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lundi 24 novembre 2025 à 03:21

La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.

Shein débarque et la France est en crise de conscience.



 

De Paris au bassin minier de Montceau-les-Mines, la fast fashion met à nu nos fractures sociales, morales et économiques.

La Claudine fulmine dans son coin : « Moi, je veux bien qu’on en parle, de Shein, hein… Mais voilà plus de quinze jours qu’on n’entend plus que ça ! Le BHV, les poupées à caractère pédopornographique, les armes, la convocation parlementaire ignorée… On en fait des tonnes, du matin au soir. » Elle soupire, la Claudine, elle en a assez de ces polémiques continuelles sur un même sujet traité de manière théâtrale, parce que pendant ce temps-là, on oublie presque de parler du vrai sujet : l’économie locale, les petits commerces qui souffrent, les conditions de travail là-bas, les droits humains… Tout ça, c’est moins spectaculaire, mais c’est pourtant ça qui devrait inquiéter, non ?

La Claudine se dit que l’ouverture d’une boutique Shein au BHV Marais n’est pas un simple fait commercial, mais devient un symptôme d’un malaise beaucoup plus profond. Derrière les portants de vêtements à bas prix et les files d’attente, c’est une question de société qui se joue : notre rapport à la consommation, au travail, à l’éthique et à la planète.

Et ce qui navre la Claudine, c’est que cette controverse ne se limite pas à Paris, l’implantation de Shein concerne aussi des villes comme Dijon et provoque une onde de choc jusqu’au bassin minier de Montceau-les-Mines, territoire marqué par l’histoire ouvrière, la désindustrialisation et une sensibilité particulière aux questions d’emploi, de précarité et de justice sociale. Ici, le sujet passionne, inquiète, divise et énerve, car il touche à la fois au pouvoir d’achat quotidien et à la mémoire économique d’une région longtemps façonnée par le travail et la solidarité.

 

L’arrivée de Shein dans l’un des grands magasins emblématiques de Paris n’a rien d’anodin. Elle ne suscite pas seulement des critiques sur la qualité des produits ou la concurrence. Elle interroge le modèle économique que nous cautionnons collectivement. C’est une polémique qui dépasse largement la mode. Shein incarne l’« ultrafast fashion » : des vêtements produits en masse, renouvelés en permanence, vendus à des prix défiant toute concurrence. Ce modèle, fondé sur la rapidité et le volume, repose sur une logique simple : produire vite, vendre beaucoup, jeter souvent. Et puis Shein n’est pas seule sur le marché, il y a bien d’autres géants de l’ultrafast fashion et de l’objet à moindre prix.

Pour une partie de l’opinion, et particulièrement pour la Claudine, cette installation au cœur de la capitale historique de la mode symbolise un renoncement silencieux : celui d’un certain idéal français fait de savoir-faire, de durabilité et de qualité. Et voilà que cela irradie jusqu’au cœur de la Bourgogne.

La Claudine se rend bien compte qu’il y a un grand écart entre le discours et la réalité. La polémique révèle une contradiction bien connue mais rarement assumée : nous voulons consommer mieux, mais au prix le plus bas. Les Français se disent sensibles à l’écologie, aux conditions de travail, au respect des droits humains. Pourtant, le succès de plateformes comme Shein montre que la contrainte budgétaire, l’envie de nouveauté et la pression sociale restent déterminantes. La mode à quelques euros devient alors une solution accessible, parfois indispensable pour des budgets serrés. Ce fossé entre idéaux et pratiques ne dit pas tant une hypocrisie individuelle qu’une faille collective : comment demander à chacun d’être vertueux dans un système économique qui valorise la vitesse, le prix et la surenchère permanente ?

Comme beaucoup, la Claudine y voit un symbole de la mondialisation sans visage. Derrière chaque t-shirt à 5 euros se cache une chaîne de production invisible : ouvriers sous-payés, cadences élevées, normes sociales floues, impact environnemental colossal, droits humains foulés aux pieds, etc.

 

La fast fashion n’est pas seulement un phénomène français. Elle affecte des pays entiers qui produisent pour le marché occidental, dans des conditions souvent précaires. L’arrivée de Shein à Paris nous place face à une responsabilité globale : notre pouvoir d’achat repose sur des sacrifices sociaux et environnementaux ailleurs dans le monde. Ainsi, ce qui se joue dans une boutique parisienne concerne aussi le Bangladesh, la Chine ou le Cambodge. La mode devient alors un enjeu géopolitique autant qu’économique.

La Claudine en est consciente, la controverse ne s’est pas limitée au textile. La présence sur la plateforme de produits jugés choquants ou problématiques a ravivé une inquiétude profonde : celle d’un monde marchand où tout serait vendable, sans limite éthique. Ce cas agit comme un révélateur : jusqu’où acceptons-nous que la logique commerciale s’impose à la morale ? Que devient une société dans laquelle la rentabilité prime sur le sens ?

Du coup, pour la Claudine, la question n’est donc plus seulement : « Peut-on acheter chez Shein ? » mais « Voulons-nous vivre dans un monde où ce modèle devient la norme ? ». Pour elle la réponse est non, mais ça n’est que son avis.

 

Dans le bassin minier de Montceau-les-Mines, la polémique prend une résonance particulière. Ancien territoire de mineurs et d’ouvriers, frappé par la fermeture des sites industriels et la fragilisation du tissu économique, la question de Shein devient éminemment sociale. Pour certains habitants, pouvoir acheter des vêtements à très bas prix représente une nécessité concrète. Le coût de la vie, la précarité et la raréfaction des commerces traditionnels rendent ces plateformes attirantes, voire indispensables. Pour d’autres, l’arrivée de Shein est vécue comme une nouvelle forme de violence économique : celle qui remplace l’économie locale par une consommation dématérialisée, qui affaiblit les petits commerçants, et qui symbolise une mondialisation indifférente aux territoires abîmés. Entre fascination et rejet, Shein devient dans ce contexte un révélateur brutal : celui d’une société qui demande aux populations les plus fragiles de choisir entre fin de mois et convictions. Cela désole profondément la Claudine, heurte beaucoup de ses principes, mais elle sait bien que le choc moral qu’elle ressent n’est pas forcément partagé par tout le monde et souvent pour des raisons valables.

 

La polémique autour de Shein révèle aussi une tension de classe. Pour certains, critiquer la fast fashion relève d’un luxe moral. Tout le monde n’a pas les moyens de s’habiller responsable, local ou durable. La critique de Shein peut alors apparaître comme déconnectée des réalités sociales. Pourtant, l’enjeu est bien collectif : comment construire une transition vers une consommation plus éthique sans culpabiliser les plus modestes ? Ce débat renvoie à une question essentielle : l’écologie et l’éthique doivent-elles être réservées à ceux qui en ont les moyens ? La Claudine s’interroge sur sa place sur l’échiquier : fait-elle partie de ceux qui ont les moyens, ou pas ? et est-ce plus simple dans ce cas pour elle d’agiter le côté moral des choses ?

 

Une chose est certaine, pays de la haute couture, du luxe, de l’élégance, la France se rêve souvent en gardienne du « beau » et du « bien fait ». L’implantation de Shein à Paris vient heurter ce récit national. Cela révèle une tension entre l’image que nous voulons projeter et la réalité économique que nous acceptons. Entre fierté culturelle et pragmatisme de consommation, la société française hésite.

Pour la Claudine, ce moment cristallise une interrogation collective : quelle France voulons-nous être ? Celle du savoir-faire ou celle du tout-jetable ? Vaste question pour laquelle chacun a sa réponse. Pour la Claudine, c’est le savoir-faire… Mais là encore ce n’est que son avis.

L’arrivée de Shein à Paris pourrait marquer un simple épisode médiatique. Mais la Claudine se dit que cela pourrait aussi devenir un point de bascule : vers une prise de conscience plus large sur nos modes de vie, nos choix quotidiens et leurs conséquences. Point de bascule qui pose une question essentielle, à la fois intime et politique : sommes-nous prêts à ralentir, à payer plus cher pour consommer mieux, à remettre en question notre confort immédiat pour un avenir plus soutenable ?

Car au fond, la Claudine en est intimement persuadée, ce débat n’est pas qu’économique. Il est moral, social, culturel. Il parle de dignité, de responsabilité et de vision du monde.

Et c’est peut-être là que réside la véritable polémique : non pas dans une boutique ouverte au BHV, mais dans le reflet qu’elle nous renvoie de nous-mêmes.

 

Gilles Desnoix

 

 

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