La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.
Les ados, ces martiens fabriqués par nous-mêmes ou la chronique d’une guerre des générations où chacun oublie qu’il a été l’autre
Pendant les vacances, à la plage, en visite, aux terrasses, les jeunes, les ados (ils le sont de plus en plus tard) vivent avec et en marge des adultes, des activités. Ils râlent beaucoup, surtout quand ça ne « capte pas ». Au retour à la maison, c’est la rentrée et là ils bifurquent vers leur nouvel univers, toujours en parallèle du monde des parents. La Claudine n’a pas cessé de les observer dans la détente comme dans la reprise des activités. Elle en a tiré, sinon des enseignements, des impressions mi amusées, mi agacées.
Les ados, ces extraterrestres du quotidien, « nous n’étions pas comme ça », osent prétendre les parents.
La Claudine l’a remarqué : dès qu’un adulte croise un jeune scotché à son téléphone, c’est l’alerte rouge. « Il va finir avec une bosse sur le cou ! » s’exclame-t-elle, tout en oubliant qu’elle-même, à 16 ans, passait des heures au téléphone fixe, le fil enroulé autour du doigt, à chuchoter des secrets inavouables. Elle a encore en tête la voix de sa mère : « Mais qu’est-ce que vous trouvez donc à vous dire pendant des heures ? » Le jeune, lui, ne fait que discuter avec ses amis, suivre trois séries en même temps et réviser (à moitié) son contrôle de maths. « C’est du multitâche, ma chère, pas de la paresse ! », rétorquerait-il, si on lui posait la question. Même décalage avec les horaires : coucher à 1 h, lever à midi. Pour un adulte, c’est un scandale ; pour un ado, c’est une preuve scientifique que la nuit est bien plus propice à la créativité… ou à TikTok.
Et si derrière l’agacement se trouvait un miroir (un peu déformant) que les adultes veulent ne pas voir ou simplement oublier.
La Claudine, fine psychologue des repas de famille, des observations urbaines, rappelle que les adultes pointent du doigt ces comportements comme s’ils étaient inédits. Pourtant, elle se souvient très bien de ses propres travers : les coiffures crantées, les posters de Johnny Hallyday, les coups de fil interminables qui faisaient exploser la facture. « La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, tout est amplifié par la technologie. Mais au fond, c’est toujours la même histoire : les jeunes cherchent leur place, et les adultes oublient qu’ils ont fait pareil. »
Une étude de l’université de Bristol le confirme : en 1980, les ados passaient en moyenne 2 heures par jour au téléphone fixe. Soit l’équivalent du temps passé sur les réseaux sociaux aujourd’hui. Les supports changent, pas le besoin de socialisation.
Il existerait même, selon Claudine, un top 5 des comportements qui font lever les yeux au ciel aux adultes.
En premier, le fait d’avoir toujours le téléphone greffé à la main : Pour les adultes, c’est une catastrophe annoncée : « Il va finir par fusionner avec son écran ! » Pour les ados, c’est tout simplement « mon lien avec le monde, comme ton journal intime, mais en plus utile ».
En second, l’indifférence intolérable, (« moi de mon temps, avec mes parents… ») le « bof » universel : Les parents s’indignent : « Il ne m’écoute même pas ! » Les jeunes, eux, y voient une « réponse efficace, gain de temps ».
En troisième, les modes vestimentaires déroutantes : « Tu as payé combien ce jean troué ? », s’exclame l’adulte, horrifié. « C’est vintage, maman. Comme tes pantalons à pattes d’eph’ des années 80 », rétorque l’ado, imperturbable. Beaucoup de parents se « sappent » vintage ou négligé, parfois cher.
En quatrième, les repas silencieux version smartphone : « On ne communique plus ! », se lamente le parent. « On communique, mais pas avec toi », précise l’adolescent, les yeux rivés sur son écran. Il suffit de se rendre dans un bistrot pour voir des tables d’adultes qui sacrifient au même mode de communication.
En cinquième et depuis quasiment les grands-parents, les passions éphémères : « Il ne tient jamais rien sur la durée ! » s’inquiète l’adulte. « Je teste, j’explore, je vis », répond le jeune, serein dans sa quête d’identité.
Selon la Claudine, l’agacement des adultes est un mélange de nostalgie et de peur du changement. « On a l’impression que les jeunes ne respectent plus les codes, alors qu’en réalité, ils en inventent de nouveaux », comme leurs parents l’ont fait avant eux. La Claudine cite le sociologue Éric Fassin : « Nous projetons sur la jeunesse nos propres craintes face à un monde qui nous échappe. » Alors qu’en est-il réellement ? Le sociologue Éric Fassin répond point par point. Par exemple le fameux mythe de la paresse : Les grasses matinées ? Une question d’horloge biologique, pas de flemme. Mais la réalité sur les passions éphémères : Un jour K-pop, le lendemain permaculture ? C’est l’adolescence, cette période où l’on essaie tout pour se trouver. Et la communication silencieuse : les repas sans conversation ? « Ils parlent, mais pas avec nous. C’est déstabilisant, mais pas grave : ils reviennent toujours vers le gâteau au chocolat. »
Moralité : un éternel recommencement.
La Claudine conclut avec philosophie : « Ces comportements ne sont ni un complot contre les adultes, ni une catastrophe nationale. C’est juste la vie. Et un jour, ces jeunes deviendront parents. Alors, quand ils verront leurs enfants rire devant des hologrammes ou discuter avec des robots, ils soupireront à leur tour : « De mon temps, ça ne se passait pas comme ça ! »
En attendant, elle propose une trêve : la prochaine fois que votre ado lève les yeux au ciel, souvenez-vous que vous avez fait pire. Et offrez-lui une alternative.
À une terrasse ou à table, lancez-lui un défi food & boisson : « devine les ingrédients de ce mocktail », « qui peut manger son dessert sans les mains ? ». Ou posez-lui une question drôle ou décalée : « Si tu pouvais être invisible une journée, tu ferais quoi ? », ça marche souvent mieux que « Alors, ça va l’école ? ». Vous pouvez aussi le responsabiliser, lui confier un rôle : « c’est toi qui choisis la prochaine glace / le dessert / la playlist ». Et lors d’un déplacement, vous pouvez opter pour les podcasts ou les livres audio. Partager cela sera souvent plus immersif que la musique, dans les écouteurs, et certains ados adorent (true crime, histoires surnaturelles, humour). Leur proposer de prendre « la photo la plus drôle / la plus stylée » du voyage, ça les rend acteurs plutôt que spectateurs, et si vous jouez le jeu, vous aussi, vous pouvez leur proposer de rédiger un carnet de voyage express : un petit carnet où chacun note ou dessine une anecdote du trajet.
Bref, il faut que les deux parties aillent l’une vers l’autre pour collaborer de manière ludique.
Gilles Desnoix