dans le dos, une plaie rectiligne sous le bras gauche (évoque une blessure par serpette), et 57 orifices d’entrée perforants (le corps est criblé de plombs). « Longue agonie » précise l’ordonnance de mise en accusation que lit la présidente Caroline Podevin.

Les accusés encourent une peine de réclusion criminelle à perpétuité

Ce détail est important, car non seulement cet homme a été volontairement tué, mais en plus il s’est vraisemblablement vu mourir et cela peut jouer sur les indemnités que les parties civiles seront en droit de demander, si toutefois la Cour condamne les accusés. A ce stade rien n’est certain puisque Auguste et Louis M., qui encourent une peine de réclusion criminelle à perpétuité, contestent être les tireurs. Ils comparaissent librement. Chacun fut placé sous contrôle judiciaire après plusieurs mois de détention provisoire. Pour les défendre, trois avocats : maître Nicolle, maître Schwerdorffer, et maître Pichoff.

Qui a tué Alain S. ?

Maître Rollet, lui, se constitue partie civile pour la veuve d’Alain S., pour sa mère, pour son frère, pour ses enfants et les enfants de ses enfants. La salle pourtant est presque vide, car les consignes de précautions sanitaires n’encouragent pas la venue du public. Les soutiens se tiennent dehors, vers le tribunal. En fin de matinée, la présidente invite les accusés à donner leurs positions : « J’ai pas tiré », dit Louis M., « Moi non plus », murmure Auguste M., sur le polo et le jean duquel on a retrouvé des résidus de tir.

Il semble établi qu’à l’origine des tensions entre ces deux familles (dont les arbres généalogiques sont liés), il y a « une dette d’argent », mais pas n’importe quelle sorte de dette. Pour y voir clair, si l’on peut dire – car les questions se heurtent à une omerta farouche, il faut poser les liens entre les uns et les autres.

Contexte familial au sens large

Louis M. dit « Gros » est l’aîné d’une fratrie de 11 enfants. Auguste, dit « Bébé », est le second, il a 61 ans. Chaque frère épouse une de ses cousines germaines, leurs femmes sont sœurs. La famille de 11 enfants compte 6 filles, l’une d’elles a épousé Alain S. Dans ces familles, les enfants portent le nom de leurs mères, ceci explique que le fils d’Alain S. porte le même nom que les accusés. Les enfants de Gros et de Bébé portent également le nom de leurs mères, et puisqu’elles sont sœurs, ils ont donc le même nom. Auguste et sa femme ont eu 3 enfants, dont un fils, Joseph. Un fils hémophile, donc fragile, sur lequel ses parents veillaient encore alors que lui-même était marié et père.

Un gros contentieux : une parole donnée, et pas tenue

Auguste M. est à la barre, il raconte ceci : « Alain était passé chez mon garçon, à Villefranche. Joseph était sur le voyage avec une mission évangélique. Il était absent, Alain a fouillé dans sa voiture, a pris ses gants. Il est cambrioler avec. On a trouvé l’ADN de Joseph, mon garçon a payé. Il n’a pas dénoncé son oncle, ça, ça ne se fait pas. » A l’audience, Joseph se dit innocent, mais il est condamné à une peine de 18 mois (ou 2 ans), peine qui fut aménagée.

 

Par contre, il devait « environ 10 000 euros », dit son père à la barre, en réparation du préjudice causé. « Alain a payé son avocat, et devait le dédommager et ça s’est pas fait, car entre-temps il a eu d’autres problèmes de gendarmes et n’avait plus de sous. » Tout le monde s’accorde sur l’origine de ce contentieux : une parole donnée, pas tenue.

« Viens vite, ils vont nous tuer, ils ont un fusil ! »

Le 29 août 2015, il fait nuit lorsque Alain S. et son fils David débarquent chez Auguste et sa famille, à Saint-Sernin du Bois. Une maison « en dur » qu’Auguste a construite. Joseph vit dans leur cour, avec sa propre famille. La femme d’Auguste téléphone à sa soeur, elle crie : « Viens vite, ils vont nous tuer, ils ont un fusil ! » Alain saute sur Auguste, Auguste blesse Alain sous le bras. David saute sur Joseph et « le coupe », il le blesse à la tête, ça saigne, or Joseph est hémophile, donc cette blessure, pas mortelle en soi, peut l’être pour lui. Son épouse l’embarque aux urgences, il sera transféré au CHU de Dijon dont il s’échappera une fois des agrafes posées. Il récupèrera sa femme et ses enfants et prendra la fuite, par peur des suites.

Chaque famille a perdu l’un des siens, de mort violente

En effet, ce même soir, et après cette première agression, Auguste et son frère Louis, chacun au volant de son véhicule, vont croiser Alain S. et son frère Charles, avenue des Alouettes. La soirée avait déjà connu un blessé, elle va connaître un mort. Le magistrat instructeur estime que cet assassinat est la suite de l’altercation à Saint-Sernin. C’est un réglement de comptes, et visiblement il n’est pas terminé, car « on savait que le fils d’Alain tournait beaucoup sur le Creusot, qu’il essayait de nous coincer, à tuer l’un de nous », dit encore Auguste à la barre. « Ce qu’il a fait, d’ailleurs. » (Ses propos lui appartiennent car à ce stade ce dossier est à l’instruction, ndla)

« J’ai pas toutes mes raisons. On m’a tué mon fils, madame »

En mai dernier, son fils Joseph est retrouvé mort dans une ruelle, « massacré » dit son père qui étouffe ses sanglots. Voilà l’état des lieux, en ce premier jour d’un procès prévu pour se dérouler sur toute la semaine, et si besoin jusqu’à mardi prochain, pour tâcher de savoir ce qui s’est passé avenue des Alouettes.

L’épouse d’Auguste, la maman éplorée de Joseph, est entendue par la Cour. « J’ai pas toutes mes raisons. On m’a tué mon fils, madame. J’ai beaucoup perdu la mémoire. » Si la présidente comprend bien que cette maman soit dévastée par sa grande douleur, elle comprend moins, voire pas du tout, que cette femme se taise absolument sur ce que son mari et son beau-frère ont pu dire en revenant de l’avenue des Alouettes, dans la nuit du 29 août 2015.

« Les gendarmes ont demandé s’il y avait un blessé. On a dit Non »

Le couvercle était déjà tombé sur de la rixe à Saint-Sernin du Bois, car quelqu’un avait appelé les pompiers, et les gendarmes se sont aussi déplacés.
« Les gendarmes ont demandé s’il y avait un blessé. On a dit Non.

– Et pourquoi vous leur dites qu’il n’y a rien ?

– On ne voulait pas aller plus loin, c’était de la famille.

– Et alors ? Il y a des limites, hein, à ne pas franchir, et là, on est d’accord qu’elles avaient été franchies ! Mais on cause pas, on veut pas d’ennui, on verra ce qui se passe après. Et justement, sur l’après… Madame vous ne vous sentez pas un peu responsable de ce qui s’est passé après ?

– Ben non, j’y suis pour rien.

– Ils ont franchi la ligne, on la franchit à nouveau en réponse, et ça crée une telle tension que ça peut dégénérer. Et ça a dégénéré. Un blessé, puis un mort. »
La femme à la barre reste droite. Et muette.

 

Florence Saint-Arroman

 

 

 

 

Photo d’archives de la Reconstitution du mercredi 23 mars 2016

 

 

 

 

 

 



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