Tribunal de Chalon : Comparution immédiate
De Montceau à Chalon-sur-Saône, une course-poursuite à tombeau ouvert
Cette affaire débute à Montceau, passe par Gourdon, puis fait le trajet jusqu’à Chalon, pour y prendre fin quand des policiers de la BAC interpellent le prévenu. Celui-ci est un homme, camerounais, en France depuis plus de 20 ans. Il va sur ses 50 ans. Il vit à Saint-Priest. Il est jugé ce 20 octobre, en comparution immédiate.
Le week-end le plus coûteux de sa vie ? Vu ce qu’il dit de sa vie, il est fort probable qu’il a connu pire. L’homme ne manque ni de stature ni d’allure. Il porte un costume sur un sous pull marron clair. Il dit avoir tellement « honte », il présente ses excuses, il demande « pardon », et il parle beaucoup.
Premier vol
Il dit qu’il était venu en week-end, avec son ami, en Saône-et-Loire. Le 17 octobre, il est filmé par la vidéosurveillance, seul client dans un magasin de vêtements à Montceau-les-Mines. Quand il en sort, le portique sonne. Le temps que la responsable du commerce arrive, il est déjà hors de vue. Elle vérifie son stock : il manque trois vêtements, deux pulls et un manteau. Elle identifiera le prévenu sur tapissage (la présidente ne dit pas à quel moment de la procédure).
Second vol
Le lendemain, 18 octobre, il est filmé, toujours, par les caméras de l’Intermarché de Gourdon. Il a pris quatre bouteilles de champagne, file par la sortie sans achats. Le portique sonne. L’homme part en voiture. Le responsable du supermarché le suit et prévient les forces de l’ordre. C’est le début d’une course poursuite, jusqu’au péage de Chalon Sud.
Un refus d’obtempérer à une sommation de s’arrêter
Les forces de l’ordre se relaient de zone en zone sans pouvoir l’intercepter dans des conditions de sécurité correctes pour tous. Sur la commune de Saint-Désert, les gendarmes de Buxy prennent le relais. Ils essaient de stopper l’homme, lequel fait mine de s’arrêter pour repartir de plus belle.
Lorsqu’il passe en zone police, un équipage de la BAC de Chalon prend la main, si on peut dire, parce qu’en réalité ce conducteur qui s’enfuit prend tous les risques. Dans un premier rond-point il percute un automobiliste. Que des dégâts matériels, mais un choc pour la victime. Le fugitif ne s’arrête pas.
Ce côté « prêt à tout », y compris à envoyer d’autres que lui dans le décor
Alors qu’il fonce en direction du péage, le véhicule de la BAC passe sur sa gauche. L’homme donne des coups de volant, pour tenter de pousser les policiers à faire une sortie de route. Il échoue. Maître Ronfard plaidera « la peur » qu’ont eu les policiers, et c’est bien possible, l’audience ne dit pas à quelle vitesse ils devaient rouler. N’empêche ce côté « prêt à tout », y compris à envoyer d’autres dans le décor, est très flippant.
Au péage de Chalon sud, tous les guichets sont occupés. Il y a du monde. Cela contraint l’homme a enfin lever le pied. La BAC ne lui laissera pas le temps de faire quoi que ce soit d’autre. Il est interpellé, « sans résistances » souligne la présidente. Une recherche dans un fichier (les policiers ont des tablettes pour faire ça rapidement, de leurs véhicules) : le permis de ce monsieur est suspendu depuis juin dernier.
Difficile, à la fois de suivre et de ne pas être touché
Alors, à l’audience, le tribunal fait le point. Du moins, essaie. Parce que le prévenu, visiblement tourmenté, dit beaucoup de choses sans qu’il soit possible de faire le tri. Emu, il raconte qu’il a été « victime d’exploitation sexuelle pendant 10 ans », « jusqu’à ce que j’aie des papiers (titre de séjour) ». Qui a fait ça ? « Celui qui m’a fait venir, monsieur X (il le nomme). » Le prévenu en a contracté une maladie qui en son temps a décimé un paquet de gens. Un truc grave, dans tous les cas.
« Il n’y a pas eu d’examen psychiatrique pendant la garde à vue. C’est dommage. On s’interroge »
Aujourd’hui il a un titre de séjour, il travaille, et il a « un compagnon » mais ce dernier lui imposerait des relations avec des messieurs. Ce samedi, il s’est fâché : « Il voulait que je recommence, mais moi j’ai mal, et il ne s’est pas soucié de moi. » C’est ce qu’il dit. C’est ce qu’il répète. Au point que la présidente finit par se demander, tout haut, ce qu’on est plusieurs à se dire tout bas : « Il n’y a pas eu d’examen psychiatrique, pendant la garde à vue. C’est dommage. On s’interroge. » Mais son avocat n’a pas mis cette question dans les débats en début d’audience, alors c’est râpé.
Le prévenu dit consulter en psychiatrie, avoir « un traitement qu’on me prescrit tous les deux mois », « mais là j’ai arrêté mon traitement, parce que ma mère est décédée, je ne mangeais plus, il faut manger avant de prendre ces médicaments, sinon c’est trop fort. » Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.
Sa voiture était devenue « une arme par destination »
Ce 18 octobre, il espérait, dit-il, que les policiers allaient lui tirer dessus… Euh… On entend ça parfois à l’audience mais ici, ça ne colle pas avec les coups de volant pour pousser la voiture de la BAC dans la rambarde.
La présidente lui explique que s’il est poursuivi pour violence sur fonctionnaires de la police nationale, c’est parce que, à ce moment-là, sa voiture était devenue « une arme par destination ». Aussi bien il pouvait tuer l’automobiliste percuté dans le rond-point, aussi bien ça pouvait arriver à des policiers, ou aux gendarmes de Buxy, quand il a fait semblant d’obtempérer.
« L’équipage de la BAC qui intervient pour le dernier tronçon de cette course poursuite est composé de policiers expérimentés. L’un d’eux me disait que monsieur a pris tous les risques possibles pour échapper au contrôle. Ils ont craint pour leur vie » intervient maître Ronfard pour les policiers.
« Ce véhicule lancé à pleine allure, poursuivi par les gendarmes avec leurs avertisseurs sonores et lumineux »
La procureur ne fait pas de circonvolutions : les deux vols, c’est lui, et puis « sur le parking d’Intermarché, il était seul, son compagnon imaginaire n’était pas là ». « Il a conduit comme un forcené. La BAC l’attend au niveau du premier rond-point (zone Chalon), et que voient les policiers ? Ce véhicule lancé à pleine allure, poursuivi par les gendarmes qui ont activé leurs avertisseurs sonores et lumineux. » Elle évoque « la peur » de l’automobiliste percuté dans le rond-point, « la crainte des policiers quand il se déporte volontairement ». « C’est un peu trop facile de dire qu’il voulait se suicider. » Elle requiert une peine mixte avec une partie ferme de 2 ans avec mandat de dépôt.
Un lien entre sa mise sous contrôle judiciaire et le début de ses consultations chez un psychiatre
La magistrate fait un lien pertinent entre le début des consultations chez un psychiatre, du prévenu, et sa mise sous contrôle judiciaire (à Lyon ?), d’après elle, la période correspond. Ce monsieur sera, si on a bien compris, jugé aux assises.
Alors on comprend un peu mieux sa volonté désespérée d’apparaître pour une bonne personne. Entre « exploitation sexuelle » dans un milieu qui sait être glauque (autant que ça façon d’en parler) et mise en accusation devant une cour d’assises, pour viol… Il a besoin d’être propre, lui qui dit avoir été sali. Bref.
« On voit qu’il est en grande souffrance »
C’est l’heure de la défense. Maître Sarikan reconnaît n’avoir même pas pensé à demander une expertise psychiatrique, découragé par les délais si longs. L’avocat met l’accent sur l’état de santé de son client qui vit « un épisode dépressif majeur » (on pense à l’expert lors d’assises au mois de juin : « C’est grave une dépression, il faut prendre ça au sérieux. »), et passe au tribunal des certificats médicaux qui attestent au moins des traitements qu’il doit prendre. « On ne peut pas dire qu’il s’est inventé un ami. Monsieur n’est ni un marginal ni un multirécidiviste. Oui il est sous contrôle judiciaire mais la présomption d’innocence prévaut. On voit qu’il est en grande souffrance. Il a une honte absolue de ce qu’il a fait. »
On espère en un bon psychiatre
Le prévenu a la parole, il revient sur son « exploitation » (quand ça revient, comme ça, il faut être vigilant. L’accusée, aux assises de juin, était, elle aussi en dépression majeure et elle aussi, tournait autour d’un point, « rabaissée »). On espère qu’il y a de bons psychiatres qui se déplacent en prison.
Ensuite, l’homme demande pardon. Puis il éclate en sanglots : « Donnez-moi une chance, de prouver (il devient incompréhensible). »
Mandat de dépôt
Le tribunal le dit coupable, le condamne à la peine de 24 mois de prison dont 12 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec pour obligations de suivre des soins « psychologiques et psychiatriques », et d’indemniser les parties civiles (trois policiers nationaux).
Pour la partie ferme de 12 mois, le tribunal décerne mandat de dépôt, prononce en outre l’interdiction de paraître en Saône-et-Loire, une inéligibilité de 5 ans, l’interdiction de porter une arme pendant 5 ans, prononce l’annulation de son permis de conduire, ordonne la confiscation du véhicule, moyen d’une infraction.
FSA