Autres journaux



mercredi 23 juin 2021 à 16:30

Assises de Saône-et-Loire : Procès de Valérie Bacot

On a entendu la mère de l’accusée « Il m’a trompée avec ma fille »



 



 

Dans un procès il y a les mots de chacun, et puis il y a ce qu’ils finissent par raconter. Il ne faut jamais être trop pressé, car journée après journée, un tableau se dessine. Celui qui s’est esquissé ce matin, mercredi 23 juin, au 3ème jour du procès de Valérie Bacot devant la cour d’assises de Saône-et-Loire, est assez terrible, très triste, et puis, complexe.

Maître Saggio, qui intervient pour le dernier fils de Valérie Bacot, seule partie civile, interroge la mère de l’accusée, témoin très attendu, forcément. « Madame, vous aviez déclaré, à l’époque : ‘Il m’a trompée avec ma fille. Je lui pardonne, mais sous condition. Comment une mère peut pardonner cela ? » La mère ne répond pas. « Il m’a trompée avec ma fille. » Cette phrase vient raconter quelque chose de glaçant, mais aussi d’intéressant. « Il » c’est Daniel Polette, ce chauffeur routier qu’elle rencontre l’année de son second divorce d’avec le père de ses trois enfants.

Malsain. « Y a rien qui va dans cette histoire », comme disait un témoin

« Il m’a trompée avec ma fille. » La perversité à l’œuvre chez cet homme – décrit plus tard par l’un de ses frères comme « un être ignoble », « violent », « qui tapait sur son propre père », lequel se suicidera -, a trouvé un écho chez celle de cette maman, visiblement engagée dans une forme de rivalité parfaitement déplacée avec sa fille. Sa fille avait 13 et 14 ans lors des premières agressions sexuelles, puis des premiers viols. Elle en avait ensuite 17, lorsque le violeur est revenu vivre au domicile de sa mère. L’enfant manipulée qu’elle fut (par sa mère, c’est ce qui ressort des débats de ce matin, et par Daniel Polette lui-même qui exerçait sa pression sur Valérie par des courriers) était devenue une adolescente révoltée, qui était entrée dans ce jeu malsain, et prenait la place d’une rivale en effet qui allait damer le pion à sa mère. Sa mère se défend vigoureusement d’avoir été cette femme-là, mais une question de maître Tomasini sur la question des tatouages va la trahir. Daniel Polette avait tatoué un dauphin sur la hanche de Valérie. « Je ne vois pas pourquoi tu fais un tatouage à Valérie et pas à moi ! »

« On lit beaucoup, dans les rapports, que vous est ambivalente »

Deux sœurs de Daniel Polette signalent les abus dont la petite est victime. Valérie ne dit rien. Il faut qu’un examen gynécologique « constate une défloration ancienne », pour que les faits soient avérés. La procédure pénale démarre. La mère dépose plainte mais à l’audience, en 1996, c’est un administrateur ad-hoc de l’UDAF qui veille à ce que les droits et intérêts de l’enfant soient respectés. Pourquoi ? « J’ai pas été assez méchante à l’époque », répète la mère à la barre. « On lit beaucoup, dans les rapports, que vous est ambivalente », observe la présidente. « Ça revient à ça, maintient la femme. J’ai pas été assez méchante. » La présidente le relève : « Est-ce que vraiment c’est être ‘méchant’ que de… – Je reconnais que j’ai pas assumé ce que j’aurais dû. Mais on peut essayer d’excuser et de retenter quelque chose, Valérie l’avait écrit aussi, et elle s’était mise en colère contre le directeur de l’UDAF quand il avait refusé les permis de visite. »

« On faisait les trajets ensemble, elle faisait sa conduite accompagnée »

Visites refusées à la gamine, victime dans ce dossier, mais la mère, elle, se rend au parloir. Et elle va au centre pénitentiaire avec Valérie. « On faisait les trajets ensemble, elle faisait sa conduite accompagnée. » La mère ne semble avoir aucune conscience de ce qu’elle dit. Elle est très centrée sur les questions matérielles, « mes enfants n’ont jamais manqué de rien », et la gestion des emplois du temps. « J’assurais les trajets pour que Valérie puisse faire ses stages, en mettant sur la porte de la boutique un petit panneau, ‘Retour dans 15 mn’. » Dans ces conditions, quoi de mieux que de rentabiliser les trajets jusqu’à la prison, en laissant la jeune fille conduire ? La mère est rivée sur les questions pratiques. Le reste…

« Symboliquement, et pas que, je pense que c’était très compliqué pour votre fille » 

La présidente est grave : « C’est assez particulier, madame… Votre fille a sans doute besoin que vous soyez en capacité de lui dire qu’il y a des choses qu’on a faites et qui n’étaient pas les meilleures pour son enfant. » La mère de l’accusée : « Oui. Non mais oui. »
Et la femme d’immédiatement ajouter : « Ça faisait l’occasion de faire ses kilomètres. » On se dit qu’elle est perverse, mais qu’il n’est pas évident qu’elle en ait conscience. « Symboliquement, et pas que, je pense que c’était très compliqué pour votre fille » dit la présidente. La femme de 65 ans, ancienne commerçante désormais à la retraite et maman de celle qu’on va juger pour l’assassinat de son mari qui fut l’amant et le compagnon de sa mère, cette femme sait-elle ce que signifie « symboliquement » ?

« La situation est très inquiétante »

En avril 96, Daniel Polette est condamné pour des faits de viols requalifiés en agression sexuelle sur mineure de 15 ans (ce qui signifie « de moins de 15 ans) à 4 ans de prison. Il avait fait de la détention provisoire, il sort à l’automne 1997. Deux mois après son retour, la mère estime qu’il a recommencé et elle saisit les enquêtrices sociales, lesquelles font remonter leurs inquiétudes au procureur de la République, « les relations sexuelles ont repris ». Une nouvelle enquête sociale est diligentée. Il est écrit que « la situation est très inquiétante ». Le juge des enfants convoque tout le monde à son audience, le 17 septembre 1998. « Il est assez rare, souligne la présidente Therme, qu’un juge des enfants, à quelques semaines de la majorité, se donne la peine de convoquer tout le monde. »

« Le juge des enfants a dit à monsieur Polette qu’il était un maquereau »

« L’audience est houleuse, dit la mère de Valérie Bacot. Valérie avait demandé à être émancipée, son père et moi l’avions refusé. Le 31 août, Daniel Polette avait déménagé, quittant mon domicile, et Valérie n’était plus rentrée à la maison. On était en bras de fer toutes les deux. Le juge des enfants a dit à monsieur Polette qu’il était un maquereau. Valérie, pas contente, s’est levée. Le juge l’a remise en place. J’attendais qu’on me ramène Valérie à la maison et que lui, il reparte en prison, mais… »

« L’opposition résolue de l’intéressée qui sera majeure dans 2 mois »

La présidente lit un extrait des notes de cette audience. « Valérie : j’aime monsieur Polette. C’est ma vie privée. J’envisage une vie de couple, comme tout le monde. Daniel Polette : Il y a toujours eu une attirance entre Valérie et moi et une nouvelle incarcération n’y changera rien. Valérie : Maman a dit d’accord sous réserve qu’elle garde un œil sur mes études. Sa mère : Ils m’ont donné un papier (demande d’émancipation), je n’ai pas donné mon accord. »
L’éducateur est inquiet, mais « compte tenu de l’opposition résolue de l’intéressée qui sera majeure dans 2 mois », l’assistance éducative prend fin. Le juge des enfants transmet au parquet la note d’audience. Le substitut aux mineurs écrit qu’il ne réserve pas de suite, compte tenu de la résolution de Valérie Bacot, et de sa proche majorité.

« Toi tu n’as jamais su garder un homme, à moi de faire mieux »

« C’est pas moi qui coupe les ponts, dit la mère, à la barre. Elle m’avait écrit une lettre, qui est charmante. » La présidente va lire ce courrier, que la mère avait transmis. « Joëlle (c’est le prénom de la mère), j’ai reçu ta lettre, où je vois que tu ne me laisseras pas au calme (…). Tu parles de pilule (contraceptive), mais je fais ma vie comme je veux. (…) Toi tu n’as jamais su garder un homme, à moi de faire mieux. (…) Sache que je veux vivre ma VIE. (…) Beaucoup de parents aident leurs enfants, toi tu veux me mettre dans la MERDE. (…) Moi je ne veux rien de toi, alors, laisse-moi tranquille. » D’un ton un peu grave, la magistrate dit à la mère : « Et vous allez le faire. Vous allez vous effacer. » La mère répond : « La justice ne le réincarcère pas. Elle est majeure. Je fais quoi ? »

« Ce qu’elle a vécu, c’est pas normal »

Un peu plus tard, « est-ce que vous êtes inquiète de ce qu’elle peut vivre avec son mari, que vous savez possessif et violent ? – Oui. – Qu’est-ce que vous allez faire ? – Rien. Elle était chronométrée (surveillée par son mari, tracée, en quelque sorte, ce point est acquis, ndla), tout le monde le savait. Il fallait qu’il l’isole pour faire ce qu’il voulait. » Que pense-t-elle du fait que sa fille, 25 ans plus tard, est accusée de l’assassinat de cet homme ? « Il y avait peut-être d’autres solutions, mais elle a eu le courage de le faire. Ce qu’elle a vécu, c’est pas normal. Elle côtoyait sa grand-mère, elle n’était pas isolée. Quand elle a accouché, il y avait des services sociaux dans les maternités, je sais pas. Ce qu’elle a vécu, c’est pas normal. »

Plainte récente pour complicité de viol par omission

Question d’Eric Jallet, avocat général : « Lors de l’instruction initiée du chef de viol aggravé, vous savez ce qui se passe ? Vous savez pourquoi il y a une re-correctionnalisation ?
Réponse de la mère : Parce que je n’ai pas été assez méchante, on a essayé d’excuser.
L’avocat général : Votre fille n’était pas d’accord pour ces viols, comment comprenez-vous qu’après ça il revienne à la maison ?
La mère : Oui, ça ne peut pas être serein. »
En fin de matinée, la mère a appris de la bouche de maître Tomasini que sa fille vient de déposer plainte contre elle, pour complicité de viol par omission.

Scénario d’une catastrophe annoncée

Le scénario d’une catastrophe annoncée a commencé ainsi, malgré la condamnation de Daniel Polette, malgré les mesures d’assistance d’éducative et malgré les rapports des enquêtes sociales. L’adolescente avait grandi, et, à deux mois de sa majorité, il était devenu impossible de lui faire entendre raison. En 1992, un enquêteur social préconisait que le père de Valérie ait la garde des enfants, des trois. Cela n’a pas été décidé. C’est un enchaînement de malheurs auquel nous assistons, comme à chaque procès, mais le tableau qui se dessine en audience n’est pas celui qui est présenté depuis des mois au public.

Demain, les experts psychiatre et psychologue rapporteront leurs travaux : quelle femme, l’enfant psychologiquement fragile que fut Valérie Bacot, mais aussi cette « bonne grande sœur » qu’évoquait son petit frère à la barre, est-elle devenue ?

Florence Saint-Arroman

 



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.


» Se connecter / S'enregistrer