Tribunal de Chalon
Saint-Vallier : « Avez-vous peur de lui ? – Quand il est sous alcool, oui »
Le 13 mai dernier, à Saint-Vallier, il l’a frappée à en déraciner une de ses dents de devant. Elle n’a rien dénoncé. Le 5 juin, il l’a prise par le cou. Le 6 juin, elle reçoit une pluie de coups. Cette fois-ci elle se manifeste auprès de sa belle-sœur qui alerte les autorités. Il fallait bien que cela cesse.
Soit un couple, dans la trentaine. Ils sont ensemble depuis 2 ans et demi et sont parents de deux enfants, âgés aujourd’hui de 7 moi. Leur père est dans le box, sous mandat de dépôt depuis 48 heures. Il pleure. « Je ne vais pas bien, en ce moment. J’arrive pas à contrôler mes émotions. » Il y arrive d’autant moins qu’à chaque fois il était bourré.
« Qu’est-ce qui ne va pas dans votre vie ? » lui demande la présidente. « Je ne sais pas. J’ai dû quitter mon emploi (il a demandé une rupture conventionnelle car il voulait aider sa compagne en fin de grossesse, ils n’avaient plus de véhicule). Y a eu l’arrivée des jumeaux. J’ai commencé à boire, j’ai fait n’importe quoi, et j’aurais pas dû parce que cette femme, je l’aime. » Il ajoute qu’il y a eu ensuite un enchaînement de difficultés et de problèmes.
Alcool, joints à l’occasion et une pratique intensive des jeux vidéos : ça ne respire guère, tout ça. Il dit qu’il n’a pas d’amis, que sa famille. « J’ai besoin d’aide, de me faire soigner, de repartir à zéro. Je ne suis pas cet homme-là, je ne suis pas quelqu’un de mauvais. »
Le tribunal le travaille un peu sur un versant psychologico-moral, sur la question également de la prise en compte de la souffrance de sa compagne, « au-delà de ce qui se voit ». Enfin, cette question : « Madame, elle va faire comment pour se reconstruire ? » (Ce verbe est employé à la pelle, comme si on était « construit », puis « détruit », et qu’il faille se « re-construire » – curieuse conception des choses mais elle a le vent en poupe au tribunal comme dans la société, les avocats s’en servent beaucoup, aussi, ndla)
Réponse sincère et intelligente du prévenu : « Je ne sais pas quoi dire par rapport à ça. »
Ce que cette jeune accouchée a encaissé
Par contre, quand la victime s’avance pour s’asseoir à côté de la barre, béquilles en main, jambe plâtrée, énorme bun, petit visage aux traits fins et réguliers, les yeux gonflés de pleurer autant, eh bien, on prend mieux la mesure de ce que cette jeune accouchée a encaissé. Il était grand temps que cela cesse, oui.
« Est-ce que vous avez peur de lui ? – Quand il est sous alcool, oui. »
« Je pense qu’il a eu beaucoup d’accumulation. Quand il a eu cette violence, c’était pas lui, il n’était pas comme ça d’habitude.
– Qu’est-ce qui vous fait pleurer comme ça ?
– Parce que je sais que c’est pas lui, il n’est pas comme ça.
– Vous attendez quoi de cette audience ?
– Qu’il se fasse aider. Je sais qu’il n’est pas comme ça. (Les larmes du prévenu redoublent d’intensité– ils pleurent tous les deux)
– Est-ce que vous avez peur de lui ?
– Quand il est sous alcool, oui. »
Sur l’interdiction de contact : « Oui, pendant un moment. Mais je voudrais pouvoir lui donner des nouvelles des enfants. » Maître Marceau intervient pour que la victime confirme la façon dont son conjoint s’est comporté lors d’une des scènes : « Il rentre, il rigole, il joue avec les enfants, il se met en colère, il pleure, il se remet en colère. » La femme confirme. « Il ne va pas très bien, alors », constate l’avocat. « Non » confirme encore la victime.
« Est-ce que madame ne doit pas craindre pour sa vie ? »
Maître Mathilde Bereyziat intervient pour madame, « victime de faits d’une particulière gravité. Il lui a donné un coup dans la mâchoire qui lui arrache une dent, elle est couverte de bleus. Elle dit qu’elle s’est cassé la jambe en tombant alors qu’elle promenait son chien, on peut en douter. Est-ce que madame ne doit pas craindre pour sa vie ? Elle est très isolée, maman de jumeaux très petits. Ni monsieur, ni elle, ne travaillent. Monsieur joue beaucoup aux jeux vidéo. Il jette des objets, arrache le téléphone, arrache les clés… Madame vit dans une ambiance violente. »
Le procureur analyse le dossier selon plusieurs points :
– La temporalité : « Quand bien même il exprime des regrets, et je le crois sincère, ce qui inquiète, c’est la répétition. »
– L’intensité, « pour déraciner une dent ! ».
– Sur personne vulnérable : « Madame a le statut de travailleur handicapé. »
– « Monsieur était à chaque fois en état d’ivresse et sous l’empire de produits stupéfiants. »
Par conséquent :
« Certainement, il y a un contexte, néanmoins, rien ne peut justifier les violences qui ont été commises. »
Le procureur requiert la peine de 24 mois de prison dont 12 mois seraient assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligations de soins, de travailler, d’indemniser la partie civile, de s’acquitter des pensions alimentaires si un JAF en fixe, de payer le droit fixe de procédure. Enfin, interdiction de contact ainsi que de paraître au domicile de la victime.
A noter que le prévenu fut condamné à 3 mois de prison avec sursis en février dernier pour des violences sur sa sœur et sa mère. Des faits datant de 2023.
« Je ne suis pas opposé à un aménagement de peine, précise le procureur, mais je crains la récidive. » Il demande le maintien en détention du prévenu.
D’un certain point de vue, c’est « encourageant »
Maître Marceau n’entend pas minimiser la gravité de ces violences. « Des dents qui sautent, ce n’est pas si fréquent. » Mais, estime l’avocat : « On a deux personnes qui ne nient pas cette gravité. J’entends de la sincérité et des remords, c’est important pour éviter la réitération des faits. Mais s’il ne fait pas un soin complet, en addictologie et psychologique, il n’en sortira pas. Il y a du travail… Il passe du rire aux larmes, on sent cette émotion et moi je trouve que c’est encourageant. »
Encourageant au sens où le prévenu n’est pas totalement verrouillé de l’intérieur, il est au moins capable de dire « j’ai un problème ». C’est une porte d’entrée. Du moins on le comprend comme ça. « Je ne sais pas si ce dossier mérite une incarcération. Je vous demande de le laisser faire ses preuves devant le juge de l’application des peines. »
« Te demander pardon »
Dans l’attente, le prévenu a la parole en dernier : « Je veux juste te demander pardon, dit-il à la victime. Je te promets que je n’ai jamais voulu que ça arrive. Je regrette profondément. »
On songe que la dent de la femme ne repoussera pas, il faudra poser un implant, si cela est possible.
15 mois en prison puis 5 ans de SSJ
Le tribunal déclare l’homme coupable, le condamne à la peine de 15 mois de prison ferme avec maintien en détention et à un suivi socio-judiciaire pendant 5 ans (3 ans de prison à la clé au cas où), avec obligations de soins, de travailler, d’indemniser la partie civile, de payer le droit fixe de procédure, de suivre un stage de sensibilisation aux violences intrafamiliales. Interdiction de tout contact avec la partie civile ainsi que de paraître à son domicile.
Si l’homme ne respectait pas ces interdictions, il serait à nouveau incarcéré.
FSA