Assises de Saône et Loire
3ème journée du procès du meurtre d'Alain S à Montceau-les-Mines : Que s’est-il passé sur la scène de crime ?
On assiste à un pathétique match de ping-pong. Pathétique, car il y a eu un mort, et deux hommes accusés de l’avoir tué encourent des peines de réclusion criminelle à perpétuité, mais finalement le plus important, l’essentiel, c’est de dire « blanc », là où « les autres » ont dit « noir ». Du coup, ce mercredi 3 mars, troisième jour du procès d’Auguste et Louis M., devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire, le temps est long, et pourtant nous en sommes arrivés à la scène de crime.
Que s’est-il passé sur la scène de crime ?
Que ça agace tout le monde n’y change rien. La présidente mène l’interrogatoire sur les faits de chaque accusé à la barre, et bilan ? Hier, Louis est décrit comme chef de clan. À la barre il égrène des petits rires de grand-père pour assurer les jurés que, allons, pas du tout. Il en sera ainsi pour tout. Il s’agit d’avancer dans les reconstitutions des scènes qui se sont succédées ce dimanche 29 août 2015, jusqu’à la scène du crime. A 14h30, ça fait cinq heures qu’on suit les interrogatoires et à ce stade c’est quasiment peine perdue.
Au nom de « Chez nous »
L’expert en balistique, convoqué pour 14 heures, est arrivé dans la matinée. A 12h45, la présidente, Caroline Podevin, a cette phrase : « Je dirai que, de toute façon, tout a été compliqué dans ce dossier. » L’audience est à l’avenant. La magistrate confronte chacun, comme elle l’a fait dès le début, tant l’inertie qu’on lui oppose au nom de « chez nous » est pénible. Alain S. est volontairement tué en 2015. Le 26 mai dernier, c’est Joseph qu’on assassine rue de Decize, au Creusot. Ce dossier est en cours d’instruction, mais il est impossible de ne pas faire de lien, au cours du procès, tant les efforts de chacun à empêcher que la vérité apparaisse sont vigoureux, tant on s’accuse, dans le même temps, et tant la haine s’exprime à l’extérieur.
« De tout et de rien »
Le sens de la famille ? « Tous ceux qui ne se sont pas manifestés dans cette affaire, ni pour vous défendre, ni pour témoigner ? dit la présidente à Auguste. Chapeau ! Ça, c’est de la famille ! » L’ironie n’échappe pas à l’accusé qui répond : « Je m’en aperçois maintenant, madame. » Sur le campement de Montceau, en fin de journée, jamais Auguste n’a heurté Alain S. avec sa voiture, non, dit-il. Et avant de quitter la place, il a parlé avec son frère Louis. Très bien, de quoi ont-ils parlé ? « De tout et de rien. » Léger soupir de la présidente. « Je ne sais pas combien de fois on trouve cette expression dans les dépositions. »
Une interrogation parmi d’autres
La présidente de la Cour d’assises, Caroline Podevin, s’en était étonnée : « Je ne comprends pas, disait-elle au fils d’Alain S., assassiné dans la nuit du 29 août 2015 à Montceau, je ne comprends pas pourquoi, alors qu’on vous accuse d’avoir blessé Joseph à la tête (plaie saignante sur un jeune homme hémophile, ndla), pourquoi on ne s’en prend pas à vous, mais seulement à votre père. » Un des juges assesseurs y revient. « Pourquoi vous ne vous en prenez pas à celui qui a blessé votre fils ? » La voix d’Auguste se fait forte. « Parce que je ne suis pas méchant. »
Ils avaient tous peur les uns des autres, disent-ils
Ce qui est frappant, tout de même, c’est combien ils ont tous peur. Auguste conseille à son fils Joseph de s’enfuir, peur que les autres lui fassent du mal. Alain appelle son frère Charles dans la soirée : il a peur que les autres fassent du mal à David, son fils. Dans ces conditions ils ont beau défiler à la barre, un pacifisme à toute épreuve en bandoulière, on en doute, forcément. Et pourtant, quand Auguste croise Alain S., au milieu de la nuit sur l’avenue des Alouettes, « vous pensez à votre fils blessé (Joseph, hémophile), vous êtes pacifiste, vous n’êtes pas armé. Alain S. est d’après vous dangereux et armé, il vous dit de vous arrêter, et vous vous arrêtez ! Pourquoi ? » …
Avenue des Alouettes
Louis M. affirme que c’est Charles S. le tireur sur la scène de crime. Mais Louis M. est en contradiction avec plusieurs points de ses déclarations antérieures. En tous cas, il maintient que Charles est le seul à avoir un fusil. Mais à 16h30, Charles S. est à la barre, il est catégorique : il n’avait pas de fusil. Bichette (c’est son surnom) raconte sa soirée du 29 août. « Alain m’a appelé, m’a dit qu’il avait été coupé. Il me demande de venir chez notre tante, à Blanzy. J’y vais. J’ai roulé un peu vite. Alain avait peur pour son garçon. On repart sur Montceau. Sur l’avenue des Alouettes, on les a croisés. Mon frère a dit « C’est eux ! » Le camion benne a fait demi-tour, le Berlingo est allé se ranger de l’autre côté*. Mon frère est sorti de la voiture, il est parti en direction de la fourgonnette. »
« Et j’ai vu mon frère arriver, plein de sang »
« J’ai vu Gros (Louis M.) sortir du camion, torse nu. J’ai vu un grand truc qui dépassait. Je le fixais, et j’ai entendu des coups de feu. » Il aurait lancé à Gros, « A mains nues! », prêt à se battre, mais des coups de feu éclatent. Il pense que ça a tiré des deux côtés, il en a du moins « l’impression ». « Et j’ai vu mon frère arriver, plein de sang. Il tombe sur les genoux. Il était lourd, j’avais du mal à le porter. Je l’ai assis dans la voiture. Il disait que c’était Bébé (Auguste) qui lui avait tiré dessus. Il avait du mal à respirer, il crachait du sang dans ses mains. Je l’ai emmené à l’hôpital, j’ai dit Au secours, quoi. Ils l’ont pris. Je suis vite reparti chez ma tante à Blanzy, elle est comme une mère pour nous. J’étais pas bien, je tremblais. » Plus tard il repart à l’hôpital. « Y avait pas mal de monde, déjà, j’ai appris que mon frère était parti. »
Y avait-il un autre homme sur la scène de crime ?
La présidente l’interroge à son tour, reprend chaque détail, chaque mouvement, chaque direction, essaie de fixer cette scène. Pas simple avec des versions différentes, pas simple vu la brutalité de la scène qui n’a pas duré longtemps. Charles S. maintient qu’il y avait deux personnes dans le Berlingo, mais s’il a dit que c’était Franck-Guy, c’est parce que son neveu l’avait vu monter dans la voiture d’Auguste quand ils ont quitté le camp, et non parce qu’il l’a clairement vu. Les accusés ont eu une tout autre version. « Eux, ils disent que c’est moi qui ai tiré, je sais. Que j’étais drogué, je sais. C’est des menteurs. J’avais pas d’arme. Et puis, tirer sur mon frère ? N’importe quoi. »
Serpette et club de golf
19h15, l’huissier d’audience, dûment ganté, présente le scellé 1 aux jurés et aux avocats des parties : la serpette. C’est un beau morceau, un peu plus grand que le diminutif en « ette » le laisserait imaginer. Deuxième scellé : le club de golf. Pourquoi avoir un club de golf ? « C’est pour les hérissons », expliquait le-dit Bichette quand la présidente l’interrogeait à ce sujet.
La serpette, « extrêmement dangereuse, observe maître Schwerdorffer, et vous n’avez pas vu que votre frère la portait ? » Charles S. répète que non il n’a pas vu. « Décidément, jusqu’au bout vous n’aurez rien vu », conclut l’avocat.
« Avez-vous vu qui a tiré sur Alain S., ce soir-là ? »
La justice, qui a besoin d’éléments et de témoignages précis, nets, est sans cesse ramenée à « c’est ce que j’ai entendu », « c’est les gens qui parlaient », qui ont dit. Comme quoi ça cause beaucoup, mais… « Avez-vous vu qui a tiré sur Alain S., ce soir-là ? » Non, Charles S. ne l’a pas vu.
Florence Saint-Arroman
*Ça situe le camion benne de Louis sur le parking du garage Mazda qui s’y trouvait à l’époque, et la fourgonnette d’Auguste se place de l’autre côté de la route, pas loin du 47 de l’Avenue, vers une pharmacie.