Blanzy
Violences conjugales, l'avocat de la défense met en cause une forme de « sexisme judiciaire »
Le 10 octobre dernier, une femme se présente au commissariat de police de Montceau : elle a peur, peur de son ex-conjoint. Elle s’explique. L’homme est interpellé le 14, placé en détention provisoire le 16, il est jugé ce jeudi 17 octobre.
La victime et le prévenu sont séparés mais c’est une histoire qui aura duré dix ans et donné deux enfants. Pourtant dès le début l’homme était insultant (« p… », « s… », « tu n’arriveras à rien », « tu mérites la mort »).
Les violences ont commencé avant la naissance du premier enfant, auraient redoublé ensuite, d’après la femme. La prévention court de janvier 2020 jusqu’au 10 octobre 2024, l’homme est poursuivi pour violences habituelles et envoi de messages malveillants. La femme verse au dossier des messages, des photos montrant des traces de coups, des blessures liées aux jets d’objets divers et variés.
Deux membres de sa famille sont entendus qui relatent deux scènes violentes avec des détails circonstanciés. Le procureur fait état d’autres témoignages, celui de voisines en particulier qui ont entendu cris et pleurs, l’une dit que cette femme vit dans la crainte de voir son ex débarquer à son domicile et vérifie régulièrement qui est dans l’immeuble.
« Elle invente ! »
Le prévenu, 35 ans, a un casier judiciaire dont une condamnation pour des faits liés aux stupéfiants, de 3 ans et demi de prison. A l’audience, il est radical : « Elle invente ! »
Son avocat fait émerger, en posant question sur question, la toile de fond d’un conflit vif entre son client et la victime, entre autres autour des enfants.
« Vous devez lui dire qu’elle est victime et qu’elle sera protégée »
Maître Bouflija recentre le débat : « Ce n’est pas le sujet, aujourd’hui on est là pour les violences dont madame est victime. A aucun moment elle ne s’est constitué un dossier pour éjecter monsieur, non. Elle vit dans la peur et elle veut qu’il lui fiche la paix. A chaque fois qu’elle prenait une photo, elle se disait qu’elle irait déposer plainte, puis pareil la fois d’après. Et ce 10 octobre elle a eu si peur qu’elle y est allée. » S’adressant au tribunal : « Vous devez lui dire qu’elle est victime et qu’elle sera protégée. »
Le procureur, fort des témoignages et de photos, salue « le courage de madame qui est présente et qui a eu le courage de déposer plainte » et requiert une peine de 12 mois de prison assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans avec l’interdiction de paraître à Blanzy.
« Aujourd’hui, comment peut se défendre un homme face à la parole d’une femme qui accuse ? »
Bruno Nicolle s’engouffre alors dans une plaidoirie corridor qui portera, on le verra, des fruits.
« (…) aujourd’hui, sitôt que la parole d’une femme fait état de violence, elle est accueillie comme elle ne l’a jamais été. Aujourd’hui, il est une réalité des parquets de France, c’est qu’aucune plainte de violence conjugale ne fasse l’objet d’un classement. On a peur du féminicide. Il y en a, nous n’occupons pas des fonctions scientifiques. S’il arrivait quelque chose, qui irait-on voir, sinon le ou les magistrats qui ont pris ce risque. Donc aujourd’hui, comment peut se défendre un homme face à la parole d’une femme qui accuse ? »
« Dès l’instant où une femme est crédible, on va investiguer unilatéralement ! »
« (…) Ce petit dossier est fait exclusivement de la parole de madame. A-t-on interrogé ceux-là ? (l’avocat désigne de la main la famille du prévenu massée sur les bancs côté box) Dès l’instant où une femme est crédible, on va investiguer unilatéralement ! Vous n’avez aucun autre élément. C’est ça, le sexisme judiciaire. »
« C’est la loi, notre boussole, et elle a un minimum d’exigences »
Maître Nicolle met en cause tout le contenu de la procédure. Par exemple, les photos : quelle origine ? « Qu’est-ce qui nous prouve que ces hématomes sont causés par cet homme-là ? » Les deux témoins membres de la famille de la victime : ils savaient, donc, et n’ont rien fait ?
« Quand on en est à ce degré de preuves avancées qui ne s’éloignent pas de l’entourage de madame (mais écartent celui de monsieur) … C’est la loi, notre boussole, et elle a un minimum d’exigences. On ne peut pas juger en disant ‘Il n’y a pas de fumée sans feu’. »
« Et parce qu’un des deux médecins est un ‘expert’, alors ça ferait preuve ?! »
« Alors vient au secours la médecine légale et ça, c’est un grand moment. Les violences physiques ne sont pas contemporaines de la plainte : vous m’accorderez qu’on est loin de la médecine légale, on est plus près de la psychologie. Et parce qu’un des deux médecins est un ‘expert’, alors ça ferait preuve ?! 21 jours d’ITT… C’est pas rien, 21 jours. Mais, le dossier, il commence quand et il finit quand ? » s’agace maître Nicolle.
A ce stade nous avons dû quitter la salle d’audience correctionnelle pour passer en salle d’assises où se tenait un procès. N’empêche que, résultat des courses :
Le tribunal requalifie les faits de « violences habituelles suivies d’incapacité supérieure à 8 jours par conjoint » en violence sans incapacité le 13 juillet 2022 et le 01 janvier 2023 (les deux scènes avec témoins) à Blanzy. Le prévenu est relaxé pour les messages malveillants (que son avocat avait remis dans leurs contextes).
L’homme est condamné à la peine de 8 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire de 2 ans, avec obligations de travailler, d’indemniser la partie civile, de payer les droits fixes de procédure ; interdictions de tout contact avec madame ainsi que de paraître sur son lieu de travail et sur la commune de Blanzy.
FSA