C’est à l’automne qu’il a commencé à annoncer la nouvelle à ses patients : « je prends ma retraite à la fin de l’année, je pars le 31 décembre ».

J’imagine qu’après avoir entendu ces mots, comme moi, beaucoup de ses patients sont rentrés chez eux tristes et inquiets, conscients qu’une page de leur vie allait se tourner avec le départ du médecin qui les avait accompagnés pendant dix, vingt ou trente ans…

 

Je devais avoir environ dix ans quand j’ai franchi pour la première fois la porte de son cabinet installé alors rue de la Coudraie, au Bois du verne. Dans quelques semaines, je fêterai mon quarante-neuvième anniversaire… Près de quarante ans : sa carrière, la moitié de ma vie…

 

Il aura diagnostiqué et soigné tous ces maux – petits et grands – qui jalonnent la vie d’un homme ordinaire, une vie sans tabac, sans excès, avec ses petits accidents : une chute de VTT, une entorse, un lumbago… Bien-sûr, il y aura eu aussi toute la kyrielle des angines, laryngites et autres bronchites, un petit eczéma par-ci et une vilaine grippe par-là.

Rien de grave, finalement.

 

Et puis un jour, le diagnostic qui fait peur, une grosseur inquiétante entre le menton et la glotte, pour lequel on a besoin d’entendre des mots rassurants et de recevoir les conseils et recommandations d’un professionnel.

 

A chaque fois, on ressortait de son cabinet avec l’assurance que très vite tout irait mieux car le docteur Meunier avait su prendre le temps de diagnostiquer le problème et de lui trouver le ou les remède(s).

 

Quand une pathologie relevait de la compétence d’un spécialiste, il savait nous recommander celui qui nous conviendrait le mieux, à proximité ou plus loin : ce rhumatologue de Montceau, ce neurologue de Mâcon, ce chirurgien orthopédique de Dracy ou encore ce service ORL de La Croix rousse…

 

Il connaissait la valeur de ses confrères, leurs travers aussi, mais il ne faisait que les évoquer avec le tact et le sourire qui caractérisent sa personnalité : « Je te conseille plutôt ce chirurgien, avec lui, tu auras une belle cicatrice ». C’est ainsi que j’ai fait la connaissance d’un chirurgien esthétique de Chalon pour ma petite noix sous le menton…

 

Récemment je me suis amusé avec lui de deux diagnostics bien différents émanant de deux spécialistes : pour m’aider à retrouver une bonne respiration, l’un voulait procéder à une ablation partielle des cornets et l’autre corriger une déviation de la cloison nasale… Le bon sens et la rigueur l’emportaient toujours : « Je te conseille d’aller voir celui-là : il a plus d’expérience. L’IRM plaide pour son dignostic à lui ».

 

Il n’a jamais fait partie de ces médecins qui finissent par prendre la grosse tête ou qui enchaînent les rendez-vous à une cadence infernale « pour faire du chiffre ». Il n’a jamais été non plus un de ces médecins « inacessibles » qui vous regardent de haut ou qui vous écoutent d’un air narquois proposer votre propre diagnostic.

 

Lui est resté un homme humble, souriant et bienveillant avec lequel on pouvait échanger librement. Il vous regardait dans les yeux car vous étiez un patient, un homme, une femme qui méritait attention et considération. Chacun sait qu’on ne peut pas en dire autant de toute la gent médicale… Qui n’a jamais eu envie de citer à son ophtalmologiste renfrogné et hautain la jolie formule de Montaigne : « Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul » ?

 

Il savait prendre le temps d’écouter, demandait des nouvelles du père, voulait savoir comment ça allait « au travail ». Le travail faisait effectivement partie de ses valeurs. Lui ne méconnaissait pas la pénibilité de certains emplois, ceux du bâtiment notamment, qui abîment les articulations, fatiguent les corps et font vieillir prématurément… Bref, ce médecin-là connaissait la vie de ses patients…

 

Je me souviens aussi du jour où il est allé appeler à l’accueil sa petite fille venue lui rendre visite sur son lieu de travail. La scène remonte à 2019, bien avant cette satanée crise sanitaire. Le médecin-papy était fier, ses yeux brillaient.

 

A partir de demain, il aura plus de temps à consacrer à toute sa famille, à son épouse, à ses enfants et petits-enfants. Il pourra aussi penser à lui, enfin, pratiquer ces loisirs qu’il aime tant, dans la nature.

 

Pendant toutes ces années de travail, il n’a sans doute pas toujours été aussi disponible qu’il l’aurait souhaité pour les personnes qui comptent à ses yeux.

 

La journée commençait tôt : chez le docteur Meunier, on pouvait se voir proposer un rendez-vous à 7h 00 du matin ! Après les consultations au cabinet, il y avait « le domicile », puis à nouveau les consultations en fin de journée. Douze heures… Quand on a 1200 patients, forcément, il faut accepter de ne pas compter son temps, ni de ménager sa peine …

 

Malgré la fatigue et l’intensité de ces longues journées, le docteur Meunier était toujours d’humeur égale. S’il m’est arrivé de l’entendre se plaindre parfois, c’était seulement de la lourdeur de la machine administrative. Des années 80 jusqu’à nos jours, il a eu le temps de voir le métier évoluer et les tracasseries administratives se multiplier…

 

Je veux aussi rappeler son attachement à la continuité du suivi de ses patients : quand le docteur Meunier prenait des vacances, c’est le docteur Bouillot Fontaine qui le remplaçait. Aucun patient ne s’est jamais entendu dire « le docteur est en congé, il revient dans deux semaines. Vous voulez un rendez-vous pour le mois prochain ?»

 

Très égoïstement, c’est avec peine et inquiétude que je vois donc partir à la retraite ce médecin qui me connaît si bien. A l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore encore si le docteur Meunier sera remplacé. Ce que je sais et ce que je redoute, comme bon nombre de ses patients, c’est de voir lui succéder un jeune médecin plus attaché à sa « qualité de vie » qu’au respect scrupuleux de tous les engagements du fameux serment d’Hippocrate…

 

Mais je veux croire qu’il reste des hommes et des femmes médecins comme celui que nous voyons aujourd’hui s’éloigner. Je veux croire qu’il reste des hommes et des femmes qui ont ce sens de l’engagement et qui acceptent les lourdes contraintes de la profession, les longues journées de travail au service de personnes qui ont besoin d’être soignées.

 

Cher docteur Meunier, cher Jean-Marc, au nom de tous tes patients d’hier et d’aujourd’hui, je veux te témoigner ici toute l’admiration et toute la gratitude de ceux que tu as aidés, écoutés et soignés au cours de ces dernières décennies. Il est temps de prendre soin de toi désormais.

 

Au revoir, docteur et MERCI.

B. C.