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mardi 22 février 2022 à 18:00

Montceau : violences conjugales

« Vos filles ont 18 mois, et tout ça, ça les fait crier et pleurer »



 



Il y a quelque chose de déconnant dans cette histoire. On le ressent ainsi. Un petit garçon, entendu par la police, a dit : « Je veux qu’il arrête de faire du mal à ma maman, et qu’il ne vienne plus chez nous. » Un petit garçon qui a pas mal pleuré, conjurant les adultes d’arrêter.

Il est 17h15, ce lundi 21 février, à l’audience des comparutions immédiates, quand l’escorte, qui a dû faire une rotation*, arrive avec le second prévenu. Son avocat n’a pas eu la possibilité de le voir avant l’audience (c’est une spécificité « comparution immédiate »). Du coup, l’escorte et le prévenu redescendent dans les geôles. Fichu lundi, quand ça veut pas, ça veut pas.

La victime ne veut « RIEN ». Vraiment ?

Ça veut pas non plus dans ce second dossier. Le président Marty et un juge assesseur, donnent tout, pour voir ce que le prévenu, 30 ans, a dans le ventre et surtout dans la tête mais enfin celui-ci se retranche derrière son « droit à l’intimité » pour tout esquiver, et attend que son avocat commence à plaider, pour baisser son masque et envoyer un gros baiser à la victime, laquelle ne veut pas se constituer partie civile, ne veut « rien », ce qui est sans doute son droit aussi sauf qu’il y a trois petits enfants dans la boucle.

Un galérien à l’enfance de m…

Chacun d’eux est déjà parent lorsqu’ils se rencontrent. Lui, c’est un galérien. Toxicomanie à l’héroïne, il n’a pas son permis, est parfois condamné pour conduite sans permis, et puis pour des violences, aussi. Il faut dire qu’il a eu une enfance « très difficile » rappelle maître Moundounga Ntsigou, entre les violences dont il fut spectateur et celles qu’il a subies. Il est placé en foyer à l’âge de 12 ans. Le prévenu dit aussi qu’il n’a eu « un logement à lui » que lorsqu’il a rencontré madame. Et puis qu’il a décroché de l’héroïne, le tribunal salue cette réussite. Une rencontre en forme de rédemption, donc. Elle met au monde des jumelles, le voilà père trois fois, la voilà mère trois fois. Mais il reste, disons, brutal dans ses manières. Ils se séparent il y a un an, cependant il vient souvent, voir ses filles, et voir madame.

X, 9 ans, entendu par la police : « Tout le monde pleurait »

Le 20 décembre 2021, une scène avec des suites puisque madame a appelé la police. Monsieur sera jugé pour violence sur conjoint (ex-conjoint, mais c’est pareil pour la qualification des faits). Il est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de contact avec madame ainsi que de paraître à son domicile, sauf que voilà « pour les enfants » ils reprennent contact, se voient. Le 15 février 2022, rebelote. Ils ont toutefois, « une relation sexuelle consentie » puis ça se termine comme en décembre où, rapporte le fils de madame, âgé de 9 ans, « tout le monde pleurait ». Lui, les bébés, leur mère, tout le monde pleurait.

Un homme jaloux et dominateur 

De ce qu’on comprend, le père des jumelles est un homme jaloux et dominateur : sa façon de montrer à madame c’est qui le chef passe par des gestes (il la saisit par la mâchoire, il la pousse, il plaque sa main entre ses jambes, il l’embrasse de force) qui relèvent de l’agression sexuelle dès l’instant où la victime s’en plaint à la police. Pour lui, c’est de l’amour qu’il manifeste, sauf qu’il faut toujours regarder ce que ça fait à l’autre (ça peut faire des choses ambivalentes, ndla), et puis : et les enfants dans tout ça ?

« Vos filles ont 18 mois, et tout ça, ça les fait crier et pleurer »

Le président Marty se fait pédagogue pour expliquer au prévenu en quoi et pourquoi il est nécessaire de parler, de s’exprimer. Principalement, au tribunal, parce que la justice considère que qu’un prévenu qui ne sait pas dire ce qui le prend (dans les passages à l’acte qui le mettent en infraction) et pourquoi ça le prend, reste un individu collé à ses actes et donc les reproduit. « Ce que dit le fils de madame dans ses dépositions, qu’est-ce que ça vous inspire ?
 – Ben… ça me fait ch… .
– Ça vous fait ch… . Est-ce que vous pouvez élaborer (sic, terme difficile à comprendre, ndla) ? Soit vous considérez que le garçon vous enfonce, soit vous considérez que ça vous fait ch… parce qu’il a 9 ans et n’a rien à faire dans un commissariat. Vous avez connu ce qu’a connu ce petit garçon ?
– Oui.
– Vous vous souvenez de ce que ça a créé en vous ? Est-ce qu’il ne mérite pas de grandir dans un milieu stable ? Vos filles ont 18 mois, elles assistent à tout ça et ça les fait crier et pleurer. Pourquoi vous n’aviez pas les enfants en tête quand vous étiez violent ? »
Le prévenu dit qu’il y a pensé. Le président : « ça n’a pas suffi à prévenir les passages à l’acte. Il faudra travailler sur ça, monsieur. »

« Les violences intra-familiales ne relèvent pas du tout de l’intime »

Un juge assesseur revient sur « ça relève de l’intime » : « En réalité ça dépasse le caractère intime. Tant que vous n’avez pas mis des mots sur ce qui vous prend, eh bien, pour nous, c’est compliqué parce qu’on ne sait pas comment vous réagirez plus tard. Donc ça vous concerne vous, ça concerne madame, ça concerne les enfants et, au-delà, ça concerne la société. » Dans le box, ça résiste. Angélique Depetris, substitut du procureur, insiste : « Les violences intra-familiales ne relèvent pas du tout de l’intime. La société française a trop longtemps considéré que ça relevait de l’intime, justement, et il est encore trop ancré dans les mentalités que ‘ça ne regarde personne’. Nous devons nous tous, nous battre contre cela. »

« Un impact sérieux sur les enfants »

Elle en vient au dossier : « Il faut arrêter cela, quand on aime, on ne frappe pas. Et puis il y a un impact sérieux sur les enfants qui se construisent avec les cris, avec les coups. (…) Les déclarations de monsieur sonnent parfois faux. Il a été incarcéré plusieurs fois, or en décembre on lui donne la chance du contrôle judiciaire, ça ne le retient pas, et il vient dire que la détention provisoire l’a fait réfléchir ? Il a eu 13 condamnations, dont 4 pour violences, il a eu des travaux d’intérêt général et 4 sursis mis à l’épreuve. Je fais un constat d’échec. » Elle requiert une peine de 15 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire, et la révocation de 2 mois du sursis en cours.

Pendant que son avocat se démène pour lui…

Serge Moundounga Ntsigou se lève pour plaider. Sa carrure augmentée par sa robe d’avocat cache incidemment le prévenu aux yeux du tribunal, c’est alors que l’homme baisse son masque et envoie un gros baiser à la mère de ses filles, assise dans la salle. Voilà, c’est dit. Son avocat se démène et plaide son enfance, les violences qui l’ont marqué, dans tous les sens du terme. « Il végétait, c’est sa rencontre avec madame qui l’a fait bouger. »

11 mois ferme, 2 ans sous main de justice

Le tribunal déclare le prévenu coupable, le condamne à la peine requise : 15 mois de prison dont 6 mois assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligation de travailler, interdiction de contact avec la victime « sauf pour l’exercice des droits de visite et d’hébergement dès lors qu’ils sont fixés par un juge aux affaires familiales (JAF) », sinon, si le JAF n’est pas saisi pour statuer, alors il verra ses enfants en présence d’un tiers, et devra s’abstenir d’en parler avec leur mère.

Le tribunal ordonne également la révocation de 2 mois de sursis avec incarcération immédiate et maintien en détention pour les 9 mois ferme : ça fait 11 mois.

Le prévenu marmonne des trucs incompréhensibles, et ne manque pas d’envoyer à sa belle un baiser avant de quitter le box. Le message qui accompagne le geste est à l’intention des magistrats : « Cause toujours… » Et les enfants, là-dedans ? L’obligation implicite à devoir saisir un JAF se soucie d’eux, justement.

Florence Saint-Arroman

* Rotation : faute d’escorte en nombre suffisant, celle qui est présente à l’audience doit retourner au centre pénitentiaire après chaque audience pour en ramener le prévenu suivant. Il faut environ 45 mn, durant lesquelles, s’il n’y a pas de prévenu qui comparaît librement à juger, l’audience est suspendue. Cela n’arrive pas souvent, mais ça arrive quand même.

 

 



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