Voter ou ne pas voter : et si cela influençait votre espérance de vie ?
Faut-il déposer son bulletin de vote dans l’urne pour ne pas avaler son bulletin de naissance ?
En parcourant la presse ce dimanche matin, la Claudine a eu la surprise de lire qu’une étude finlandaise très sérieuse suggère que l’abstention pourrait bien raccourcir un peu la durée de votre playlist…
En effet, il existe bien une étude finlandaise qui établit un lien choc entre vote et mortalité. Il s’agit d’une étude épidémiologique sur 3,1 millions de Finlandais âgés de plus de 30 ans (électeurs potentiels en 1999), suivis jusqu’en 2020, qui a révélé que ceux qui ne votent pas ont un risque de décès nettement plus élevé que les votants, +73 % pour les hommes, +63 % pour les femmes avant ajustements, et +64 %/ +59 % après avoir pris en compte le niveau d’éducation.
Voilà donc bien un sujet apte à piquer la curiosité de la Claudine. Et encore une fois les hommes sont battus à plate couture par les femmes. Mais les causes “externes” de décès (accidents, violence, alcool) sont particulièrement concernées. De ce fait, les auteurs notent bien que ce n’est pas une preuve de causalité : c’est une corrélation, mais un signal fort. Ils proposent que l’abstention pourrait être non seulement un marqueur social, mais aussi un signal de santé : une baisse d’engagement civique potentiellement liée à un déclin de bien-être ou d’énergie vitale.
Ben, pour le coup, juste en période préélectorale, voilà bien un argument à mettre en avant, se dit la Claudine : « Voter fait vieillir plus longtemps. »
Sauf que le Claudine avec sa curiosité naturelle ne peut se suffire de cette explication, elle doit vérifier le pour et le contre, faire du factchecking comme on dit de nos jours.
D’abord l’étude est observationnelle, donc elle n’établit pas que ne pas voter provoque la mort, mais que les deux sont liés. Des variables confondues pourraient jouer : isolement social, précarité, santé mentale, mobilité, revenu… autant de facteurs qui influencent à la fois la participation électorale et la mortalité. Obstacle aussi et de taille : la mesure du vote se limite à un seul moment (1999). La Claudine ne voit pas là une garantie d’un comportement de vote stable sur toute la période de suivi. Et puis peut-on généraliser ? La Finlande a des caractéristiques sociales, politiques et sanitaires très particulières.
Ensuite la Claudine s’est posé la question : « Mais alors on doit vivre vieux dans les pays où il existe une obligation de vote. »
Pour se rendre compte si l’engagement politique (et donc, potentiellement, un “capital santé”) change quand le vote est forcé ou libéré, la Claudine est allée regarder le cas de pays qui ont vécu des changements dans leur législation.
Le vote obligatoire augmente la participation mais sans créer d’engagement politique durable : une partie des votants “contraints” votent peu motivés ou mal informés, ce qui se voit par davantage de bulletins nuls et par une chute de participation dès que l’obligation est supprimée (Autriche, Pays-Bas, Chili). En Amérique latine, il améliore la représentativité des populations défavorisées mais pas forcément la qualité du vote.
L’effet n’est pas formellement démontré sur la durée de vie ou la santé des habitants.
Il n’y a pas une vertu civique ayant des vertus médicinales, mais les recherches montrent qu’il existe un lien intéressant entre le fait de voter et l’état de santé. En Finlande, on observe que les personnes qui s’abstiennent régulièrement ont un risque de mortalité plus élevé : voter semble aller de pair avec une meilleure insertion sociale, une plus grande stabilité de vie et, au final, une meilleure santé.
La Claudine se rend compte que les expériences menées dans d’autres pays rappellent que ce lien n’est pas automatique. Quand le vote est obligatoire, beaucoup de gens votent par contrainte, pas par conviction. Dans ces cas-là, la participation électorale reflète moins l’état réel des citoyens et le lien entre vote et santé devient moins net. En revanche, l’obligation peut donner davantage de poids politique à des groupes vulnérables, ce qui pourrait améliorer leurs conditions de vie, mais cela reste une hypothèse. Au regard de ces comparaisons, l’exemple finlandais s’explique probablement par une forte différence entre les personnes bien intégrées (qui votent) et celles en situation de fragilité (qui s’abstiennent). Cela ouvre une idée nouvelle : l’abstention répétée pourrait être vue comme un signal de vulnérabilité sociale, utile pour orienter des actions de prévention, à condition de ne pas stigmatiser.
Mais attention, se dit la Claudine, utiliser le vote comme indicateur de santé pose des questions éthiques importantes. On ne peut pas suivre la participation électorale des individus sans risques pour la vie privée, et il serait dangereux de culpabiliser ceux qui ne votent pas. Le lien entre vote et santé est donc réel, mais doit être interprété avec prudence.
Les études le montrent : ceux qui votent régulièrement sont souvent en meilleure santé que ceux qui s’abstiennent. Mais inutile d’imaginer un superpouvoir caché dans l’urne : ce n’est pas votre carte d’électeur qui vous maintient en vie, c’est bien votre carte Vitale. La Finlande révèle simplement que les abstentionnistes chroniques sont souvent les plus fragiles socialement… et donc ceux qui auraient le plus besoin de politiques publiques protectrices.
Et c’est là que surgit le grand paradoxe : le serpent qui se mord la queue version démocratique.
Ceux qui auraient le plus besoin d’être défendus sont aussi ceux qui votent le moins. Résultat : leurs problèmes pèsent moins lourd dans les agendas politiques. Et parce qu’ils ne votent pas, on agit moins pour eux. Et comme on agit moins pour eux, ils se sentent encore moins concernés. Cercle bouclé, ruban bien serré.
Les expériences d’autres pays n’arrangent rien : rendre le vote obligatoire augmente la participation, mais pas forcément l’envie, ni la sensation d’être écouté. Cocher une case sous la contrainte n’a jamais suffi à guérir un sentiment d’abandon.
Bref, se dit la Claudine, ceux qui s’abstiennent sont souvent ceux qui mériteraient le plus de protection… Mais leur absence dans les urnes contribue aussi, un peu, à leur invisibilité. Une sorte d’humour noir démocratique :
“Voter ne prolonge pas la vie, mais ne pas voter n’aide pas à la rendre meilleure.”
Alors oui, votez par conviction — pas pour gagner des points de vie. Pour ça, on l’a dit : faites confiance à votre carte Vitale, pas à votre carte d’électeur.
Gilles Desnoix


