Tribunal de Chalon – Narcotrafic
12 ans de prison requis contre le commanditaire
« Le trafic de stupéfiants, c’est de la délinquance organisée. Vous avez devant vous, et c’est assez rare pour le souligner, tous les maillons de cette chaîne. » La procureur ouvre ainsi deux heures de réquisitions, au 4ème jour du jugement de 18 personnes, poursuivies pour trafic de drogue.
Les peines requises vont de 1 à 12 ans de prison. La peine encourue pour trafic de stupéfiants est de 10 ans, mais l’état de récidive légale augmente le quantum. 12 ans, donc, sont demandés pour sanctionner un rôle de premier plan pour celui qui ne pouvait pas avoir les mains dans le cambouis puisqu’il était incarcéré.
« Dozo », « Le touns », a livré « une mine d’or d’informations »
Mohamed Ali X était incarcéré à la maison d’arrêt de Besançon : « la sonorisation de sa cellule a livré une mine d’or d’informations, permettant raccorder les uns aux autres ». Ses surnoms : « Dozo » sur Signal, « Le touns » sur Snapchat, lui permettaient d’avancer masquer. Ses revendeurs, explique madame Girard-Berthet, procureur, ne connaissaient pas son identité, ça évitait de courir le risque qu’ils le dénoncent si jamais… Mais les surnoms livrés par les revendeurs entendus ont mis un autre coup de projecteur sur ce fameux détenu.
Ceux qui s’enrichissent le plus, ne se droguent pas
« Il s’est dit ‘vendeur de poudre’, il devrait dire plutôt ‘vendeur de mort’, car les effets de l’héroïne et de la cocaïne sont dévastateurs » dit la procureur. Dévastateurs, destructeurs : ce n’est pas pour rien que ceux qui s’enrichissent le plus, ne se droguent pas. Pas fous, ils savent bien ce qu’ils auraient à perdre dans de telles addictions. Non, « consommer » comme on dit, c’est bon pour « les petits », ceux dont on va cyniquement profiter, parce qu’ils sont dépendants, parce qu’ils ont souvent des petits revenus.
Un regard bien condescendant voire méprisant sur ceux dont il se servait
« Il reconnaît mais il a pris soin de s’afficher paisible, bonhomme, à l’audience. Il est celui qui dirigeait un trafic sans violences… Mais ne soyez pas dupes. Sa face dure et violente apparaît dans les faits. Mohamed Ali X est celui qui dit de lui-même et des autres : ‘J’ai un cerveau, moi, eux ils n’en ont pas’. »
Sur les faits d’importation
« Il charge certains d’aller à l’étranger, contre rémunération pouvant aller jusqu’à 4000 euros. » La procureur cible deux « voyages », l’un en Belgique, l’autre aux Pays-Bas.
Mais l’essentiel de l’activité se déroule sur le sol national. Et les trajets sont organisés et dirigés par « Moha ». L’héroïne : région lyonnaise, Toul, Strasbourg. La cocaïne : région parisienne, Montbéliard.
Les moyens humains et matériels requis
Pour garder tout ça, il faut, et il y a, des « nourrices », la cave au 63 rue Philibert Guide, et un lieu, dit « d’intérêt » par les enquêteurs, rue Jacques Bézullier à Chalon-sur-Saône, soit des lieux de stockage – il y eut des sacs dans divers endroits et même à Lyon, au gré des ordres du chef qui disséminait drogues, argent et armes, dans un périmètre géographique assez large -, outre des véhicules, une téléphonie pas pensable, des armes, des cagoules, du matériel pour préparer et conditionner les produits, etc.
Le « dozo » est informé de tout et ordonne tout
De plus, continue la procureur (nous suivons le fil des réquisitions), Mohamed Ali X veille à ce qu’après chaque interpellation (celle de Mourad X, celle de Kenza X), des équipes aillent « faire le ménage ». Il faut entendre par là : déplacer tout ce qui relève des activités de narcotrafic, de préférence avant que les forces de l’ordre ne mettent la main dessus. « Il faut tout nettoyer. »
Un organigramme
« Moha » veille au bon fonctionnement du point de deal du Creusot, « son fief ». « Il refuse de s’associer avec d’autres. » La procureur cite une des écoutes : « Pas besoin d’association, je suis chez moi. J’ai mes charbonneurs, j’ai mon petit gérant, etc. J’ai tout, quoi. »
La procureur voit l’organigramme ainsi : le gérant, c’est « La frite », soit Aimir X (celui qui est sous mandat d’arrêt), la comptable, c’est « Quéquette », soit Kathleen X., Ryad X dit « Riri » s’occupe des charbonneurs et des stocks au jour le jour, Sofiane, dit « Sosso », assure, lui aussi, la gestion matérielle du trafic mais un cran au-dessus, puisqu’il récupérait la recette chaque soir, accompagné de Loïc X, dit « Sadek » (qui est dans le box, ce jour). « Loïc X a fini par revendre parce qu’il avait « une dette » de 10000 euros. » (Il a été dit en cours d’audience qu’il avait piqué de l’argent pour aller jouer au casino.) Et puis, il y a les vendeurs.
« J’en envoie partout, partout »
En dehors du Creusot, ce trafic livrait dans d’autres villes comme Lyon, Nevers, Montbéliard, Besançon, Valence, liste non exhaustive. « J’en envoie partout, partout » dit encore « Moha » au téléphone. Des produits coupés, comme des produits non coupés.
La question de la coupe nous conduit au « laboratoire » de coupe de l’héroïne. La procureur estime que les produits saisis représentent la « valeur marchande de 500 000 euros », « cela confirme ce que monsieur Mohamed Ali X a pu dire : ‘Je fait rentrer des sommes à 6 chiffres’ ».
Sur la participation à une association de malfaiteurs
La procureur relève la consigne de changer de véhicules chaque mois pour échapper à la surveillance LAPI*, elle relève les ordres d’acheter ou de revendre des armes, et elle aborde le chapitre « représailles », par lesquelles « il assoit son autorité par la violence ».
Mourad X avait « perdu », en se faisant arrêter antérieurement, une quantité de drogues (saisies le lendemain chez un homme chez qui il était passé, à Chaumont) telle qu’il se trouvait « en dette » de 85 000 euros. Il avait également « perdu » dans les mêmes conditions, un véhicule porteur de fausses plaques que « Moha » l’avait envoyé chercher dans le nord du pays.
Des menaces sordides
Avec tout ça, Mourad X devait se sentir lui-même perdu et, pour finir, il s’est rendu au commissariat de Montceau-les-Mines pour se faire incarcérer. Il avait une peine à exécuter.
Deux à semaines plus tard, une « équipe » de trois hommes se présentait à son domicile et entreprenait d’en forcer la porte, avec l’ordre de « menacer en mode saignant » l’épouse de Mourad X. Le couple a trois enfants dont deux sont handicapés : « Moha » menaçait que « tout le monde finirait en fauteuil ». L’opération « en mode saignant » a échoué parce que les forces de l’ordre, appelées, sont arrivées vite fait.
Dans le chapitre « représailles » la procureur parle également de la « mission gui » : le but était d’aller voler de la drogue à un des fournisseurs de Montbéliard. « Moha » envoie 4 hommes, dont l’un est armé d’une kalashnikov. L’opération échoue mais les moyens utilisés sont là.
« A ma sortie, j’aurai le train de vie d’un footballeur »
La procureur rappelle le casier judiciaire de ce prévenu qui n’a que 28 ans. 7 mentions, dont 2 condamnations pour trafic de stupéfiants et une pour association de malfaiteurs. Dans ce dossier, il a fait 1 an et 11 mois de détention provisoire. Les incidents se sont multipliés en prison. Le détenu a été placé à l’isolement. Puis, transféré dans la prison dite de haute sécurité à Vendin, « en raison de son profil ».
La compagne du prévenu fut elle aussi mise sur écoute, la procureur livre quelques éléments qui parlent d’un train de vie habituel dans ce milieu, où l’on finit par peser sa propre importance par le prix de ses bijoux ou de ses sacs. On a les mesures qu’on peut, c’est vrai pour tout le monde mais c’est pas les mêmes mesures pour tout le monde. Son compagnon lui a dit : « A ma sortie, j’aurai le train de vie d’un footballeur ».
Le parquet représente la société. C’est en ce sens que la procureur rappelle que les trafics de drogue sont au cœur de deux pans majeurs de la vie commune : « il y a un enjeu de santé publique et un enjeu de sécurité publique ».
Les peines requises
C’est ainsi qu’après avoir pris chaque cas en compte, exposant ce qui implique chacun dans ce trafic, elle requiert contre Mohamed Ali X, 28 ans, né à Le Creusot, la peine de 12 ans de prison, 500 000 euros d’amende, une interdiction du département de Saône-et-Loire de 5 ans, et une interdiction de détenir une arme pendant 5 ans également.
Contre Aimir X, né à Chalon, 24 ans : la peine de 8 ans de prison avec mandat d’arrêt, une amende également et interdiction du département pendant 5 ans, idem pour toute arme.
Contre Kathleen X, née à Le Creusot, 25 ans : 6 ans de prison avec mandat de dépôt, 50 000 euros d’amende et interdiction du département pendant 5 ans.
Contre Samir X, né à Le Creusot, 25 ans : 6 ans de prison avec maintien en détention, interdiction du département pendant 5 ans, idem pour toute arme.
Contre Yazid X, né à Chalon, 25 ans : 5 ans de prison avec maintien en détention et révocation de 4 mois, reliquat d’un sursis probatoire antérieur, interdiction du département pendant 5 ans, idem pour toute arme
Contre Sofiane X, né à Chalon, 21 ans : 4 ans de prison avec mandat de dépôt, interdiction du département pendant 5 ans, idem pour toute arme.
Contre Aymen X, né à Chalon, 21 ans : 4 ans de prison avec mandat de dépôt, interdiction du département pendant 5 ans, idem pour toute arme.
Contre Loïc X, né à Saint-Rémy, 25 ans : 3 ans de prison avec maintien en détention, révocation de 8 mois d’un sursis probatoire antérieur, interdiction du département pendant 5 ans, idem pour toute arme.
Contre Yamin X (frère de Yazid), né à Chalon, 23 ans : 3 ans de prison avec mandat de dépôt, interdiction du département pendant 5 ans, idem pour toute arme.
Contre Riad X, né à Chalon, 26 ans, la peine de 36 mois de prison dont 15 mois seraient assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans.
Contre Ryan X (cousin du principal prévenu), né à Le Creusot en 2003, la peine de 32 mois de prison.
Contre Monaam X, né à Chalon, 30 ans, la peine de 30 mois de prison et l’interdiction de porter une arme pendant 5 ans.
Contre Mourad X, né à Montceau-les-Mines, 44 ans, la peine de 2 ans de prison et interdiction de porter une arme pendant 5 ans.
Contre Sihem X, née à Chalon, 37 ans, la peine de 2 ans de prison.
Contre Emma X, née en 2001 au Creusot, la peine de 2 ans de prison dont 1 an serait assorti d’un sursis probatoire pendant 2 ans.
Contre Kenza X, née en 2003 à Villeneuve sur Lot, la peine de 18 mois de prison.
Contre Anthony X, né à Paray-le-Monial, 36 ans, la peine de 18 mois de prison.
Contre Fawzi X, né en 2000 à Chalon, la peine de 1 an de prison, interdiction de porter une arme pendant 5 ans.
Le parquet demande en outre la confiscation des scellés (dont des véhicules et de l’argent).
Un autre mis en cause, mineur au moment des faits, a été orienté vers le tribunal pour enfant. C’est aussi le cousin du principal prévenu. Juste pour dire que certaines familles sont durement touchées.
Les plaidoiries se sont succédé tout l’après-midi. Chaque avocat s’est attaché à introduire des nuances et reliefs dans l’intérêt de son client. Nous l’avons écrit mardi : à force de dire n’importe quoi, on rend ce qui, à l’occasion, peut être vrai, inaudible. Les avocats essaient de retailler les cotes à la baisse ou, pour certains, à des peines aménageables voire aménagées ab initio.
Le tribunal rendra des décisions qui peuvent être inférieures aux réquisitions, ou supérieures. On le saura en principe demain vendredi.
FSA
* https://www.cnil.fr/fr/les-dispositifs-de-lecture-automatisee-de-plaque-dimmatriculation-lapi