Chaque mercredi, prenez de la hauteur avec l’Aéro-Club du Bassin Minier
Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve.
Comme nous avons cité Saint Exupéry dans le sous titre nous pourrions commencer cet article par « il était une fois un jeune garçon rêveur et distrait bercé par le chant des oiseaux », ou encore « « il était une fois un adulte ayant réalisé son rêve bercé par le chant des réacteurs. »
C’est une histoire qui peut se raconter par les deux bouts car en fait c’est l’histoire d’un jeune garçon rêveur et distrait bercé par le chant des oiseaux devenu un adulte ayant réalisé son rêve bercé par le chant des réacteurs.
Un parcours de vie de rêve… Enfin pas de coup de baguette magique, mais de la sueur, des efforts, des sacrifices, de la passion, de l’amour et le but… enfin.
Un rêve moderne en quelque sorte !
Embarquons à la suite d’Alex Léger et de son rêve réalisé. Il est pilote de gros porteur A300/600, instructeur bénévole diplômé d’état à l’ENAC de Toulouse et professionnel de la maintenance aéronautique.
Ça commence à 12 ans quand son grand père, mécano aéronautique à l’aéroclub de Pouilloux et pilote d’avion l’emmène faire son baptême de l’air. Le virus est là, pris et conservé toute la vie. Le jeune Alex se voit, se veut pilote. Le grand père lui explique que pour voler dans les airs il faut avoir bien les pieds sur terre. Or le jeune Alex est un doux rêveur assez distrait, pas vraiment l’archétype du futur pilote. Le grand père lui fait acquérir un carnet où il devra tout noter pour apprendre et surtout se donner une discipline. 12 ans c’est trop jeune pour espérer tenir le manche à balai. Alors pour arriver à réaliser son rêve, piloter, Alex va occuper ses mercredi après midi, samedi et dimanche à faire de la mécanique aéronautique avec son grand père et ainsi gagner quelques sous, abondés aussi par des tontes de pelouse, pour payer ses leçon et à 15 ans le Brevet de base de pilote.. et lors de son lâcher, le premier vol sol, le seau d’eau sur la tête après l’atterrissage, le rite comme celui du passage de l’équateur pour les marins. 15 ans en 1990 et première marche franchie.
Et Alex continue la mécanique pour se payer ses vols sur le Jodel D112 le fameux F-PIIM. Et pour l’anecdote Alex Léger fabrique pendant ses loisirs, il en a encore, des maquettes d’avion.
Puis ce sont les études, l’entrée dans l’industrie, le métier de dessinateur industriel, la routine le manque d’envie de rester derrière un bureau. Alors le rêve recommence à dévorer sa vie. Il s’inscrit à une formation théorique par correspondance à raison de 4/5 heures par jour sur une période de 6/12 mois. Nous sommes en 2004/2005, il n’y a pas de perspectives d’embauche de pilote dans cette période et les finances commencent à tirer la langue. Alex trouve un job chez Alstom au Creusot. Enthousiasme des missions confiées en qualité de responsable d’essai, puis au fil des années la routine, l’accès au management et le rêve reprend le dessus. Surtout qu’Alex n’a jamais cessé de voler et que l’appel de l’azur est toujours présent. Donc rupture conventionnelle, la 1ère chez Alstom, et nouveau départ dans l’inconnu. Enfin pas tant que cela car Alex a déjà une bonne expérience en la matière.
Il sait le prix à payer pour réaliser son rêve, ce qu’il lui a déjà coûté, ce qu’il lui coûtera encore. Mais il sait aussi le prix exorbitant d’une vie sans rêve.
Il s’embarque dans une aventure de lourds labeurs avec 6 mois de cours théoriques intenses entre avril 2018 et décembre 2019 avec 14 examens à passer en moins de 18 mois. Il réussit chaque module du premier coup. Sa compagne a décidé de se lancer avec lui et de changer d’orientation professionnelle pour suivre un rêve parallèle, mais elle travaille encore dans l’entreprise qui l’emploie, elle prendra du retard par rapport à lui. Ensuite c’est l’entrée au centre de formation aéronautique professionnel basé à l’Aéroport de Perpignan-Rivesaltes portant le nom d’Aérofutur. Nous sommes fin janvier 2020. Et qui voila fin mars 2020? La Covid-19, le confinement, on arrête tout, à Pouilloux on travaille avec Alex à remettre le fameux F-PIIM en ordre de marche, on s’occupe. Puis fin du confinement et reprise ex abrupto, faut retrouver la motivation, réactiver les cellules grises et reconnecter les synapses car tout de suite examen de pilote pro, réussite au brevet avec la licence de pilote professionnel fin juin. Mais ce n’est pas fini car la licence ne donne rien sans l’habilitation au vol aux instruments.
De toute manière le chemin choisi est un chemin d’études et de validations de plus en plus ardues, de plus en plus exigeantes. Ce sera 50 heures de vol, avec des lunettes spéciales qui ne permettent de voir que les instruments du tableau de bord de l’avion. 50 heures à décoller, voler, atterrir sans jamais voir dehors ni le terrain. Au bout de 20 heures le cerveau s’adapte et commence à se plier à cette nouvelle réalité. Alex n’a pas fait ces 50 heures dans un simulateur mais aux commandes d’un avion.
Il décrit tout ça au tableau en technicien qu’il est, en professionnel formateur qu’il est aussi devenu. Mais être qualifié IR n’est pas la fin du chemin. La qualification de vol aux instruments, ou « Instrument Rating », permet de piloter sans information visuelle extérieure, avec la seule aide des instruments de l’avion et du guidage du contrôle aérien. Il faut acquérir un module complémentaire MCC, Multi Crew Coordination ou Formation au Travail en Équipage qui est une formation complémentaire à la licence de pilote professionnel et à la qualification de vol aux instruments pour pouvoir exercer sur une machine multipilotes. Un module de 25 heures de cours théoriques, et 20 heures de formation pratique.
Et ce n’est pas fini, ce serait trop beau, il y a le module UPRT, obligatoire depuis Janvier 2020. Il s’agit d’une formation permettant de reconnaître et de sortir de positions inusuelles comme la perte de contrôle en vol (LOC-I, Loss of Control – Inflight) et tout autre cas inopiné.
Tout ceci coûte beaucoup de temps, beaucoup d’argent et Alex n’a pas de travail salarié, il faut rembourser les prêts contractés pour payer les formations, alors en 2021 il a passé une VAE de maintenance aéronautique et a obtenu le diplôme P66 autrement dit licence PART 66, certificat officiel européen émis par l’OSAC sous l’autorité de l’EASA (European Aviation Safety Agency), autorisant tout technicien aéronautique à exercer dans une compagnie aérienne.
Devenu Auto entrepreneur il décroche un premier contrat sur 3 ou4 jours par semaine, puis un autre sur 6 mois pour 1 jour hebdomadaire dans la maintenance. Dans le même temps, lui qui a un regret c’est de ne jamais avoir été aidé financièrement pour ses formations au niveau officiel et public, se paie sur son Compte formation à l’ENAC de Toulouse la formation d’état d’instructeur…bénévole bien entendu. Mais avec la volonté de devenir instructeur titulaire. En fait une formation continue, ça n’arrête jamais.
Mais bon des heures, des heures et pas de boulot de pilote jusqu’au miracle.
Un samedi matin de janvier 2022 à 3h40 pile, le portable vibre, un message d’un ami qui sait qu’Alex cherche un job. « Ça t’intéresse toujours de piloter un Airbus 300 ? » Réponse réflexe « oui » suite logique mais improbable « tu as une entretien lundi matin »
Réponse réflexe mais ensuite tempête sous un crane. Il ne s’agit pas là d’aller serrer deux mains de répondre à quelques questions pour avoir le poste. Il s’agit d’engager l’avenir, de grosses sommes, un temps énorme, d’arrêter l’auto entreprise et donc de se retrouver sans rentrée d’argent. Car il faut en continu débourser pour arriver à être pilote dans un gros zinc avec un contrat de travail.
Mars début formation sur Airbus A300 14h par jour. Entretien nickel, formation idem, engagement comme officier pilote de ligne sur un A300 cargo faisant le proche orient. L’OPL ou copilote en surveille les instruments, gère les communications radio, assure le positionnement, l’altitude et la direction. Il est apte à prendre la main si le commandant de bord, le Captain, lui en donne l’ordre ou en cas d’évènement imprévu.
Le rêve est réalisé… Alex Léger est pilote de gros porteur. Il a au compteur 1700 heures de vol. Mais, mais,,, ce n’est toujours pas la fin du chemin. D’abord tous les six mois sa qualification est remise en jeu comme pour tous les pilotes sur un simulateur à Toulouse et tous les ans en vol réel. Ensuite il faut atteindre les 4000 heures de vol pour un jour devenir Captain après avoir passé avec succès le dernier bloc ATPL. Pour exercer en qualité de Captain, il faut posséder la licence européenne de pilote de ligne, (ATPL : Airline Transport Pilot Licence) et ainsi être reconnu Commandant de bord d’un avion certifié CS-25 (dit « lourd ») en transport public.
Alex a encore 15 ans devant lui pour toucher ce bâton de maréchal, la retraite pour un pilote c’est 65 ans.
Et pourquoi pas Captain sur un avion de ligne passager dans une compagnie de prestige comme Air France ? Captain c’est une marche à gravir, ce rêve là c’est largement l’étage au dessus… Mais qui rêve ne s’endort pas sur ses lauriers.
C’est un travail dur, très responsabilisant, qui nécessite une remis en cause personnelle continue et des investissements individuels, familiaux et financiers importants, mais un rêve c’est justement la transcendance de toutes ces contingences.
Et puis si Alex Léger possède moult qualités de savoir faire il est également doté d’un très gros potentiel de qualités de savoir être. En plus de la motivation, la constance, la motivation et la pugnacité il est doté de deux qualités de cœur : l’empathie et l’altruisme. Alors après 65 ans il volera toujours sur petits zincs, il fera de la maintenance et de l’instruction bénévolement pour son club de cœur, l’ACBM, et de toute manière l’avenir lui appartiendra encore aux commandes de son coucou dans le ciel.
Son rêve lui a dévoré sa vie en la sublimant car il n’a pas permis que sa vie dévore son rêve. Le gamin de Saint Vallier est à l’image du club, de l’ACBM, qui lui a permis de rêver, grâce à son grand-père avisé, et qui est en fait composé des rêves de tous ses adhérents.
Après avoir recueilli les propos de cet homme modeste, sincère et discret, je me suis dis « avec lui comme pilote je sais que je me sentirais en sécurité ».
Gilles Desnoix