La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.
Pain frais, pain rassis, droit du travail et protection sociale, polémique virtuelle ?
Ça fait des semaines que la Claudine n’en peut plus d’entendre à longueur d’antenne, de lire au kilomètre des articles de la presse écrite, de scroller sur les réseaux sociaux la narration de faux débats, les échanges d’arguments tronqués sur un point essentiel de la vie du pays : la fermeture des boulangeries le 1er mai.
L’assignation est de mise, chacun est sommé de se prononcer pour ou contre, et donc l’essentialisation pointe le bout de ses préjugés : ceux qui ne vivent pas avec leur temps, les vieux ringuards d’une gauche confite dans ces préceptes archaïques et antiéconomiques, et ceux qui vivent avec leur temps parce que la vie a changé et que le libéralisme a apporté le progrès individuel et protège le droit d’entreprendre ; C’est un peu schématique, mais la Claudine, elle ressent ça comme ça.
D’abord héberluée par le tintamarre causé par cette obligation de fermeture le 1er mai, elle s’est aperçue qu’il ne s’agissait pas de ça, mais d’une interdiction de faire travailler les salariés et apprntis ce jour-là, qui est le seul jour férié et chômé obligatoirement pour tous les salariés (article L3133-4 du Code du travail), sauf dans les secteurs où une interruption de l’activité est impossible (par exemple, les hôpitaux ou les transports), conformément à l’article L3133-6. Ce qui ébahit la Claudine, c’est que cette interdiction date de la loi du 29 avril 1947 qui a instauré le 1er mai comme jour férié, chômé et payé. Pas de 2024 ou 2025, mais 1947.
Alors quoi ? Pourquoi tout ce charivari qui occupe 24 h/24 h les experts, les commentateurs, les professionnels, les clients des micro-trottoirs ? La Claudine est une femme méthodique, donc elle a décidé de repartir de 1947 et de voir dans les archives le cours de cette histoire.
Années 1950-1960 : les boulangers ont parfois protesté contre les restrictions de travail, mais ces actions étaient souvent locales et limitées. Les boulangeries étaient perçues comme un service de première nécessité, et il y avait des réticences à appliquer de manière stricte les lois sur les jours fériés dans certaines régions rurales. Les protestations étaient davantage
Années 1980-1990 : regain de protestations locales, notamment en raison de la montée des préoccupations économiques, mais aussi avec l’évolution des attentes des consommateurs pour des services disponibles tous les jours, y compris les jours fériés. Cependant, ces protestations étaient encore relativement rares et souvent liées à des questions plus larges de travail le dimanche ou de flexibilité des horaires d’ouverture.
Années 2000 : les discussions sur l’ouverture des commerces et la question du travail dominical ont pris une place plus importante dans le débat public, notamment avec les lois sur la modernisation du travail. Bien que la question du 1er mai ne soit pas devenue un sujet central, il y a eu quelques protestations concernant la possibilité pour les boulangers d’ouvrir lors de jours fériés. Les syndicats ont souvent réclamé plus de souplesse tout en défendant les acquis sociaux.
2025 : un tournant ? Ce qui distingue 2025 des précédentes années est la combinaison de plusieurs facteurs qui ont donné une ampleur particulière aux protestations de cette année-là :
– crise économique générée par la hausse des coûts énergétiques et les difficultés financières liées à l’inflation,
– Changements sociaux : la perception du travail le 1er mai et la place des travailleurs dans la société ont évolué. En 2025, le débat autour des conditions de travail et des droits des salariés a été particulièrement intense, et les boulangers ont été perçus par certains comme des symboles de petites entreprises en difficulté.
– Amendes infligées : les amendes imposées à certains boulangers pour avoir ouvert le 1ᵉʳ mai 2025 ont mis en lumière un aspect très concret du conflit, rendant la situation plus médiatisée.
Un cocktail nouveau, plus prégnant qu’habituellement dans un environnement politique anxiogène parce qu’incertain. Ce qui a fait monter la sauce, si la Claudine peut s’exprimer ainsi, c’est le détonnateur politico-médiatique.
Au titre des réactions médiatiques et législatives, on trouve les médias qui ont largement couvert les protestations, en mettant en avant les histoires individuelles de boulangers, ce qui n’était pas le cas auparavant à cette échelle. France 3, qui a été le principal relais des boulangers, mais aussi BFMTV, qui a diffusé des reportages sur les verbalisations de boulangers ayant employé des salariés le 1er mai, mettant en lumière les conséquences de l’application stricte de la loi ; CNews ouvrant largement la polémique concernant l’ouverture des boulangeries le 1er mai, avec des invités politiques exprimant leur point de vue sur la question ; LCI posant la question de la possibilité pour les commerçants de travailler le 1er mai ; France Info relayant les discussions autour de la proposition de loi visant à permettre aux boulangers et fleuristes d’ouvrir avec leurs salariés le 1er mai ; RMC diffusant des informations sur les verbalisations de boulangers à Paris le 1er mai, soulignant les tensions entre les autorités et les commerçants et animant des débats sur la question.
En parallèle, des propositions législatives ont émergé pour assouplir ces restrictions, alimentant encore le débat public. Mais là aussi, c’est la foire d’empoigne, chacun tirant la couverture de son côté et disqualifiant les adversaires. Mais encore une fois sans jamais vraiment informer. On réagit à l’événement, on ne l’explique pas et chacun est sommé de se prononcer sans connaissance de cause, uniquement sur la base du ressenti et des exigences individuelles.
Ce qui a choqué la Claudine, c’est que jamais elle n’a entendu parler de la loi du 29 avril 1947 ; il lui semblait que le problème venait de surgir et que la révolte était récente de ce fait. Que nenni. En fouillant sur le net, elle a trouvé une autorisation ministérielle de 1986 permettant aux boulangers de faire travailler leurs salariés le 1ᵉʳ mai, sous certaines conditions.
Elle se rend bien compte que si les protestations concernant l’ouverture des boulangeries le 1er mai ont existé depuis 1947, elles n’ont pas toujours eu la même visibilité ni la même ampleur qu’en 2025. Tout cela parce que les boulangers ont exprimé, au fil du temps, leurs préoccupations de manière sporadique, mais les événements de 2025 semblent représenter un tournant dans la manière dont cette question est abordée dans l’espace public. La présence des chaines d’infos en continu et des réseaux sociaux alliée aux enjeux politiques de la période a donné une acuité nouvelle et parfois factice aux événements, sans pour cela les éclairer réellement.
Actuellement, des propositions de loi sont en cours d’élaboration pour clarifier cette réglementation et potentiellement autoriser le travail des salariés dans les boulangeries le 1er mai. La ministre du Travail a déclaré qu’un boulanger, en tant qu’entrepreneur, est autorisé à travailler le 1er mai, mais pas ses salariés. Elle a exprimé son soutien à des initiatives parlementaires.
Mais pourquoi ? Alors qu’entre 1986 et 2024 cela ne semble pas avoir posé problème et qu’en 2024 cela en a posé ? La Claudine s’interroge.
La question de l’interdiction du travail des salariés et apprentis dans les boulangeries le 1er mai est un sujet sensible qui mêle droit du travail, tradition professionnelle et pression syndicale.
De 1986 à 2023, la situation a souvent été tolérée parce que les préfectures ou les inspections du travail fermaient les yeux, et que de ce fait les contrôles étaient rares. Il faut ajouter que beaucoup de boulangers n’avaient pas de salariés ou que ces derniers travaillaient avec leur accord, sans protestation ou plainte.
Ce qui a changé en 2024, c’est qu’en avril 2024, le ministère du Travail et donc les inspections régionales ont rappelé formellement la règle : il est interdit de faire travailler les salariés et apprentis le 1er mai, y compris dans les boulangeries. Mais pourquoi ? Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour expliquer ce durcissement : les pressions syndicales dans un environnement troublé aussi par d’autres combats sur le droit du travail et des retraites, une volonté politique d’appliquer la loi uniformément et de s’affirmer plus encore, des contentieux précédents dans d’autres secteurs économiques ou certaines régions. Et puis un bruit de fond sur l’idée que l’on ne travaille pas assez en France, qu’il y a trop de jours fériés chômés, qu’il faut trouver des ressources pour équilibrer le budget de l’État. Tout cela a induit une montée en puissance de débats sur le droit au repos et le respect du 1er mai comme symbole des droits sociaux ou comme obstacle au développement économique.
Du coup, et dans un contexte assez poreux politiquement, la décision a surpris beaucoup de boulangers qui avaient pris l’habitude de travailler ce jour-là, surtout dans les zones touristiques ou très fréquentées. Ils ont donc protesté contre une décision jugée brutale et déconnectée de leur réalité (pain frais indispensable dans certaines communes), y ont vu une injustice, car en face d’autres commerces (supermarchés, restaurants) peuvent ouvrir. Et puis le fait que l’interdiction arrive après des décennies de tolérance a créé un sentiment d’incompréhension. Et du coup incompréhension totale, pas seulement du côté des artisans boulangers, mais aussi du public à qui on n’a rien raconté, mais que l’on a mis face aux polémiques sans aucun recul. Il est bon de constater que les réseaux sociaux, la presse régionale et les chaines d’info continue, voire même les débats politiques, ont donné plus d’écho à cette question en 2024 qu’auparavant.
La loi n’a pas changé : depuis longtemps, le 1er mai est un jour obligatoirement chômé pour les salariés, y compris en boulangerie. Ce qui a changé en 2024, c’est la volonté de l’État d’appliquer la règle plus strictement, alors qu’elle avait été largement tolérée ou ignorée durant des décennies.
Où en sommes-nous à l’heure actuelle ? Il existe une forte mobilisation de la profession boulangère et la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF) et les syndicats régionaux ont interpellé le gouvernement pour obtenir une dérogation officielle ou un changement de la loi permettant aux salariés volontaires de travailler le 1er mai.
La ministre du Travail a reçu le 16 avril 2025 un courrier signé par plus de 50 parlementaires des Républicains appelant à « faire évoluer le Code du travail afin de reconnaître que la boulangerie est une activité essentielle et que son exercice ne peut être suspendu un jour férié« . Le même jour, elle s’est dite favorable à « faire bouger la loi » et a évoqué une proposition de loi en cours de préparation.
Une proposition de loi a été déposée au Sénat fin avril 2025 pour autoriser, sous conditions, le travail des salariés dans certaines professions, notamment les boulangeries et les fleuristes, le 1er mai. Les objectifs de la proposition de loi sont les suivants : clarifier le cadre juridique, encadrer strictement cette ouverture en la réservant aux établissements bénéficiant déjà d’une dérogation pour le travail dominical, garantir le volontariat des salariés, avec une rémunération majorée conformément au droit du travail applicable aux jours fériés. Cette proposition de loi doit désormais être examinée par les deux chambres du Parlement. Si elle est adoptée, elle pourrait entrer en vigueur pour le 1er mai 2026.
Les choses avancent, elles avancent, c’est une évidence, mais il n’en reste pas moins que, depuis des mois, la question du travail des boulangers le 1er mai a fait l’objet d’une récupération politique notable, à la fois au niveau national et dans les territoires, car elle touche à plusieurs thèmes sensibles : valeurs du travail, poids des traditions, ruralité et symbolique sociale du 1er mai. Mais surtout parce que dès le début les arguments présentés ont été biaisés. Il n’a jamais été interdit aux boulangeries d’ouvrir le 1er mai, mais il était depuis 1947 interdit de faire travailler les salariés et apprentis le 1er mai. En expliquant cela et en rappelant que les dérogations tolérées pendant 38 ans ont été supprimées, on aurait évité toute la mousse faite autour de ce sujet. Enfin, c’est ce que se dit la Claudine.
Gilles Desnoix
2 commentaires sur “La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.”
On ne veut pas que les salariés des boulangeries, considérées comme non essentielles, travaillent un 1er mai, alors expliquez-moi pourquoi, les chaines de télévisions font travailler leurs journalistes ce jour là ? Est ce vraiment essentiel ? Surtout pour nous parler de l’interdiciton de travailler le jour de la fête du travail !!!
C’est le comble et toute la contradiction franco française autours de ce sujet !!
Boulangers non essentiels sauf pendant la covid ? Bizarre…