Saint-Bonnet-de-Joux : Château de Chaumont
Sous les arches du temps : les écuries de Chaumont racontées par Anne de Laguiche
La nuit tombait doucement sur le parc du château, et les derniers murmures du spectacle « Le Songe de La Fontaine » flottaient encore dans l’air.
C’est là, que je l’ai rencontrée. Elle portait une robe bleu profond, à la fois sobre et majestueuse, dont la teinte semblait faire chanter la lumière de ses yeux. Bleus eux aussi. Étonnamment clairs. Ils captaient l’attention sans jamais l’imposer, comme une porte grande ouverte sur l’écoute, la générosité et la curiosité.
Cette femme, c’était Anne de Laguiche. Une présence rare, lumineuse, portée par la passion et le devoir de transmettre. En quelques mots échangés, elle a éveillé chez moi le désir de lui demander de raconter l’histoire des pierres qu’elle fait vivre avec tant de ferveur : les écuries de Chaumont.
Voici le récit d’un lieu, mais aussi celui d’une âme qui veille.
Montceau News :
Madame de Laguiche, les écuries du château portent encore aujourd’hui la majesté de leur époque. Pouvez-vous nous raconter leur origine : à quel moment ont-elles été construites et dans quel contexte historique ou familial ce projet a vu le jour ?
Anne de Laguiche :
Les écuries ont été bâties entre 1648 et 1652, par Henriette de Laguiche, filleule d’Henri IV, fille de Philibert de Laguiche, seigneur de Chaumont et grand maître de l’artillerie de France sous Henri III.
À son arrivée au château de Chaumont, Henriette de Laguiche découvre qu’aucun bâtiment n’est dédié à la garde armée de son époux, Louis-Emmanuel de Valois, duc d’Angoulême et colonel général de la cavalerie légère.
Le domaine, prestigieux mais incomplet, ne dispose pas d’infrastructures adaptées pour accueillir les chevaux et les hommes de troupe. Consciente de l’importance militaire et symbolique de cette garde princière, Henriette décide alors de faire ériger un bâtiment d’exception, non seulement fonctionnel, mais reflétant le rang de son mari et la grandeur de sa propre lignée.
A noter que François Blondel, architecte de Louis XIV, revendique être l’auteur de la construction des écuries. Quant à François Martel, de Charolles, il était le maitre tailleur de pierres qui a obtenu le contrat de construction des écuries.
Dans une note publiée en 1685, Blondel écrit : « J’en ay autrefois fait construire une à Chaumont la Guiche en Charolois qui a passé pour belle, quoy qu’elle soit à deux rangs ».
L’édifice est bâti contre le mur d’enceinte du château. L’architecture intérieure, avec ses voûtes d’arêtes, ses deux rangs de stalles encadrant une allée centrale, et ses rigoles d’évacuation, s’inspire d’un dessin de Léonard de Vinci, qui a été peint plus de 100 ans avant la construction des écuries.
Anne de Laguiche s’en amuse : « Il devait trainer dans les cartons des architectes ».
Ce bâtiment est considéré comme l’un des premiers chefs-d’œuvre de l’architecture équestre française, et aurait influencé les écuries de Versailles et Chantilly.
Pour en revenir à Blondel, il n’était pas simplement un architecte : il était aussi ingénieur militaire, diplomate et théoricien. Son implication dans les cercles royaux et militaires pourrait expliquer pourquoi Henriette de Laguiche l’a choisi pour ce projet ambitieux.
Par ailleurs, les façades, rythmées par deux escaliers monumentaux, ont été préservées à la Révolution.
Montceau News :
Les écuries ont-elles évolué au fil du temps ?
Anne de Laguiche :
Les écuries du château de Chaumont ont connu plusieurs modifications et restaurations depuis leur construction au XVIIe siècle, tout en conservant leur caractère originel.
Après 1653, Henriette de Laguiche a fait remanier la façade sud-est pour y intégrer une statue équestre de son père, Philibert de La Guiche, en hommage à son rôle de grand maître de l’artillerie.
Puis, les grands escaliers extérieurs en pierre de taille, ont été ajoutés après la construction du rez-de-chaussée. Ils ne sont pas intégrés à la structure porteuse comme le serait un parement en pierres d’attache, c’est-à-dire un revêtement fixé mécaniquement à un mur ou une ossature.
Au milieu du XVIIIe siècle, certaines parties de la charpente ont été reprises, et des éléments décoratifs comme la lucarne centrale et les œils-de-bœuf ont été supprimés.
Enfin, à la fin du XIXe siècle, dix nouvelles stalles et quatre boxes ont été ajoutés dans la partie centrale du rez-de-chaussée.
Montceau News :
Il y a eu également d’autres restaurations ?
Anne de Laguiche :
Effectivement. Entre 2016 et 2025, les écuries ont fait l’objet d’une restauration complète à mon initiative. Je souhaitais redonner vie aux intérieurs, tout en respectant leur architecture d’origine, inspirée de Léonard de Vinci, je le rappelle.
En effet, avant, quand on ouvrait la porte des écuries, on pouvait voir d’un coup d’œil si tous les chevaux étaient rentrés. Il n’y avait qu’une seule grande pièce. Tout a été recloisonné après la Révolution, car l’utilisation des écuries n’était plus la même.
On n’avait plus besoin de ces écuries pour la petite armée qui se déplaçait, mais on en avait maintenant besoin pour les chevaux qui tiraient les voitures. Il fallait donc des réserves pour mettre les voitures à cheval. Et du personnel pour s’occuper des chevaux.
Anne de Laguiche sourit et ajoute : « De nos jours, nos éleveurs ont des caméras pour surveiller les vêlages et les poulinages, mais eux, ils surveillaient les chevaux du haut du bâtiment ».
Montceau News :
Il existe une légende concernant les chevaux…
Anne de Laguiche :
Oui, cette légende disait que seul le roi de France avait le droit d’avoir 100 chevaux. Et qu’à Chaumont, on avait fait des écuries pour 99 chevaux et que le 100e est celui de la statue équestre de Philibert de La Guiche, qui trône au-dessus de la porte d’honneur.
Le site est désormais classé monument historique, et ouvert au public pour des visites, événements et séjours. Nous privatisons aussi le lieu pour des mariages.
Montceau News :
Et puis, en 2018, une belle surprise…avec le Loto du Patrimoine.
Anne de Laguiche :
En 2018, les écuries de Chaumont ont été sélectionnées parmi les sites emblématiques en péril, par la Mission Patrimoine portée par Stéphane Bern.
Ce choix a marqué un tournant, car non seulement il a reconnu la valeur exceptionnelle du bâtiment, mais il a mobilisé l’attention nationale, autour d’un trésor trop longtemps oublié.
Grâce au soutien du Loto du patrimoine et à la générosité des donateurs, les voûtes fatiguées, les façades ternies et les escaliers marqués par l’humidité ont retrouvé peu à peu leur éclat.
Ce geste contemporain est venu prolonger celui d’Henriette de La Guiche, qui, en son temps, avait déjà voulu bâtir non pour le présent, mais pour la mémoire.
NDLR : Le projet a bénéficié d’une aide de 34 000 € de la Mission Patrimoine. De plus, une collecte de dons a été lancée par la Fondation du Patrimoine, dépassant les 38 000 €.
Aujourd’hui, les pierres parlent de nouveau, et racontent, avec fierté, leur sauvetage.
Un patrimoine transmis avec le cœur
Au fil des siècles, les écuries de Chaumont n’ont cessé de traverser le temps, tantôt lieu militaire, tantôt silence de pierre, aujourd’hui mémoire vivante. D’une vision princière portée par Henriette de La Guiche, à la renaissance orchestrée par Anne de Laguiche, elles incarnent une continuité rare : celle d’un patrimoine transmis avec cœur.
Chaque voûte, chaque rigole, chaque stalle dit quelque chose du soin, de la grandeur, et du respect pour la matière, l’histoire, et l’animal. Ces écuries ne sont pas qu’un bâtiment : elles sont un récit.
Le centième cheval, figé dans la pierre, veille encore. Et à ses côtés, le souffle discret mais inaltérable des femmes et des hommes qui font de Chaumont un lieu où l’Histoire s’écrit à travers les sabots et la lumière. D’ailleurs, on voit encore les coups de sabot des chevaux dans les murs. Ainsi que les abreuvoirs.
Le détail insolite
Et puis, si vous levez les yeux lorsque vous êtes dans les écuries, vous pouvez voir au plafond, des… détecteurs de fumée. Ils témoignent d’une volonté claire de préserver le bâtiment, tout en respectant les normes contemporaines de sécurité.
Bien que l’édifice date du XVIIe siècle, sa restauration récente a intégré des dispositifs modernes pour garantir sa pérennité.
Remerciements
Merci à Anne de Laguiche de nous avoir consacré autant de temps, avec le sourire, et autour du verre de l’amitié.
Dans une prochaine édition, nous vous raconterons comment les spectacles magiques « L’Incroyable Noël » et « Le Songe de La Fontaine » ont pu se dérouler aux écuries de Chaumont.
Nelly Desplanches