La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.
Une citoyenne face aux déserts médicaux, bientôt la fin de la galère ?
La Claudine s’est perdue en conjectures cette fin de semaine en ce qui concerne l’avenir de l’accès aux soins, l’état actuel et futur des services de santé. Depuis le jeudi 8 mai, elle entend sans cesse ce problème évoqué sur les ondes, dans les chaines d’info en continu, dans les colonnes de la presse, sur le Net : déserts médicaux, déserts médicaux : médecins, où êtes-vous ?
Dans son for intérieur et dans sa cuisine, la Claudine se dit : « Je ne suis ni ministre ni experte en santé publique. Juste une citoyenne qui, comme beaucoup, galère à trouver un médecin traitant à moins de 40 minutes de chez elle. Et qui commence à se demander si, un jour, il faudra appeler un druide pour soigner une angine ». Alors, quand elle a lu que l’Assemblée nationale avait voté une loi pour lutter contre les déserts médicaux, elle s’est dite : « Enfin ! » Puis elle a lu les détails. Et a haussé un sourcil. Puis les deux. »
En effet, il y a de quoi hausser les deux sourcils en l’occurrence. Le 7 mai 2025, les députés ont adopté une proposition de loi portée par le socialiste Guillaume Garot. Un texte soutenu par plus de 250 parlementaires, tous bords confondus, sauf le Rassemblement national. Résultat du vote : 99 pour, 9 contre, 10 abstentions. Mais, rebondissement de l’intrigue : le gouvernement, lui, s’y est opposé. Motif ? Texte trop contraignant qui risque de démotiver les médecins. Comme si les habitants des zones rurales n’étaient pas déjà démotivés d’attendre trois semaines minimum pour une consultation. Donc un vote (presque) unanime… sauf du gouvernement.
Ce que la loi prévoit, c’est d’en finir avec le far west médical. Bonne idée, non ? Car aujourd’hui, un médecin peut s’installer où bon lui semble. À Paris, à Bordeaux ou à Saint-Bobo-les-Trois-Pharmacies. Pas étonnant qu’on trouve plus de stéthoscopes que de vaches dans certains arrondissements. Pour corriger le tir, cette loi veut casser le sacro-saint principe de liberté totale d’installation. Si la loi est adoptée par les deux assemblées et promulguée, si les décrets d’application paraissent, dorénavant, les médecins devront passer par une autorisation des agences régionales de santé (ARS). Pour exercer dans une zone déjà bien fournie, il faudra remplacer un confrère partant à la retraite. Par contre, dans une zone sous-dotée ? Feu vert direct. Ce serait une avancée, la Claudine applaudit des deux mains. Mais le texte voté ne s’arrête pas là. Il prévoit la suppression de la majoration tarifaire pour les patients sans médecin traitant. Une injustice qui pénalisait surtout ceux qui vivent loin des grandes villes. Dans le même ordre d’idée, ce qui va surement faire hurler les praticiens, la loi rétablirait la permanence des soins, les soirs et week-ends compris. Oui, même les médecins devront désormais faire du « service de nuit ». Et cerise sur le cautère de la jambe de bois, les études médicales seront davantage territorialisées, avec des stages en zones tendues. L’idée étant que les jeunes médecins s’attachent à ces territoires… ou au moins à leurs fromageries.
Une vieille habitude de la vie politique et publique française a habitué la Claudine et ses contemporains à la sainte trilogie : ordre, contre-ordre, désordre. Donc elle n’a pas été étonnée des critiques et des doutes qui sont nés dès l’annonce du vote. Le contraire l’eût étonnée certainement. Sans surprise, certains syndicats médicaux montent au créneau. Pour eux, cette loi est une usine à gaz contre-productive. Ils dénoncent une approche coercitive et inefficace, estimant que les mesures proposées risquent d’aggraver la situation plutôt que de l’améliorer. Elle a compris depuis longtemps que forcer quelqu’un à venir dans une zone rurale ne garantit pas qu’il y reste. Malgré les ponts d’or qui peuvent être faits. Elle a constaté depuis plusieurs années la surenchère aux aides à l’installation et pas mal de fuite ensuite vers des offres plus alléchantes, même dans le bassin minier. En fait, la méthode douce n’a pas fonctionné non plus, car cela fait des années qu’on propose des primes, des exonérations fiscales, des contrats incitatifs : résultat : toujours des zones blanches sur la carte médicale de France.
Ce que l’on peut reconnaitre à ce texte de future loi, c’est qu’elle casse des habitudes. Mais peut-être fallait-il ça. Mais, comme aurait dit la mère de la Claudine : en fin de compte, cela va-t-il casser 3 pattes à un canard ou rester vœu pieux ?
Au palais Bourbon ou à celui du Luxembourg, des élus se battent pour faire changer des choses envers et contre le gouvernement, l’extrême droite, les lobbys médicaux et moult groupes de pression. La Claudine reconnait qu’il y a une volonté politique transpartisane à l’œuvre… Est-ce suffisant ? La réalité sur le terrain la laisse perplexe : si l’on jette un regard sur la Saône-et-Loire, on est tout de suite au fait des vrais chiffres et des difficultés du quotidien du corps médical et des patients. En 2025, on y compte environ 1 382 médecins en activité, pour une densité de 268 praticiens pour 100 000 habitants. C’est en dessous de la moyenne régionale (302) et nationale (355). De plus, beaucoup approchent de la retraite, surtout dans le Charolais-Brionnais ou l’Autunois.
Comme un peu partout en France, le département ne reste pas les bras croisés. On y déploie une stratégie offensive : aides à l’installation pouvant aller jusqu’à 50 000 €, logements pour étudiants en médecine, téléconsultations, centres de santé départementaux où les médecins sont… salariés ! Oui, salariés. Comme dans une entreprise. Plus de paperasse, moins de stress. Et ça attire : 70 médecins ont déjà signé. Qu’en sera-t-il demain ? La question se pose avec acuité, car les effets des réformes (comme la suppression du numerus clausus) ne se feront sentir qu’à partir de 2030. Entre-temps, la demande continue d’exploser, notamment à cause du vieillissement de la population… et des médecins eux-mêmes. Bref, c’est la pénurie dans la pénurie. Selon les projections, le nombre de médecins en France devrait stagner jusqu’en 2030, puis croître jusqu’à 292 000 en 2050. Mais ça ne sert à rien d’avoir plus de médecins s’ils s’entassent dans les mêmes régions.
Les uns sont contre, les autres pour, mais ça ne va pas assez loin : certains crient au succès tout en sachant qu’il y a loin de la loi au stéthoscope. La Claudine reste dubitative. Elle apprécie qu’enfin les élus nationaux prennent conscience du sujet et légifèrent, mais dans le même temps elle se dit : « Est-ce que cette loi va tout régler ? » Probablement pas. Est-ce qu’elle risque de fâcher quelques internes qui rêvaient d’ouvrir un cabinet à Biarritz, à Saint-Tropez, à Nice ? Peut-être Quoique cette image de localisation soit un rien démagogique. La loi a au moins le mérite d’oser. Et surtout de dire tout haut ce que beaucoup vivent tout bas : l’accès aux soins est en train de devenir un privilège géographique.
Lorsque la Claudine pense désert médical, des fois elle se figure un terrain vague ou une savane brûlée de soleil. En Saône-et-Loire, et plus précisément dans le bassin minier de Montceau-les-Mines, on parle beaucoup d’accès aux soins. Ou plutôt de son absence. Un tiers des gens n’ont même pas de médecin traitant. Autrement dit, si vous tombez malade à Blanzy ou à Sanvignes, priez pour que ce soit bénin ou que votre pharmacien soit aussi devin.
Côté spécialistes, c’est encore plus joyeux : 55 % des enfants n’ont pas de pédiatre dans un rayon raisonnable, et 36 % des femmes n’ont pas accès à un gynécologue. On se croirait dans un pays lointain… sauf que non, c’est ici, chez la Claudine. Bien entendu, il faut être réaliste. Le bassin minier est un territoire qui prend de l’âge et du retard, question offre de soins. La CUCM (Communauté urbaine Creusot Montceau) vieillit. Un tiers de la population a plus de 60 ans, et les octogénaires sont de plus en plus nombreux. Pendant ce temps, Montceau-les-Mines a perdu près de 2 000 habitants en six ans (18 722 en 2016/16 946 en 2022). Cela peut expliquer que certains jettent l’éponge à force de devoir faire 40 minutes de voiture pour une consultation ou une échographie. Cela s’ajoutant à la précarité sociale, on comprend que des habitants qui en ont l’opportunité ou les moyens partent là où il reste des blouses blanches.
Enfin, il y a ce que l’on entend dans la file des caisses du supermarché, à la boulangerie ou dans des salles d’attente, dans le bus ou en l’attendant, et la réalité de terrain.
En regardant le verre à moitié vide, la Claudine se dit que le compte n’y est pas avec cette loi qui ne sera sans doute jamais votée, ou si votée, jamais appliquée. Lorsqu’elle lève le coude avec le verre à moitié plein, elle se dit qu’il y a un espoir quand même. Et donc elle trinque à cette bonne nouvelle. Et puis, sur le terrain, des efforts sont faits, et ils méritent d’être salués. Le département ne reste pas les bras croisés : on parle de 100 000 euros investis à Sanvignes pour accueillir un médecin (avec ou sans tapis rouge, on ne sait pas), de centres de santé départementaux où les médecins sont salariés — une vraie révolution pour certains — et du programme Hippocrate71 qui distribue bourses, aides à l’installation et subventions à la pelle pour tenter de séduire les jeunes diplômés.
Le Centre Départemental de Santé 71, présent à Montceau, propose même des consultations en cabinet, à domicile et de la téléconsultation. De quoi rappeler que oui, on est au XXIe siècle.
Donc l’avenir n’est pas rose, mais il n’est pas non plus anthracite dans le bassin minier.
Alors, en attendant que la loi passe au Sénat (et elle l’espère vraiment en adressant un satisfécit à ceux qui ont voté et un blâme aux abstentionnistes ou aux votants contre), la Claudine va continuer à appeler le secrétariat de son médecin tous les matins à 8 h. Et si elle n’a toujours pas de rendez-vous, elle ira voir si son voisin a appris les bases de la médecine avec ChatGPT.
Elle est certaine d’une chose : il ne faut pas qu’elle se rende malade à force de songer à ce grave problème, car il y a aussi pénurie de psy…
Gilles Desnoix