La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.
Ça fait des semaines que le feuilleton gouvernemental impossible égrène ses péripéties devant les Français médusés ou abattus, en colère ou résignés. La Claudine assiste à ce triste spectacle et surtout au cirque médiatique qui l’entoure et le fait vivre. Ce qui l’énerve, elle, c’est le feuilleton dans le feuilleton : « aura-t-on un budget cette année ? », sous-entendu la France va être à l’arrêt sinon. Sauf que nous ne sommes pas les ÉTATS-UNIS où un shutdown est toujours possible et s’est produit lors des deux mandats de Trump.
En France, en cas d’absence de vote de la loi de finances dans les délais constitutionnels, la France dispose d’un mécanisme de continuité budgétaire appelé le régime des « douzièmes provisoires ».
La Claudine s’est penchée sur ce principe constitutionnel qui, dans la Constitution de la Ve République, encadre strictement le vote du budget. Il s’agit de l’article 47 de la Constitution (1958) : « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique.
Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans un délai de quarante jours après le dépôt du projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.
Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance.
Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été votée avant le début de cet exercice, le Gouvernement est autorisé à percevoir les impôts existants et ouvre, par décret, les crédits correspondant aux services votés. »
C’est cette dernière phrase qui fonde le système des « douzièmes provisoires ». Donc la Claudine le rappelle autour d’elle lorsque la discussion vient sur le sujet : la France dispose toujours d’un budget, et même plus favorable que le projet présenté puisque les 12ᵉˢ ne tiennent pas compte des restrictions de dépenses prévues pour 44 milliards d’euros.
Le mécanisme des « douzièmes provisoires » est simple et facile à mettre en œuvre. Lorsqu’aucune loi de finances n’est adoptée avant le 1ᵉʳ janvier, le Gouvernement peut ouvrir chaque mois un douzième des crédits de l’année précédente, afin d’assurer la continuité du fonctionnement de l’État. Ce mécanisme est précisé dans la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : article 45 de la LOLF (nᵒ 2001-692 du 1ᵉʳ août 2001) :
“Lorsque la loi de finances de l’année n’a pas été promulguée au 1ᵉʳ janvier de l’exercice, les services de l’État peuvent être mis en œuvre par décret ouvrant, par mois, un douzième des crédits ouverts par la loi de finances de l’année précédente.”
Que permet ce système ? Il permet : à l’État de continuer à fonctionner (payer les salaires, les dépenses courantes, etc.) en limitant les engagements de dépenses à un strict cadre provisoire, dans l’attente du vote du budget.
Quelle en est la portée pratique ? La Claudine en est consciente, il faut une volonté politique car le décret d’ouverture des douzièmes provisoires est pris en Conseil des ministres. Cet acte règlementaire ouvre chaque mois jusqu’à un douzième des crédits de l’année précédente, par mission budgétaire. Bien entendu il ne peut être question de dépense nouvelle, sauf en cas d’urgence et par ordonnance ou décret spécifique.
La Claudine s’est demandé si ce mécanisme a été souvent utilisé… très rarement (en fait deux fois) car le Gouvernement engage souvent sa responsabilité (article 49, alinéa 3 de la Constitution) pour faire adopter la loi de finances dans les délais. Ce qui reste une pratique relativement antiparlementaire, mais elle est très courante. La première fois où le système a été utilisé, ce fut lors de la première année de la Vᵉ République : lors de la mise en place des nouvelles institutions, aucune loi de finances n’avait été votée avant le 1ᵉʳ janvier 1959.
Le gouvernement de Michel Debré a donc appliqué le régime des douzièmes provisoires pour assurer la continuité budgétaire jusqu’à l’adoption de la loi de finances pour 1959, la première élaborée selon les principes de la nouvelle Constitution. La seconde fois fut au mois de janvier 2018 car le budget 2018 a été voté qu’en janvier 2018.
Rappelons que le projet de budget avait achoppé sur la question de la suppression de la taxe d’habitation et qu’il avait été censuré par le Conseil constitutionnel. Les réactions avaient été vives dans la classe politique. Mais à l’époque il n’avait pas été agité le spectre d’un shutdown à la française et d’une paralysie des institutions et d’un grippage de l’appareil administratif d’État.
La Claudine se dit que si la Constitution a prévu le cas de figure, tout devrait bien se passer sans que la France soit mise à l’arrêt, sans obligation de censure ou de dissolution de l’assemblée. Mais tout lui paraît préférable à la palinodie que l’on sert aux français depuis des semaines et surtout ces derniers jours, mais cela n’est que l’avis de la Claudine.
Gilles Desnoix
Références juridiques
- Constitution de 1958, article 47 : Légifrance – Article 47
- Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), article 45 : Légifrance – Article 45 LOLF