Fête des mères : Gloire éternelle aux déesses du Yaourt-Pot-de-Fleur !
Juste un bisou collé, un regard fatigué et ce fichu collier de pâtes qu’elle n’a jamais osé jeter.
Ah, la fête des mères ! Cette journée sacrée où l’on célèbre avec amour (et parfois un brin de panique) celle qui nous a donné la vie, élevé, supporté, recousu nos ourlets et supporté nos crises d’ado en silence. Mais d’où vient cette tradition sucrée comme un poème de CE1 récité avec un mouchoir dans la main ? Et surtout… comment a-t-elle pu donner naissance à tant de colliers douteux ?
La fête des mères, contrairement à ce que laisse penser l’ambiance chamallow, a des origines un peu… grinçantes. Si les Grecs anciens célébraient déjà Rhéa, la mère des dieux, la version moderne française trouve son lancement officiel en 1941, sous le régime de Vichy. L’idée était de promouvoir les mères au foyer, piliers de la famille traditionnelle. Oui, rien de tel qu’un bon hommage fleuri pour renforcer les stéréotypes de genre !
Depuis, fort heureusement, la fête s’est émancipée, s’est parfumée de tendresse et de petits-déjeuners approximatifs servis au lit par des enfants surexcités. Attention au café sur la couette.
Impossible d’évoquer la fête des mères sans saluer le rôle fondamental de l’Éducation nationale dans la production massive de cadeaux en carton ondulé, en boites de camembert. Chaque année, c’est une orgie de gommettes, de poèmes illustrés et de photophores faits avec des pots de yaourt recyclés.
Mention spéciale au collier de nouilles, chef-d’œuvre d’ingéniosité gastronomico-stylée, qui permet à maman de porter autour du cou un plat de tagliatelles crues. Certains le portent avec fierté, d’autres le rangent dans une boîte “souvenirs” (celle planquée derrière les décorations de Noël, tout en haut du placard).
Ce qui était au départ un hommage tendre est devenu une véritable opération marketing. Dès la mi-avril, les vitrines crient à l’amour en lettres majuscules : “Offrez-lui ce que Maman mérite VRAIMENT !”, sous-entendu : un aspirateur intelligent ou une crème anti-âge à l’acide hyaluronique.
Ironie de l’histoire : la fête qui célèbre l’amour désintéressé devient une course effrénée pour prouver sa gratitude en quatre fois sans frais. Certains enfants culpabilisent de n’avoir “que” un dessin. Pourtant, qui a jamais vu une larme de joie couler sur une boîte à bijoux Pandora ? En revanche, une déclaration griffonnée à la hâte mais criante de sincérité, ça, c’est collector.
La fête des mères, malgré ses excès, ses origines discutables et ses colliers en macaronis, reste un jour où l’on dit merci. Merci pour les nuits blanches, les goûters oubliés de 16 h, les déguisements cousus main pour le spectacle de l’école et les “tu me prends pour ta bonniche ?” bien placés. Reprendre pour soi la magnifique chanson de Marie Laforêt « c’est cadeau ».
https://youtu.be/rCK1-EEPPN4?t=41
Et puis, une fois dans l’année, c’est bien de rappeler à sa mère qu’elle est formidable. Même si on le fait en lui offrant un mug “Reine du foyer” ou un cactus “parce que t’oublies toujours d’arroser tes plantes”. C’est une vérité cruelle, mais constatée : l’enfant, comme le chien, possède cette fidélité tragique qui le pousse à aimer même celle qui le mord. Il peut être grondé, ignoré, humilié, manipulé par une mère toxique, et pourtant, il reviendra, queue imaginaire entre les jambes, quémander un sourire, un mot tendre, un geste rare. Ce n’est pas de la faiblesse, c’est une programmation affective quasi biologique : maman, c’est la première planète connue, et même si elle est froide, instable ou radioactive, l’enfant continue d’y chercher la chaleur d’un soleil. Pire encore, il se persuadera parfois que c’est lui qui n’est pas à la hauteur de l’amour. Chez le chien, on appelle ça l’attachement pathologique. Chez l’enfant, on appelle ça : bonne fête, maman.
Mais heureusement, toutes les mères ne sont pas des mines antipersonnel émotionnelles. Il y a aussi celles qui réussissent l’exploit de concilier amour inconditionnel, rigueur bienveillante et brownies moelleux. Ces mères qu’on soupçonne secrètement d’avoir été élevées par des sages tibétains et formées en psychologie infantile dès la maternelle. Avec elles, point de manipulation affective, juste des limites claires, des câlins sur demande et un talent inné pour trouver le bon mot au bon moment (sauf quand elles te présentent ton mec comme “ton petit copain” devant tout le monde, mais bon, nul n’est parfait). Résultat : leurs enfants ne deviennent pas des paillassons affectifs… Ils deviennent des adultes fonctionnels, ce qui, en 2025, est un exploit comparable à marcher sur la Lune sans Wi-Fi.
Et puis, il y avait aussi ces mères de l’ombre, les véritables saintes sans auréole, qui ouvraient leur porte — et leur cœur — aux orphelins des mines, ces gamins au regard déjà vieux, envoyés au fond du puits dès qu’ils savaient marcher droit. Elles n’étaient pas dans les catalogues de parfumerie ni les pubs de colliers, mais dans les corons, le linge noirci aux mains, les casseroles toujours prêtes à nourrir un de plus. Pas de collier de pâtes pour elles, mais une reconnaissance muette, transmise dans un regard, un silence, ou ce simple “merci, m’man” soufflé en remontant de la poussière, les mains pleines de charbon et de tendresse maladroite. Une autre fête des mères, sans napperon, sans brunch, mais avec un courage tissé à la main.
Alors, pour toutes ces héroïnes du quotidien, ces donneuses de vie, ces raccomodeuses d’existence, voici un petit poème personnel qui aurait pu être écrit au 19ᵉ siècle sur le carreau du Montceau.
« Mères du fond, mères du haut »
Elles disaient pas « je t’aime », elles disaient :
« Mets ton cache-nez, y caille dans l’puits. »
Pas de baiser du soir, juste :
« T’as mangé ? File au lit. »
Elles portaient pas d’bijoux, elles portaient
Le linge, les dettes, la rage rentrée.
Pas d’arômes de Chanel, juste
L’odeur du pain, du charbon, du vrai.
Elles berçaient pas d’histoires de princes.
Mais des silences, des absences, des mômes en moins.
Elles savaient que l’fond de la mine
Prenait plus que l’gouvernement ou l’destin.
Mais elles lâchaient rien.
Elles recousaient le monde
Avec un fil, une aiguille, une soupe tiède à la ronde.
Des gosses à elles ? Oui. Mais d’autres aussi.
Quand y avait plus d’parents, elles disaient :
« C’est bon, tu dors ici. »
Le dimanche, c’était pas brunch, c’était
Repos volé, blouse pendue et soupe d’os.
Pas d’fleurs dans les mains, mais des crevasses,
Et l’amour brut, sans mots, sans pause.
Elles vivaient debout, quand le monde les pliait.
Mères du fond, mères du haut,
Mères sans gloire, mais piliers.
C’étaient pas des déesses, pas des icônes de télé.
C’était mieux que ça.
C’étaient des mères. Et faut s’en rappeler.
Gilles Desnoix