Réaction à la lettre d’Amaury Guitard
"220 ans après sa mort, le nom de Robespierre n'en finit plus d'être prononcé".
Alexandre EMORINE répond à M. Guitard :
« Malheureusement, il l’est rarement pour de bonnes raisons. Amaury Guitard, professeur d’espagnol à Dijon, demande aux candidats aux élections municipales de prendre position, ou plutôt « d’ôter le nom infamant de Robespierre » des rues de Montceau-les-Mines. L’attaque contre Robespierre n’est
pas étonnante de la part d’un jeune homme n’hésitant pas à déclamer sur internet son amour pour « Dieu et le Roi ». Comme toujours, attaquer Robespierre, permet d’attaquer la Révolution Française, ce « bloc » décrit par Georges Clémenceau, que l’on ne peut qualifier « d’historien marxiste ». La République est née de la Révolution française, en conséquence, c’est une attaque contre la République, elle-même à laquelle se livre M. Guitard au travers de la promotion de son livre. Et de quelle manière ! En trouvant comme figures tutélaires l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne – connu également pour ses sorties violemment antisémites et monarchistes – ou encore Lech Walesa qui, oubliant ses combats passés pour la liberté se fend d’une homophobie et d’un racisme qui feraient pâlir les plus réactionnaires des militants d’extrême-droite. D’autre part, cherchant en quelque sorte un blanc-seing, M. Guitard oublie volontairement qu’après avoir eu des mots très durs du vivant de Robespierre, Gracchus Babeuf se ravisa et fit de ce dernier un modèle.
Maximilien Robespierre n’est pas le responsable des massacres qui eurent lieu en Vendée.
Car oui, tous les historiens le reconnaissent, il y eut des massacres dans l’actuelle Vendée en 17931794.
Il y en eut jusqu’en 1800, soit 6 ans après la mort de Robespierre. Probablement devait-il donner ses ordres d’outre-tombe. Soyons sérieux et regardons les faits, rien que les faits. La violence dans ce qui est la Vendée aujourd’hui (dont les frontières ont été largement dépassées par les « vendéens » de l’Armée Catholique et Royale) n’est pas du fait de Robespierre. Elle eut lieu dans un contexte de décentralisation de la violence sous la Révolution. Les sévices subis par les français sous des siècles d’absolutisme royal ont nourri un sentiment de revanche tenace dans toute la population. La violence révolutionnaire venait d’en bas, et non d’en haut. Faire de Robespierre le responsable unique des exactions n’a donc aucun sens.
Le rôle des dirigeants de la révolution, et a fortiori ceux de 1793-1794 a été de maîtriser et de canaliser au mieux cette violence. La violence exercée par l’état dans un contexte de guerre, interne comme externe, est un fait. Rappelons-nous la situation en 1793, lors du soulèvement des royalistes de Vendée. Les villes de Valenciennes, Longwy, Toulon ou encore Verdun sont occupées par les armées royales étrangères. La République est menacée de toutes parts. Lorsque le pays est envahi, il ne peut se défendre sans appliquer des mesures d’exception. Mesures qui, en 2014, existent toujours légalement sous la forme de l’état d’urgence ou de l’état de siège. Or, Robespierre fut l’un de ceux qui ont toujours veillé à conditionner et à proportionner les mesures d’exception aux besoins de l’intérêt général. En l’occurrence la défense de la République. À cet état d’exception qu’est la terreur, Robespierre y associait toujours la vertu, dans une maxime restée célèbre. Cette conception l’a poussé à toujours refuser les exécutions de masse, à s’opposer aux condamnations pour l’exemple et aux punitions collectives. À s’insurger contre la condamnations des subordonnés, suiveurs ou exécutants de dessins royalistes. Mais également à condamner fermement ici et là, c’est un fait, les dirigeants royalistes – vendéens – qui firent massacrer des centaines de républicains à Machecoul le 11 mars 1793.
En se mettant dans la lignée de pseudo-historiens comme Franck Ferrand, M. Guitard s’inscrit dans la tentative grotesque de manipulation de l’histoire, en cherchant à faire de Robespierre le bourreau de la Vendée. La réalité est toute autre : Robespierre n’a jamais été impliqué dans les massacres vendéens. Son seul rôle direct connu a été de rappeler Carrier après avoir appris l’étendue des massacres perpétrés sous son autorité à Nantes. Ce dernier le lui fera
payer comme tous ceux qui, à l’image de Fouché, furent rappelés à Paris après avoir massacré en province. Tous deux participèrent au complot qui aboutit à l’exécution de Robespierre en juillet 1794. Bien entendu, la signature de Robespierre était présente sous tous les documents émanant du Comité de Salut Public, organe décisionnel de 12 membres, élu tous les mois où jamais la dictature d’un homme n’exista. Il fut d’ailleurs loin d’être aussi influent que Barère, le responsable des pires appels au meurtre qui, le premier, tenta de faire porter le chapeau à Robespierre après sa mort, comme pour se dédouaner de ses responsabilités. À croire que ses mensonges ont porté jusqu’en 2014, au point d’alimenter M. Guitard dans ses interviews avec l’alliance royale ! Dans sa plaidoirie contre la Révolution Française, M. Guitard en vient à parler de gazages ou de fours crématoires lors de la répression en Vendée. Les mots choisis ne sont pas innocents, et cherchent à établir une comparaison – encore plus explicites quelques lignes après – entre Robespierre et Hitler. Entre un Républicain et un nazi. Entre un Homme d’État et un fou. En somme, il élucubre, se détachant des faits pour mieux construire sa fiction, somme toute loin du « laborieux travail de recherches » nécessaire au métier d’historien.
Contrairement à ce qui est avancé, Montceau-les-Mines doit se glorifier de compter une rue Robespierre sur son territoire. Elle fait partie de ce petit nombre de villes qui rendent hommage au passé de la République Française en renvoyant à ses figures fondatrices. Il est nécessaire de rappeler
les actions de cet homme. Avoir une rue Robespierre, c’est rendre hommage à la personne qui a prôné en premier le droit de vote pour les juifs et les comédiens, et ce dès 1789. C’est mettre en lumière le premier homme politique, en 1791, qui déclara publiquement vouloir abolir l’esclavage,
ce qui a été fait en 1794 par la Convention. Une disposition vite annulée par Napoléon. Il fallut attendre ensuite 1848 pour que la République abolisse définitivement l’esclavage. Robespierre fut également un fervent partisan du suffrage universel, refusé alors par les modèles de M. Guitard :
Lafayette, Mirabeau, et trop d’autres. Robespierre, c’est l’homme qui s’est prononcé dès 1791 pour l’abolition de la peine de mort dans le cadre d’un état de droit. Il y avance des arguments utilisés ensuite par Victor Hugo ou Robert Badinter. Il est également ce républicain ayant toujours lutté contre l’interventionnisme de l’armée française, voyant cette dernière comme seulement responsable de la défense du territoire national et non comme une force d’agression. Robespierre fut également l’un de ceux qui luttèrent pour les libertés publiques, comme la liberté de la presse, la liberté de réunion ou encore d’association. Il dénonçait la loi Le Chapelier qui interdisait les syndicats jusqu’en 1884. Il fût également l’un des promoteurs de la liberté de conscience.
En 1792, il est également de ceux qui dénoncent la liberté totale du commerce en prônant le droit à l’existence comme premier droit de l’homme.
Il est impossible de fractionner la mémoire d’un pays. Il est impossible de ne donner qu’une image partiale d’un personnage, acteur d’une époque de troubles et de bouleversements profonds. La démarche historique impose de voir l’œuvre de l’homme – parmi les autres de son temps – dans son
intégralité. C’est l’approche scientifique d’un historien qui l’impose. Il n’est pas possible de dire aux lecteurs ou aux responsables politiques que la rue Robespierre doit être débaptisée car portant le nom d’un « criminel ». Elle honore un républicain sincère, qui a défendu le pays et son unité constitutionnelle en luttant contre tous les excès. M. Guitard devrait plutôt, s’il n’était qu’un historien « humaniste », demander que soient débaptisées toutes les rues de France portant le nom d’Adolphe Thiers, le bourreau de la Commune. M. Guitard demande-t-il également que l’on supprime le stade Jean Bouveri, qui a baptisé la rue de « L’incorruptible » ou encore la rue Jean Jaurès, ce dernier ayant défendu Robespierre dans son Histoire Socialiste de la Révolution Française de 1902 ?
Mesdames et Messieurs les candidats aux élections municipales de Montceau-les-Mines, puisque j’aime à croire que c’est pour vous qu’a été fait ce courrier de M. Guitard, et non pas pour un « coup de pub », vous devez vous battre pour la rue Robespierre. Pour la mémoire républicaine.
Débaptiser cette rue reviendrait à débaptiser la mairie elle-même. La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est en effet une création de Maximilien Robespierre. On l’oublie trop souvent. Bien entendu, M. Guitard peut exprimer son opinion. Il peut, depuis des années, participer à l’animation de sites royalistes… Il serait par contre bien plus sincère de dire que son plaidoyer est politique, et d’un camp bien identifiable. L’honnêteté intellectuelle du débat public y gagnerait. Pour éviter toute incompréhension, je signale donc avoir rédigé cette réponse comme un historien, mais également comme un citoyen, comme un républicain, comme un militant de gauche. Le devoir d’un historien est de rétablir la vérité historique, le devoir d’un militant de gauche est de promouvoir le progressisme. Enfin, le devoir d’un républicain impose de défendre les figures de la révolution française grâce à qui nous sommes tous citoyens. »
9 commentaires sur “Réaction à la lettre d’Amaury Guitard”
Rue Marat, rue Danton et pourquoi pas rue Carnot pourraient aussi être dans le collimateur !
Bravo.
Rien à ajouter.
Quand la jeune génération s’exprime ainsi cela nous réconforte.
La France progressiste se construit avec de tels esprits, qui n’oublient pas le passé et les luttes de nos aïeux pour le progrès de l’humanité.
Quant aux excès d’une situation pré révolutionnaire, avec leur cortège d’exactions, et les crimes de quelques sbires ou commanditaires dans l’ombre, il suffit de suivre l’actualité à l’Est, au Moyen Orient, en Afrique et en Amérique du Sud.
Mais il est si simple pour les manipulateurs de lancer à la vindicte populaire et au lynchage public le nom d’un « seul coupable ».
Voici une belle réponse d’historien, argumentée et documentée, que j’applaudis chaleureusement. J’ajoute une chose : Effectivement, M. Guitard a tout à fait le droit d’exprimer ses opinions royalistes. Il en a le droit parce que nous sommes en République, parce que des gens comme Robespierre se sont battus et sont morts pour la liberté d’expression. Il devrait le remercier plutôt qu’insulter sa mémoire. Je ne suis pas certain que si la France était encore une monarchie, les républicains pourraient s’y exprimer aussi librement.
ThBonnot
Tout à fait d’accord avec M. Emorine (ainsi qu’avec Thierry Bonnot); les Républicains de Montceau peuvent être plutôt fiers qu’un conseil municipal ait jadis donné le nom de Robespierre à une des rue de la ville.
J-F POUJEADE, Républicain, professeur d’Histoire-Géographie, président d’Adiamos 71.
Bonsoir,
le débat est passionnant quand on est passioné d’histoire!
Mais franchement,pensez-vous que ce soit la préoccupation principale des Montcelliennes et Montcelliens?
Je vous laisse volontiers à regarder votre nombril!!!
Bien à vous…
Voila deux jeunes adversaires qui évolueront au fil des années et qui devraient déja se rencontrer autour d’une bonne table,comme l’aurait suggéré DANTON à ROBESPIERRE.
Hélas la Révolution a tué elle même ses propres enfants.
@Figueras : la situation entre nous est plutôt celle de Robespierre et Desmoulins, puisque nous avons fait une partie de notre scolarité ensemble. Pas besoin de se retrouver à une bonne table pour se parler donc !
En cette période électorale , il serait plus judicieux et surtout beaucoup plus « démocratique » d’informer le « citoyen-électeur » sur le « Paradoxe de Condorcet » , plutôt que raviver une polémique stérile sur Robespierre , dont la « vérité historique » ne dépend que de la position d’encartage de « Wiki-historiens » partisans !!
Bien cordialement !
le débat est clos. Merçi pour cette leçon d’histoire.et merçi pour les commentaires élogieux pour ce jeune qui a de vraies valeurs humaines et qui aime l’Homme.