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mardi 21 décembre 2021 à 06:14

Faits divers : Montceau

Un policier ouvre le feu alors qu'il poursuit, seul, deux voleurs dans la nuit



 



 

Il était plus de minuit, c’était le 16 octobre dernier. Deux hommes s’enfuyaient en voiture. Sur place, à l’entrepôt dans lequel ils volaient du gasoil, un policier était encore dans la cour, alors l’autre policier a pris sur lui de pourchasser les voleurs. Seul. Sans gyro. Jusqu’à l’échangeur des Alouettes à Montceau.

A partir de là, on a deux versions. « La version de l’un, qui a 16 condamnations à son casier ; la version de l’autre dont le métier le met au service de la population » résumera maître Bibard lorsqu’il prendra la parole pour le policier qui a finalement réussi à coincer la voiture des voleurs et qui entendait procéder à leur interpellation. Seul. « Circonstances traumatisantes », dira Clémence Perreau, substitut du procureur : « Il est seul, une voiture lui fonce dessus. » A ce stade de l’audience, le prévenu laisse tomber ses protestations, c’est peine perdue. Il maintient néanmoins qu’il n’a jamais chercher à foncer sur le policier, qu’il voulait juste s’enfuir parce qu’il avait peur, on comprendra pourquoi plus tard. N’empêche que ce policier va vivre un moment dramatique, dans le noir du cœur de la nuit.

Le policier a ouvert le feu

Sa version dit que la voiture des voleurs a d’abord calé sur un terre-plein. Il a même cru que le moteur ne repartirait pas. Il leur a crié des trucs. Sans doute qu’il était policier et qu’ils devaient sortir de leur voiture, sans faire de difficultés. « Cela vaut sommation », considère le parquet. Sauf que le moteur est reparti et la voiture avec. Le policier a ouvert le feu. Il a tiré 4 fois. Des impacts de balles sur le côté du bas de caisse, à l’avant, et puis sur la portière du passager. La voiture, faiblement touchée, prend la fuite dans la nuit. C’est un véhicule loué au nom de la compagne du prévenu. Elle sera placée en garde à vue, en sortira libre et ira se réfugier avec son fils chez les parents du prévenu, lequel ne tardera pas à venir s’y cacher. Ça se passera mal, les parents appelleront les forces de l’ordre. Un enquêteur de Montceau lui parle. Il se rendra le lendemain.

37 ans, 12 ans de sa vie passés en prison

« Pourquoi ne se laisse-t-il pas interpeller ? », interroge et regrette la procureur. Eh bien « parce que j’avais peur ». Le dommage du vol n’était pas si grand (100 litres de carburant, « pour un ami », et un bouchon de réservoir forcé, il y en aurait pour 500 euros, écrit l’entreprise lésée). C’est sûr, mais voilà, le prévenu, âgé de 37 ans, a passé 12 ans de sa vie en prison. Pas mal de petites peines et une grosse : 12 ans de réclusion criminelle pour complicité de meurtre. D’abord acquitté, il fut condamné en appel, en 2012. De quoi avoir peur. Pourquoi, dans ces conditions, continuer à faire n’importe quoi ? A cette question, les longues peines, comme on les appelle, savent répondre, mais qu’il est difficile de pouvoir expliquer clairement comment on ne parvient plus à se déprendre de cette spirale infernale, et comment la prison, à force, ça vous détruit ! Du coup, il ne sait pas l’expliquer.

Il avait demandé un avocat commis d’office, mais…

Il commence le temps du jugement avec un peu de force. Il conteste fermement avoir « foncé sur » le policier, mais juste avoir voulu sauver sa peau. Il accepte d’être jugé sans avocat (il a eu tort, ndla). Il avait demandé un avocat commis d’office. Le greffe de la prison lui avait donné le formulaire, mais l’ordre, dit-il, ne lui a jamais répondu. La présidente Catala lui demande s’il veut que le tribunal fasse désigner un avocat, il répond avec lassitude : « Jugez moi. » Cette lassitude va petit à petit entamer son assurance. L’émotion l’envahit. Il finit en larmes.

« Sur la tête de mon fils, quand il a tiré, j’étais à l’arrêt, madame »

La passe d’arme tourne autour des co-auteurs. On ne sait pas qui ils sont, il refuse de les dénoncer. Les magistrats se servent de ça pour lui opposer que ça le plante, « vous ne donnez pas les noms, donc on n’a pas d’autres versions ». Un homme qui circulait avec deux amis cette nuit-là, a rapporté ce qu’il avait vu : un véhicule de police sans gyrophare allumé qui va s’arrêter devant une 208, puis le policier sort et marche, puis la Peugeot qui avance en accélérant, puis il entend tirer, mais ne voit pas la scène. « Sur la tête de mon fils, quand il a tiré, j’étais à l’arrêt, madame. » Le prévenu avait encore un peu de force lorsqu’il a dit cela. « Alors vous êtes victime d’une tentative de meurtre, et vous ne déposez pas plainte ? – J’avais peur, madame. » L’institution judiciaire oppose toujours cela : si vous n’avez pas fait appel d’un jugement, c’est que vous acceptez la décision, c’est-à-dire la vérité judiciaire ; si vous ne déposez pas plainte contre un membre des forces de l’ordre, c’est donc que ce que vous dites n’est pas crédible. D’un point de vue institutionnel, ça se tient, c’est logique, il faut bien emprunter les chemins qui sont balisés à cet effet, sinon on ne s’en sort plus. D’un autre point de vue, rien n’est si simple. Même sans casier, même sans avoir jamais été jugé, on le sait bien.

« Sans drogue, mon cerveau redevient normal, vous croyez que c’est facile à encaisser ? »

Stups, vols, recels, et puis les assises, la réclusion criminelle. « Mes mauvaises fréquentations », « mes fréquentations ». Il essuie ses yeux avec un mouchoir en papier. « Je ne sais pas bien lire, pas bien écrire, je ne sais pas faire les papiers. » La présidente : « Vous n’êtes pas allé à l’école, en prison ? » Lui : « Si, mais c’est galère. Je sais lire, mais écrire… » Quand il est sorti, la dernière fois, il s’est démené. Il a travaillé, travaillé, ouvert sa boîte, ça allait. Et puis il faisait du sport, en équipe, à un très bon voire haut niveau. Et puis il s’est « pété les genoux » sur le terrain. Et puis au boulot, il s’est « sectionné l’avant-bras », « je suis handicapé », puis « je suis tombé dans la drogue » (cocaïne). Les vannes sont ouvertes, il pleure beaucoup. Un juge assesseur lui demande pourquoi, alors qu’il avait été jugé en avril dernier et qu’il était convoqué pour des délits routiers (il n’a pas le droit de conduire, ndla) en octobre, pourquoi être allé voler du carburant ? « Avec la drogue, je m’en foutais de tout. Y a que mon fils qui compte. » Et là ? « Sans drogue, mon cerveau redevient normal, vous croyez que c’est facile à encaisser ? »

« Chacun doit assumer ses responsabilités »

Maître Bibard rappelle que le métier de policier est un métier dangereux et qu’ouvrir le feu « est l’acte ultime » pour un policier. Que, de surcroît, celui-ci qui avait tiré 4 fois ne savait absolument pas s’il avait blessé quelqu’un, qu’il en fut énormément stressé et inquiet. Il a eu 5 jours d’ITT (mouvement de protestation du prévenu). La substitut du procureur estime que le policier n’a pas eu d’autre choix que de tirer, elle regrette néanmoins que le prévenu n’ait pas donné les noms de ses complices, « on est privé de témoignages qui auraient pu être à décharge pour monsieur », et puis « chacun doit assumer ses responsabilités ». Le prévenu a demandé à un pote de faire un faux témoignage pour lui, ça la fiche mal. Ses proches le disent agressif et colérique. Elle requiert 30 mois de prison dont 10 mois seraient assortis d’un sursis probatoire renforcé. Demande son maintien en détention pour les 20 mois ferme. « Une incarcération un peu longue pour qu’il puisse travailler à ce qui est problématique pour lui. »

« Regardez comment j’ai chuté. » Il pleure

Il n’a pas d’avocat. Il dit, pour sa défense, et d’un ton vif : « C’est pas forcément par la prison que vous pourrez aider les gens. Et au sujet du policier : j’ai jamais voulu foncer sur un policier. Mon but, c’était m’enfuir, j’ai vraiment eu peur. J’ai tout fait pour m’enfuir. Il était devant, sur le côté de son véhicule. Je ne comprends pas comment on a trouvé des douilles à 25 mètres, je ne comprends pas. C’est pas des années de prison qui changeront quelque chose. Le mal est fait. J’ai toujours eu des problèmes. J’ai un fils, je ne le verrai pas grandir. Il y a 4 ans, je faisais des championnats de France en (inaudible). Regardez comment j’ai chuté. » Il pleure. « Et là aujourd’hui on veut me donner de l’aide ? C’était avant qu’il fallait le faire. Désolé, madame la procureur, c’était avant qu’il fallait… J’ai 40 ans, ma vie est finie. »

14 mois à l’ombre puis un suivi renforcé

Le tribunal déclare le prévenu coupable de ce qui lui est reproché (vol aggravé, en récidive, et violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique, en récidive) et le condamne à une peine de 24 mois de prison dont 10 mois sont assortis d’un sursis renforcé de 2 ans, avec obligations de soins, de travailler, d’indemniser la partie civile, et d’intégrer le dispositif AIR (accompagnement individuel renforcé). Pour les 14 mois ferme, décerne mandat de dépôt. La présidente Catala prend le temps de tout lui expliquer, et le lui explique bien : à sa sortie il sera accompagné et suivi dans toutes ses démarches, parce qu’il a 37 ans et que sa vie n’est pas terminée.

 

Florence Saint-Arroman

 

 



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Un commentaire sur “Faits divers : Montceau”

  1. Houria dit :

    Honneur et soutien sans réserve à nos policiers.