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lundi 19 mai 2025 à 05:20

La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.

  Quand Claudine s’en mêle : démocratie en jachère dans la cinquième circonscription



 

La Claudine est comme tout le monde. Elle aimerait que les choses tournent rond, que le soleil brille à heure fixe et que ses hortensias soient respectés par la faune rampante. Elle aimerait aussi, un brin idéaliste, que le Parlement vote des lois pour le peuple, vu qu’en principe, c’est lui qui l’a mandaté. Mais voilà, la vie n’est pas un jardin à la française. Les pucerons attaquent par en dessous, les députés sont parfois retoqués par le Conseil constitutionnel, et la politique locale ressemble souvent à une série B qu’on regarde d’un œil distrait.

Depuis le 7 mars dernier, la cinquième circonscription de Saône-et-Loire est entrée en ébullition, ou plutôt en tiède frémissement. Suite à l’annulation de l’élection législative de juillet 2024, une nouvelle campagne s’est enclenchée. Claudine, qui n’est ni militante ni éditorialiste, a néanmoins de la mémoire et de la suite dans les idées. En deux mois et demi, elle a vu beaucoup de banderoles, lu beaucoup de tracts et entendu beaucoup de promesses, mais… peu de conversations.

 

Une campagne sous cloche

Autour d’elle, les voix ne s’élèvent guère. Aux caisses des supermarchés, dans les réunions d’associations, même sur le marché, les électeurs ne semblent pas se passionner pour cette reprise électorale. Et quand ils en parlent, c’est souvent avec le ton blasé de ceux qui savent que tout est joué d’avance — ou que rien ne changera jamais. « Si y a 30 % de votants, ce sera les grands dieux ! » lui a même glissé son voisin, la clope au bec et le ton sentencieux.

La Claudine, elle, en est restée comme deux ronds de flan. Parce qu’elle vote toujours, elle. Scrupuleusement. C’est une habitude héritée de sa mère, au même titre que les confitures maison et l’amour du bon sens : « Ne prends jamais ce qu’on te dit pour argent comptant. » Va voir par toi-même. » Alors Claudine a fouillé, épluché les articles, les sites officiels, les statistiques de l’INSEE, de Wikipédia (parce qu’il faut vivre avec son temps), pour comprendre ce qui se passe vraiment sous cette apathie électorale généralisée.

 

Petite histoire d’une grande désaffection

Et ce qu’elle a trouvé est à la fois rassurant — elle n’est pas seule — et profondément déprimant. L’abstention grimpe depuis des années, en France comme ailleurs. Mais dans le cas particulier des élections législatives partielles, c’est carrément l’altitude qui donne le vertige.

Quelques chiffres piochés dans le désenchantement ambiant :

  • En 2018, des partielles ont eu lieu dans le Val-d’Oise, le Territoire de Belfort, le Loiret, la Haute-Garonne. Taux d’abstention ? Plus de 70 %.
  • En 2020, rebelote : six partielles, toujours au-dessus des 70 % d’électeurs absents.
  • En 2021, même refrain : les bureaux de vote ont résonné d’un silence assourdissant.

Le plus ironique ? Ces élections sont souvent provoquées par des démissions liées au cumul des mandats — autrement dit, des élus qui avaient peut-être un peu trop d’ambition pour leur circonscription.

 

Une tendance lourde, au-delà des partielles

Mais Claudine ne s’est pas arrêtée là. Elle a voulu voir plus loin, au-delà des cas particuliers. Et elle a trouvé ceci : depuis les années 1980, l’abstention augmente dans quasiment toutes les élections. Un mouvement lent mais sûr, accéléré à partir des années 2000. En moyenne :

  • Aux élections législatives, l’abstention est passée de 20–25 % dans les années 1980 à 45–53 % dans les années 2020.
  • Aux régionales et départementales, on frôle aujourd’hui les 60 à 67 % d’abstention.
  • Même les municipales, autrefois chères aux Français, plafonnent entre 35 et 55 % d’électeurs absents.
  • Seule la présidentielle résiste encore un peu, même si le taux d’abstention a atteint un record de 28 % au premier tour en 2022.

 

Pourquoi une telle désertion des urnes ?

 

Les chercheurs, eux, parlent de désaffiliation partisane — les vieux partis comme le PS ou les Républicains n’embarquent plus les foules. Le vote n’est plus une affaire de famille ou de fidélité : il est devenu volatile, individualisé, souvent conditionnel.

S’ajoute à cela une crise de confiance généralisée dans les institutions. Beaucoup partagent ce sentiment : « Voter, ça ne change rien. Ils sont tous pareils. » Les affaires (Cahuzac, Fillon…), les renoncements, les promesses non tenues ont érodé le lien entre citoyens et élus. Et à force de voir les élus eux-mêmes abandonner leur mandat pour mieux rebondir ailleurs, l’idée même de « représentation » finit par se dissoudre.

 

Enfin, Claudine a découvert que la complexité des scrutins n’aide pas : listes à rallonge, rôles obscurs des régions ou des départements, multiplicité des échéances… Tout cela donne parfois le vertige.

Résultat ? Les jeunes, les classes populaires et les habitants des périphéries désertent davantage que les autres. À l’inverse, les retraités et les catégories socio-professionnelles supérieures continuent à voter avec constance.

 

Un miroir de notre démocratie ?

Ces scrutins n’ont, en général, pas bousculé l’Assemblée nationale, mais ils disent quelque chose. Quelque chose de lourd. D’inconfortable. D’une fracture silencieuse entre une démocratie qui existe sur le papier et une population qui, dans les faits, s’en éloigne. Pas par paresse ou ignorance. Par lassitude. Par perte de sens. Par impression de parler dans le vide.

 Sans aucun doute, ce sont toutes ces raisons invoquées, plus le fait que l’on avait déjà fait le boulot en juin et juillet 2024, qui expliquent l’abstention au soir de ce 18 mai 2025. Et les chiffres sont renversants ; en fait, ils sont renversés, enfin inversés : 67,27 % d’abstentions alors qu’en 2024 elle s’élevait à 31,83 %. Mais c’est le lot des élections partielles depuis 40 ans.

 Et comme dit le Lucien, qui vient tondre la pelouse chez elle : « Sont 9 candidats de trois tendances et s’bouffent le nez entre eux, alors ma pov’ Claudine. » Ce dimanche matin, sur le parcours du cœur autour du lac du Plessis, la Claudine a été effarée d’entendre les gens s’étonner qu’il y ait des élections législatives dans la 5ᵉ circo de Saône-et-Loire, chez eux, là, ici et maintenant. Pire, une grande partie des gens rencontrés semblait s’en moquer comme de leur première liquette. En fait, ce qui intéresse les gens, ce sont les apparences, le spectacle, pas le fond. Et cela désole encore plus la Claudine.

La Claudine, elle, continue de chercher le sens, un peu comme on cherche ses lunettes alors qu’on les a sur le nez. Elle ne veut pas croire que tout est fichu. Elle veut encore penser qu’un bulletin de vote, c’est plus qu’un rituel désuet. Alors elle est allée voter ce 18 mai et elle ira voter le 25 mai. Même si elle est seule dans l’isoloir. Même si ses hortensias risquent entretemps une nouvelle attaque sournoise.

Parce que pour elle, la démocratie, ce n’est pas qu’un droit. C’est une responsabilité. Et un peu d’obstination.

 

Gilles Desnoix

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