La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.
L’incivilité et l’indifférence hargneuse au volant
La Claudine se demande parfois jusqu’où ira l’attitude de plus en plus hargneuse des conducteurs de véhicules à moteur ayant 2 ou 4 roues, voire plus. Cette semaine, elle a constaté que le code de la route avait été jeté par-dessus les moulins par une grande partie des automobilistes. Refus de priorité, voiture qui vous colle au point que l’on a l’impression qu’elle va vous rentrer dedans, et conductrice qui fait ronfler le moteur d’impatience. En ville, la règle, c’est 50 km/h, pas plus. Mais cela énerve beaucoup certains et certaines. Et elle ne vous parle pas de traverser les passages piétons. C’est devenu une activité à haut risque entre conducteurs irascibles, trottinettes sans foi ni loi et cyclistes qui considèrent que s’arrêter ou descendre de vélo est déchoir et une perte de temps. Elle ne vous quantifie pas les doigts d’honneur qui ponctuent les remarques ou les haussements de sourcils, ça, c’est cadeau.
Sa copine de lecture, Martine, a pu juger de l’incivilité et de l’indifférence hargneuse, voire de la dangerosité au volant de certains ou certaines conducteurs. Sa nièce est tombée en panne sur un axe très passager aux environs du lac du Plessis. La pauvre fille a mis les warnings, appelé la tante au secours et subi les insultes, les concerts de klaxons, les doigts d’honneur de quasiment tous ceux qui passaient à frôler la voiture, bien qu’elle leur indiquait qu’elle était en panne. Et la Martine, à son arrivée, a craint le pire. Lorsqu’elle a voulu déplacer le véhicule immobilisé pour dégager le passage, personne ne s’est arrêté. Puis des jeunes de chez Enedis sont arrivés, ont stationné leur véhicule et ont dégagé celui de la nièce de Martine. La galanterie est perdue, cela on le sait depuis un moment, ou regardée comme une agression, mais la solidarité et l’entraide ont disparu aussi, surtout dès que l’on boucle sa ceinture de sécurité. La Claudine s’est demandé si cela était juste des exemples particuliers ou si cela révélait une tendance profonde. Elle a bien son point de vue, mais elle est allée chercher un peu plus loin en parcourant la presse, les sites officiels et compagnie.
En ce qui concerne les incivilités au volant, en 2024, 67 % des conducteurs admettent insulter les autres jusqu’au klaxon intempestif (55 %) ou coller un véhicule par agacement (32 %). En Île‑de‑France, on observe en moyenne 2,5 incivilités sur cinq comportements testés, en tête du classement régional. Plus de 80 % des Français ont déjà été exposés à des comportements incivils (queue de poisson, refus de priorité, insultes…).
Lorsque l’on s’intéresse à la conduite dangereuse, on trouve une étude OpinionWay/MMA (fin 2024) qui révèle qu’un automobiliste sur 20 adopte un comportement dangereux (griller un feu, excès de vitesse, usage du téléphone…). À Paris, Lyon, Montpellier, Rennes et Metz, 59 % de ces comportements dangereux concernent le franchissement de feu au rouge.
Et chacun d’entre nous, constatant de tels comportements, maugrée : « Et il n’y a jamais un flic dans ces cas-là ». Pourtant, en 2023, 30 millions d’infractions au code de la route ont été constatées (dont près de 900 000 délits : délits d’alcool, de stupéfiants, d’excès de vitesse, etc.). Les délits pour stupéfiants ont explosé (+403 %) et représentent 16 % des délits routiers.
Cela pose aussi le problème de la sécurité routière globale. En 2022, on comptait 3 550 décès routiers (légère hausse vs 2019), avec environ 30 millions d’infractions relevées. La France reste l’un des pays de l’UE les plus touchés : 48 décès par million d’habitants en 2022, contre 46 en moyenne.
La presse, les diverses associations et les pouvoirs publics parlent depuis longtemps du problème, ils écrivent, discourent et discutent en moult lieux et enceintes.
Le Monde a parlé de « violences motorisées », en citant une hausse de +18 % des cyclistes tués en 2023 (221 décès), et souligne la priorité donnée aux voitures dans les aménagements. Franceinfo et Le Parisien insistent sur les comportements dangereux fréquents, notamment lors du franchissement au rouge.
La Fondation Vinci Autoroutes alerte sur les incivilités constantes (injures, téléphone au volant), particulièrement en Île‑de‑France, et plaide pour davantage de sensibilisation. La Prévention Routière note que 80 % des usagers ont été confrontés à des incivilités, dénonçant les gestes délibérément dangereux.
La Ligue contre la violence routière milite pour abaisser les vitesses et promouvoir des systèmes comme les limiteurs de vitesse Lavia.
L’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) publie des rapports annuels. Après la mort d’un cycliste à Paris en octobre 2024, une mission spécifique sur les « violences routières » a été lancée.
Le plan Vélo (Vision Zéro), soutenu depuis 2018, vise à réduire la mortalité et les blessés graves. Le ministère des Transports et la sécurité routière se mobilisent autour de l’objectif de « partager la route », renforcent les contrôles (radars, alcoolémie, stupéfiants), mais doivent composer avec des contraintes budgétaires.
La Claudine se rend bien compte que le sujet est pris au sérieux par les pouvoirs publics, qui renforcent les sanctions et les stratégies éducatives/sanitaires, tandis que les associations et la presse appellent à des politiques plus fermes et à un aménagement de la route plus solidaire.
Mais le sujet reste l’être humain lui-même lorsqu’il devient l’homo conductor, qu’il a entre les mains un volant. Ça appartient à la fois à l’éducation, mais aussi à une certaine idée de la vie en collectivité.
Il y a des explications et des pistes de réflexion concernant cette transformation.
La voiture crée une illusion d’invulnérabilité : l’habitacle agit comme une bulle protectrice, isolant du regard et des normes sociales. Cela favorise la désinhibition – injures, klaxons, gestes – car on croit être à l’abri des conséquences. La voiture considérée comme un cocon, une formidable machine de régression.
Le stress, la pression temporelle et les émotions fortes sont des éléments à prendre en compte. La pression du temps (retards, embouteillages) et les frustrations génèrent du stress, qui se traduit souvent par la colère. Un environnement stressant perturbe l’attention, réduit le temps de réaction et augmente le risque de comportements dangereux.
Les anglo-saxons ont un concept qui allie la colère et le style de conduite et ils sont capables de la quantifier avec la Driving Anger Scale.
L’instrument Driving Anger Scale (1990s) montre qu’une forte propension à la colère routière est corrélée avec des comportements agressifs et des accidents. Un rapport de l’ONISR confirme le lien entre colère, agitation, perte de concentration et comportements à risque. Chez les hommes, les stéréotypes de genre influencent le comportement : prendre des risques est perçu comme une preuve de virilité et de maîtrise. Le concept de rivalité mimétique (Girard) : concurrence entre automobilistes pour gagner du temps, occuper la route, marquer son territoire.
La Claudine pense qu’il y a aussi dans cette réduction de l’autocontrôle un autre aspect, parce que sur la route, l’automobiliste adopte une identité collective : l’absence d’interactions directes et l’anonymat amènent la désindividuation. Et de ce fait, cela initie un type de comportement de meute avec ses rivalités internes de domination et de préséance. Les émotions sont aussi déclenchées par le contexte de la conduite : présence de grands véhicules, distances imprécises, bouchons ; ces stimuli déclenchent des réactions d’anxiété, d’urgence, de colère.
Mais cela n’explique pas tout et la Claudine ne se contente pas de ces explications, car il existe des théories psychologiques analysant la violence chronique vs la violence situationnelle. Par exemple, l’hypothèse de la correspondance (Assailly) : ceux qui sont agressifs dans la vie le sont aussi en voiture. Pourtant, la Claudine se rend compte que beaucoup de « métamorphoses » viennent surtout de la situation (stress + anonymat), plutôt que d’une nature violente intrinsèque. Quoique les deux puissent être cumulées et inversement.
Donc, ce lundi, la Claudine va faire grève du déplacement, elle va rester chez elle afin de reprendre des forces pour affronter ses semblables dès mardi.
Gilles Desnoix.
Sources :