Réalisme ou cynisme : l’art de faire avaler la pilule
Entre pragmatisme lucide et calcul froid, comment distinguer un choix difficile d’un coup tordu ?
Réalisme politique et cynisme : deux regards, une confusion fréquente
Chaque jour, à chaque heure, on nous assène vérités, contre-vérités, « vérités alternatives » et démentis de type CheckNews. À force, on ne sait plus qui croire, ni même s’il s’agit vraiment de vérité ou non.
Chacun assure parler ou agir par « réalisme politique ». En face, on dénonce plutôt du « cynisme politique ». Pas facile, dans ces conditions, de distinguer le vrai du faux, le réel du trompe-l’œil. Et, par-dessus tout, chacun de nous a sa propre grille de lecture et une proximité variable avec les orateurs.
Nous nous débattons donc dans ce dilemme : réalisme ou cynisme ? Ces deux termes peuvent se ressembler car ils impliquent tous deux un regard désenchanté sur la nature humaine et la politique, mais ils ne reposent pas sur la même philosophie et ne conduisent pas aux mêmes attitudes.
Pour les lecteurs de Montceau News, voici une grille de lecture simple et illustrée par des exemples.
Qu’est-ce que le réalisme politique ?
Le réalisme politique part du principe que l’action publique doit s’appuyer sur la réalité des rapports de force, des intérêts et des contraintes, plutôt que sur des idéaux ou des illusions.
Son objectif est de trouver la meilleure décision possible dans un contexte imparfait, en tenant compte des limites humaines, matérielles et institutionnelles.
C’est une vision lucide, mais pas nécessairement pessimiste : elle admet les égoïsmes et les calculs, tout en reconnaissant que des compromis et des progrès sont possibles.
Exemples :
– Un gouvernement négocie avec un régime autoritaire pour obtenir la libération d’otages, en acceptant certaines concessions, car c’est la meilleure option pour sauver des vies.
– Un pays entame un dialogue avec un envahisseur pour maintenir un canal de négociation, même en sachant qu’il ment et poursuivra probablement ses visées territoriales, mais afin d’éviter une rupture totale.
Qu’est-ce que le cynisme politique ?
Le cynisme considère que les individus et les institutions agissent uniquement par intérêt personnel, cupidité ou soif de pouvoir, et que toute prétention morale n’est qu’une façade.
Son but n’est pas forcément de construire, mais souvent de critiquer, manipuler ou justifier une inaction ou des pratiques amorales.
Il repose sur une vision profondément pessimiste de l’être humain, où corruption et égoïsme dominent toujours.
Exemples :
– refuser d’aider un pays en crise en affirmant : « De toute façon, ils nous arnaqueront. » Ou instituer des droits de douane exorbitants pour intervenir dans des procédures pénales contre un ancien chef d’État.
– Utiliser une crise humanitaire comme simple levier pour obtenir un avantage économique.
Le cynisme peut s’appuyer sur ce que ses tenants considèrent comme « la raison du plus fort », qu’ils présentent comme la seule logique valable — une posture qui se veut réaliste, mais réduit l’action politique à un calcul d’intérêt.
Quelle est la différence essentielle ?
En résumé, le réalisme politique cherche à faire au mieux dans un monde imparfait, tandis que le cynisme part du principe que le monde est si imparfait qu’il n’y a plus de « mieux » à chercher.
Pour un réaliste, l’action est pragmatique, ancrée dans les contraintes, mais vise un objectif constructif (paix, stabilité, relations durables).
Pour un cynique, la même situation peut être exploitée pour des gains immédiats, quitte à sacrifier la cohérence morale ou l’honnêteté.
Exemples historiques et contemporains
Guerre froide :
Réalisme : signature des accords SALT entre les États-Unis et l’URSS pour limiter les armes nucléaires et éviter une escalade incontrôlable.
Cynisme : poursuite des guerres par procuration dans le tiers-monde pour affaiblir l’adversaire, tout en se présentant comme défenseur de la paix.
Politique climatique (2020-2025) :
Réalisme : transition énergétique graduelle, combinant nucléaire, renouvelables et adaptation industrielle, même si cela implique des compromis.
Cynisme : afficher des objectifs « zéro carbone » ambitieux tout en augmentant les investissements dans les énergies fossiles pour satisfaire marchés et opinion.
Plan Bayrou (juillet-août 2025) :
Réalisme : répondre à une urgence budgétaire par un effort global ; cibler les hauts revenus ; négocier jusqu’au 30 septembre avec syndicats et partenaires sociaux ; reconnaître certaines réalités régionales.
Cynisme : transférer les coûts sur les plus vulnérables ; réduire le pouvoir d’achat en période d’inflation ; accroître les inégalités d’accès aux soins ; présenter ces mesures comme un effort partagé alors qu’elles pèsent surtout sur les classes moyennes et populaires.
Dans ce dernier cas, il convient de rappeler que certains économistes contestent la pertinence économique de ces mesures (par exemple, suppression de jours fériés vs gain réel pour l’économie). Et par réalisme politique, il conviendrait aussi d’examiner des alternatives possibles, les options pour réduire le déficit.
Pour conclure, cette distinction donne des clés de lecture. Mais il faut garder à l’esprit deux choses : tout argument peut être retourné : ce qui est perçu comme réalisme par les uns pourra sembler cynisme aux autres. Le réalisme peut parfois contenir une part de cynisme, dans le sens où il accepte des compromis durs ; mais le cynisme, lui, ne se prive jamais d’un certain réalisme… au service de l’intérêt qu’il défend.
Car il faut bien se rendre à l’évidence : réalisme ou cynisme, la frontière est aussi fine qu’un fil de micro. En politique, on vous dira qu’il faut être « réaliste » : comprendre les rapports de force, faire des compromis, avaler quelques couleuvres pour avancer.
Les mêmes gestes, les mêmes décisions… un opposant les appellera « cynisme » : calcul froid, manipulation, et habillage moral d’intérêts bien personnels.
La vérité ? Souvent, c’est le même plat, juste servi dans deux assiettes différentes. Guerre froide, climat, plan Bayrou… Dans chaque dossier, on peut lire l’action comme un choix pragmatique ou comme une manœuvre égoïste. Supprimer deux jours fériés ? Réalisme budgétaire ou racket social ? Hausser les franchises médicales ? Partage équitable ou impôt sur la maladie ?
En fin de compte, le réalisme peut contenir une bonne dose de cynisme. Et le cynisme, lui, n’oublie jamais d’être réaliste… surtout quand il s’agit de vous faire croire que tout ça, c’est pour votre bien.
Gilles Desnoix
Un commentaire sur “Réalisme ou cynisme : l’art de faire avaler la pilule”
Oui et alors, où voulez vous en venir.????