Tribunal
Violences intrafamiliales à Saint-Vallier
Violences intrafamiliales, enfants au minimum témoins, un petit garçon « particulièrement choqué » ont relevé les policiers qui sont intervenus le 27 décembre à Saint-Vallier
L’instruction est sans âme, ce lundi 30 décembre à l’audience des comparutions immédiates. Pourtant il en eût fallu pour démêler un peu cet écheveau de colères et de ressentiments de part et d’autre de la barre.
C’est un dossier de violences sur conjoint ou ex-conjoint, et de violence sur mineur. Le prévenu, 28 ans, est en état de récidive légale pour des violences sur la même femme, faits condamnés en 2021.
En probation pendant deux ans, il a été suivi par un juge de l’application des peines (JAP) et par un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Il a également dû consulter un psychologue, a même vu un psychiatre « deux ou trois fois » : on lui a parlé de « dépression », on lui a donné « des cachets ».
D’emblée la présidente, rapportant les faits, insiste beaucoup : « la situation ne semble pas très claire dans votre relation », « mais il y a ce lien très particulier pour le bien-être des enfants ».
Ce couple s’est formé alors que madame était déjà maman, avec le prévenu elle a eu un autre enfant. Ceux-ci vivent à son domicile. En 2021 son compagnon est condamné à 10 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire. Depuis, le prévenu a élu domicile dans une autre commune. Pour autant, ils se voient.
Un juge aux affaires familiales a statué en juin dernier sur un droit de visite et d’hébergement du père. Quand la relation n’est pas bonne, les parents se réfèrent au calendrier fixé, quand la relation est meilleure, alors ils sont plus souples, explique le prévenu.
Version contre version
C’est ainsi que le 27 décembre, monsieur est attendu au domicile de madame « pour coucher les enfants » et s’en occuper le lendemain matin « parce que madame travaille ». Il appert qu’il est arrivé alcoolisé au domicile, que cela a entraîné une dispute.
A partir de là, madame dit qu’il lui a reproché d’être « infidèle ». Monsieur dit qu’elle a commencé par le traiter de « gros alcoolique ». Quoi qu’il en soit, elle l’aurait prévenu qu’elle allait appeler la police, il aurait jeté son téléphone contre un mur, puis il y aurait eu des « gifles réciproques ».
Puis il aurait passé son bras autour de son cou, l’étranglant, et la petite fille serait arrivée, « elle essaie de le faire lâcher ». Puis il aurait dit qu’il allait partir en emmenant son fils (très jeune). Il aurait tenté de donner une nouvelle gifle à madame, la petite fille « s’interpose » et prend un coup. Enfin, il aurait poussé madame contre le chambranle d’une porte, elle se serait cognée (la tête et le genou).
Elle n’a pas voulu aller voir un médecin pour constatations, elle n’est pas à l’audience.
Le tribunal déclarera le prévenu coupable de tout, pour autant à l’audience il conteste tout. La seule chose qu’il ne peut pas contester c’est son alcoolémie : 1,6 gramme au second souffle, à 23 heures.
Un écheveau
L’enfant de madame, âgé de 8 ans, est entendue et donne un récit qui confirme celui de sa mère. Pour le procureur, ces dépositions concordantes sont une preuve. Pour une juge assesseure, c’est plutôt troublant car pourquoi l’enfant aurait-elle dit aux policiers avoir « un bobo » causé par celui qu’elle appelle « papa » ?
Le prévenu conteste. « Elle est très proche de sa mère, elle a passé toute la soirée avec elle pendant que j’étais en garde à vue, sa mère lui a dit quoi dire. Quand madame a commencé à me donner des coups, l’enfant n’était pas là. »
« Le petit s’est mis à pleurer »
La présidente lui rappelle ce qu’il avait bu, « et avec ça, vous vous rappelez de tout intégralement ? » Il répond que oui. « Elle m’a insulté de gros alcoolique, elle s’est mise à me mettre des claques moi j’ai rien mis. Puis elle est partie en crise de nerfs et la petite est arrivée. Le petit s’est mis à pleurer. » Les policiers décrivent ce petit comme « particulièrement choqué ».
« Votre relation, elle est quand même très particulière, monsieur »
Question de la présidente : « Quel intérêt pour madame de dénoncer des faits de violence alors qu’elle a besoin de vous le lendemain ? Elle ne se met pas un peu en difficulté ? » Le prévenu, spontané : « Ah non, pas du tout ! Elle a ses parents. Elle appelle toujours la police, elle me menace de me priver de mes enfants. » Commentaire de la présidente : « Votre relation, elle est quand même très particulière, monsieur. »
La présidente rapporte que « fin 2023 », « madame se plaignait de menaces, de votre attitude agressive, et d’alcoolisations périodiques. Elle dit qu’elle est inquiète quand elle vous laisse les enfants. » Le prévenu : « ça c’est grave. C’est quand même elle qui, les trois quarts du temps, me demande de m’en occuper. » La présidente, voix tranchante : « D’accord. »
« Ça interpelle »
Le prévenu : « Elle a un problème.
La présidente : Et vous, vous n’en avez aucun ?
Le prévenu : Si, c’est elle mon problème. Mon casier ne comporte pas de mention avant de la connaître. (Deux condamnations, ndla)
La présidente : Oui, mais ça interpelle.
Le prévenu, ferme : Je n’ai pas fait de violence, je ne l’ai pas touchée.
La présidente, coupante : Bien. Le tribunal appréciera, monsieur. »
La femme n’est pas venue à l’audience
Le prévenu travaille en intérim et espère un CDI car les missions qu’on lui confie lui plaisent beaucoup.
Madame, absente à l’audience (« Madame a écrit ne pas venir pour ne surtout pas avoir à vous rencontrer, monsieur » lançait la présidente dès le début), se constitue partie civile ainsi que pour sa fille et demande d’une part 100 euros d’indemnité pour un préjudice moral, et d’autre part « un renvoi sur intérêt civil », l’un n’allant pas avec l’autre. La présidente va jusqu’au bout du mail adressé par France Victimes : madame demande une interdiction de paraître à son domicile, ainsi que des interdictions de contact avec elle, avec sa fille et aussi avec le fils du prévenu « tant que monsieur ne sera pas soigné ».
« Le tribunal s’est contenté de lire le mail qui lui était adressé »
Le prévenu : « Excusez-moi, je voudrais savoir, se faire soigner sur quoi ? »
La présidente, métallique : « Ah le tribunal ne sait pas. Le tribunal s’est contenté de lire le mail qui lui était adressé. »
On a l’habitude, depuis 15 ans maintenant, de suivre des centaines d’audience chaque année, on se demande : en quoi était-il nécessaire de lire intégralement ce mail ? Sauf à renvoyer la violence de la victime sur celui qui est dans le box, mais vu la décision rendue, on ne comprend pas l’intérêt.
« On vous a dit de prendre vos distances et vous y retournez. Y a pas un problème, là ? » demande un juge assesseur
Bien sûr qu’il a eu tort d’avoir persisté dans cette situation pour le moins à haut risque, compte tenu des nombreuses disputes, des alcoolémies positives, de la condamnation en 2021, comme le lui fait observer une juge assesseure : « On vous a dit de prendre vos distances et vous y retournez, y a pas un problème, là ? » Cette juge est par ailleurs juge de l’application des peines. Elle demande à l’homme s’il serait « possible » qu’il ne mette plus les pieds à « Montceau ». (Les faits ont eu lieu à Saint-Vallier mais c’est Montceau qui est écrit sur le rôle, ça peut prêter à confusion – cela dit les communes sont très proches). Sa question vise à balayer toutes les possibilités des mesures à prendre pour mettre fin à ce contexte nocif pour tout le monde.
« Les déclarations des deux victimes correspondent » et « l’auteur était alcoolisé »
Le procureur – en appui sur « les déclarations des deux victimes, qui correspondent » et le fait que « l’auteur était alcoolisé » et que « l’alcool est un désinhibiteur » – requiert une peine de 24 mois de prison dont 12 mois seraient assortis d’un sursis probatoire de 2 ans : maintien en détention pour la partie ferme. « La petite fille ne doit plus voir de violences » dit le magistrat qui demande aussi une interdiction de contact avec les victimes (dont la femme et sa fille) et, enfin, « le retrait total de l’autorité parentale ».
Le prévenu tient le bas de son visage dans une main, il a rougi.
Aucune trace de violence sur les photos, pas de certificats médicaux
« Monsieur conteste les faits, dit n’avoir que repoussé madame. Les photographies ne démontrent aucune trace de blessures. L’enfant n’était pas présente au cours des faits. Elle a une petite griffure sur la main mais rien ne prouve que monsieur l’ait causée. »
Maître Mathilde Bereyziat plaide un point important : dans tous les dossiers de violence conjugale, le certificat médical est une pièce cardinale (pour les magistrats, ça « objective » les faits, on l’entend souvent, ndla), or ici, la femme a finalement mis en échec les demandes répétées émanant soit du parquet, soit de France Victimes, d’aller voir un médecin. « La mère fait entendre sa fille qui n’a que 8 ans, mais ne l’emmène pas voir un médecin. Qu’elle ne le fasse pas pour elle-même, c’est sa responsabilité, mais pour son enfant ? »
« Je demande une relaxe »
Sur les plaintes de madame pendant le sursis probatoire de monsieur : « Lorsque madame a alerté le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le juge de l’application des peines n’a pas révoqué le sursis de monsieur mais il l’a prolongé d’un an. Regardez les rapports du CPIP, dit l’avocate au tribunal. Il est écrit que monsieur respecte le cadre qui lui est imposé. Mais on a quelques inquiétudes, alors on prolonge. »
Un juge aux affaires familiales en juin dernier n’a pas touché à l’autorité parentale partagée, « n’y touchez pas ». « Je demande une relaxe. »
« Le tribunal n’a pas été convaincu, monsieur, par vos déclarations »
Le tribunal déclare le prévenu coupable de tout ce qui lui est reproché. « Le tribunal n’a pas été convaincu, monsieur, par vos déclarations. » La présidente dit ensuite que la relecture de la procédure a permis aux juges d’y trouver des éléments de culpabilité mais elle ne dit pas lesquels (sans doute le prévenu en aura-t-il connaissance quand il aura le jugement motivé, ndla).
Maintien en détention pour 12 mois ferme, interdictions de contact y compris avec son fils
Le prévenu est condamné à la peine de 30 mois de prison dont 18 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Maintien en détention pour 12 mois ferme, puis à sa sortie (le tribunal n’ordonne pas d’exécution provisoire pour les mesures du SP) : obligations de travailler, de suivre des « soins psychologiques », interdiction de paraître au domicile de madame, et « interdiction de tout contact avec madame et les deux enfants ». L’homme éclate en sanglots.
Il est fort probable qu’il fasse appel
Peine complémentaire : retrait de l’exercice de l’autorité parentale sur son fils.
Il devra verser 100 euros aux parties civiles (la mère et sa fille) au titre de leur préjudice moral.
Il est ailleurs, ne fait que pleurer.
Il est fort probable qu’il fasse appel : ce n’est pas le tout d’être condamné, il faut pouvoir comprendre la peine. De ce point de vue-là, l’audience ne fut pas éclairante.
FSA