Cercle « Autour de la pensée de Marx » (Montceau-les-Mines)
Capital et transformation de l'humanité
Quatrième partie
Face à la volonté de puissance des extropiens : l’indispensable reprise en main du politique
Face à : Ce cours du monde qui nous dépasse et nous échappe chaque jour davantage. Cette mondialisation numérico-techniciennne devenue processus incontrôlé , qui pousse à la dépossession démocratique. Ce pouvoir exorbitant acquis par les élites qui contrôlent les Big Data (GAFAM). Une sphère privée qui rêve de s’affranchir de la tutelle politique des gouvernements. Que faire ?
Dans « L’Esprit des lois », Montesquieu constate que : « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites » et prévient que : « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir , il faut que , par la disposition des choses , le pouvoir arrête le pouvoir ». Pour nous « la disposition des choses » ne peut, par nature, venir de la société civile (la sphère privée) laquelle, selon Luc Ferry, «est par essence le lieu d’expression des intérêts particuliers et , par la même , peu propice à l’expression de l’intérêt général » (La révolution transhumaniste ).
« La disposition des choses » ne peut donc venir que de la sphère publique apte à contrôler, réglementer, réguler dans l’intérêt de la société. Encore faut-il une sphère publique éclairée, une classe politique qui comprenne les transformations de la société, les mouvements de fonds qui la révolutionnent, les contradictions qui la traversent. Et encore faut-il aussi que cet espace public soit suffisamment en capacité d’opposer un contre-pouvoir efficace à la sphère privée. Libérer le potentiel du progrès technique pour le mettre au service du progrès économique et social suppose que le pouvoir politique fixe un cap, des règles, des limites. Mais cela ne sera pas chose aisée car les technosciences sont très complexe, évoluent très rapidement et leur développement est mondialisé , ce qui rend les législations nationales difficilement efficientes. Le philosophe Walter Benjamin affirme « Que les choses suivent leur cours, voilà la catastrophe »
Après Darwin, au tour de Schumpeter ? La volonté affichée des transhumanistes extropiens de fabriquer techno-scientifiquement un post-humain revient à vouloir effacer Darwin et sa sélection naturelle : « la fin de la sélection darwinnienne est une situation inédite dans l’histoire du monde » ( Laurent Alexandre, scientifique spécialiste du séquençage de l’ADN ). Ceux qui possèdent la maîtrise de l’intelligence artificielle vont-ils faire une nouvelle victime? L’invasion des robots intelligents sur le marché du travail va t-elle effacer Joseh Schumpeter et sa « destruction créatrice », développée en 1947 dans « Capitalism, socialism and démocracy » ? Denis Jacquet ( entrepreneur et président de l’observatoire de l’ubérisation ) déclare: « la robotisation m’inquiète; à vouloir tout automatiser pour augmenter la productivité, on va détruire des millions d’emplois à travers le monde. On peut reprendre le blabla sur Schumpeter et la destruction créatrice, mais ça ne marche que s’il y a de la croissance; il faut donc là aussi de la régulation à l’échelle mondiale ». « La destruction créatrice » de Schumpeter ( très rassurante et très pratique pour expliquer que le capitalisme , tel le phénix, renaît toujours de ses cendres et donc qu’il est immortel ), selon laquelle le progrès technique détruit les emplois obsolètes pour en recréer d’autres plus innovants et plus valorisants, que la création compense la destruction, va t-elle résister à la révolution numérico-technicienne en cours de développement ?
Pour Keynes, par exemple, « nous souffrons d’une nouvelle maladie (…) à savoir le chômage technologique. Ce qui veut dire le chômage dû au fait que nous découvrons des moyens d’économiser l’utilisation du travail à un rythme plus rapide que celui auquel nous parvenons à trouver au travail de nouveaux débouchés (..) l’accroissement de l’efficience technologique a lieu plus vite que nous n’arrivons à faire face au problème que pose l’absorption de la main d’oeuvre disponible » ( Economics Possibilities for our Grandchildren, 1930 ).
Il est intéressant de rappeler ici que, bien avant ces deux économistes majeurs, cette question n’avait pas échappé à Marx : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner en permanence les instruments de production et donc l’ensemble des rapports sociaux (…) ce qui distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est le bouleversement permanent de la production, les secousses qui ébranlent sans cesse toutes les situations sociales, l’incertitude et le mouvement continuels » ( Le Manifeste communiste, 1848 ) et aussi : « la machinerie n’agit pas seulement comme un concurrent de force supérieure, toujours prêt à rendre superflu le travailleur salarié… » ( Le Capital,1867 ).
Et, avant Marx, ça n’avait pas échappé à Ricardo non plus: « mais je suis désormais convaincu que la substitution des machines au travail porte souvent atteinte aux intérêts de la classe des travailleurs (…) l’opinion de la classe laborieuse selon laquelle l’emploi des machines se fait souvent à leur détriment n’est pas fondée sur les préjugés et l’erreur, mais est conforme aux principes mêmes de l’économie politique » (Des Principes de l’économie politique et de l’impôt – édition anglaise de 1821 ).
Si c’est Schumpeter qui a raison alors il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter. Par contre, si ce sont Ricardo, Marx et Keynes, alors là il y aurait lieu de s’inquiéter. Sur quoi peut-on s’appuyer pour tenter d’y voir clair ?
Il existe des études prospectives qu’il nous faut prendre au sérieux – Selon le rapport Mc Kinsey & Company de novembre 2015 : 45% des tâches et 10% des métiers pourront être automatisés dans les prochaines années. Selon le rapport du cabinet de consultation en stratégie Berger d’octobre 2014 (Les classes moyennes face à la transformation digitale) : 42% des métiers présentent une probabilité d’automatisation forte du fait de la numérisation de l’économie. D’ici 2025, 3 millions d’emplois pourraient être détruits en France à cause de la digitalisation qui déstabiliserais en profondeur les classes moyennes puisque de nombreux emplois de service seraient touchés. La note précise que, désormais, les emplois menacés ne concernent plus seulement les métiers manuels mais toutes les tâches, y compris intellectuelles, susceptibles d’être accomplies par l’intelligence artificielle d’un robot ou d’un ordinateur. Selon le rapport Frey & Osborne, chercheurs à l’université d’Oxford (The Future of Employment : How Suscetible Are Jobs to Computerisation ?) de 2013 : 47% des emplois aux Etats-Unis pourraient être confiés à des machines intelligentes d’ici 20 ans ( étude sur 702 métiers ). Différentes études menées en Allemagne prévoient que la robotisation va impacter 59% des emplois. La Commission européenne estime que la robotique pèsera 20 milliards d’euros d’ici quelques années. »
A suivre…
Jacky JORDERY, Serge ROIGT, Bruno SILLA –