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vendredi 3 mai 2019 à 13:26

« Rosa Luxemburg : intellectuelle critique et visionnaire » (Politique)

Nouvelle contribution du Cercle « Autour de la pensée de Marx »






On nous prie d’insérer :

 

 

 

« Après avoir retracé la vie de Rosa Luxemburg, théoricienne exigeante, esprit libre et critique, révolutionnaire passionnée, internationaliste indomptable, nous vous proposons sa contribution sur la révolution russe. Dans le livre « La révolution russe », écrit à chaud en prison et publié en 1918, elle affirme que « La révolution russe est sans conteste le fait le plus considérable de la guerre mondiale ». Quels que soient les regards portés par chacun sur cet évènement historique, il n’est guère contestable qu’il ait bouleversé l’ordre mondial durant plus d’un demi-siècle. Elle indique que « Ce cours des choses est un argument de plus contre la théorie défendue par Kautsky et tout le parti social-démocrate allemand, d’après laquelle la Russie, pays économiquement arriéré, en majeure partie agricole, ne serait pas encore mûre pour la révolution sociale ». Rosa Luxemburg partage ici l’opinion de Gramsci, à savoir que la révolution en Russie plaide pour le rôle primordial de la volonté contre une lecture matérialiste mécanique du cours des choses, déterminée à priori. Si elle se montre élogieuse envers la stratégie des Bolcheviks : « En misant sur la révolution mondiale du prolétariat, les Bolcheviks ont précisément donné le témoignage le plus éclatant de leur intelligence politique, de leur fidélité aux principes et de la hardiesse de leur politique », elle n’en perd pas la tête pour autant, « Ce serait une folie de croire qu’au premier essai d’importance mondiale de dictature prolétarienne, et cela dans les conditions les plus difficiles qu’on puisse imaginer, au milieu du désordre et du chaos d’une conflagration mondiale, sous la menace constante d’une intervention militaire de la part de la puissance la plus réactionnaire d’Europe, et en face de la carence complète du prolétariat international, ce serait une folie, dis-je, de croire que dans cette première expérience de dictature prolétarienne réalisée dans des conditions aussi anormales, tout ce qui a été fait ou n’a pas été fait en Russie ait été le comble de la perfection. […] Dans des conditions aussi défavorables, l’idéalisme le plus gigantesque et l’énergie révolutionnaire la plus ferme ne peuvent réaliser ni la démocratie ni le socialisme, mais seulement de faibles rudiments de l’une et l’autre ».

 

Pour Rosa Luxemburg, le scénario de la révolution russe n’est pas différent du scénario de la révolution française : « Son développement se poursuit naturellement selon une ligne ascendante, en partant de débuts modérés, jusqu’à des buts de plus en plus radicaux, et, parallèlement, de la collaboration des classes et des partis à la domination exclusive du parti le plus radical ». Elle considère que si la révolution est allée à son terme, elle le doit aux Bolcheviks : « Le parti de Lénine fut ainsi le seul en Russie qui comprit les vrais intérêts de la révolution. Les Mencheviks, entêtés dans leur fiction du caractère bourgeois de la révolution russe – puisque la Russie n’était pas encore mûre pour la révolution sociale -, s’accrochaient désespérément à la collaboration avec les libéraux bourgeois, lesquels cherchaient des points d’appui pour pouvoir organiser la contre-révolution. La marche sur Petrograd des cosaques de Kalédine exprima nettement cette tendance. Une dictature militaire avec un régime de terreur contre le prolétariat, puis le retour à la monarchie, en eussent été les conséquences inévitables ». Selon Rosa « la révolution russe n’a fait que confirmer par là l’enseignement fondamental de toute grande révolution dont la loi est la suivante : ou aller de l’avant rapidement et résolument, abattre d’une main de fer tous les obstacles et reculer se buts de plus en plus loin, ou être rejetée en arrière de son point de départ et écrasée par la contre-révolution ». Elle met en parallèle Mencheviks russes et Girondins français qui, s’ils l’avaient emporté, auraient installé très rapidement « non pas une démocratie “modérée”, mais la restauration des Bourbons! L’insurrection d’Octobre n’a pas sauvé seulement la révolution russe mais aussi l’honneur du prolétariat international ».

 

Après les éloges, vient la critique : Rosa précise que « La politique agraire de Lénine et ses amis – “Allez et prenez la terre” – n’a pas conduit à la propriété sociale mais à une nouvelle propriété privée, et cela par l’émiettement de la grande propriété en une foule de petites et moyennes propriétés, de la grande exploitation relativement avancée en une quantité de petites exploitations primitives, travaillant, du point de vue technique, avec les méthodes de l’époque des Pharaons. Mais ce n’est pas tout : Les différences sociales dans les campagnes n’ont pas été supprimées, mais aggravées au contraire. Ce sont les paysans riches et les usuriers […] qui ont été, en réalité, les principaux profiteurs de la révolution agraire ». Rosa fait un nouveau parallèle avec la révolution française : « Le petit paysan français était devenu le plus vaillant défenseur de la révolution qui lui avait donné la terre enlevée aux émigrés. Il porta, comme soldat de Napoléon, le drapeau français à la victoire, parcourant en tout sens l’Europe entière et détruisit la féodalité dans un pays après l’autre. Mais le paysan russe, ayant pris la terre de sa propre autorité, n’a pas songé, même en rêve, à défendre la Russie et la révolution, à qui il la devait. Il s’est claquemuré dans sa nouvelle propriété, abandonnant la révolution à ses ennemis, l’Etat à la ruine et la population des villes à la famine ». Pour elle il est criant que : « la réforme agraire de Lénine a créé pour le socialisme dans les campagnes une nouvelle et puissante couche d’ennemis, dont la résistance sera beaucoup plus dangereuse et plus opiniâtre que l’était celle de l’aristocratie foncière ».

 

Autre critique sévère : celle contre la stratégie de politique étrangère menée par Lénine et taxée « d’optimisme incompréhensible. Les Bolcheviks devaient apprendre à leurs dépens et à ceux de la révolution que, sous le règne du capitalisme […], il n’y a pas de libre détermination des peuples, les considérations de liberté nationale passent complètement après celles de la domination de classe : tandis que Lénine et ses amis espéraient manifestement que, parce qu’ils avaient été les défenseurs de la liberté nationale, et cela jusqu’à la séparation complète, la Finlande, l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie, les pays baltes, le Caucase etc, deviendraient autant d’alliés fidèles de la révolution russe, nous avons assisté précisément au spectacle inverse : l’une après l’autre, toutes ces “nations” – les classes bourgeoises et petites bourgeoises – utilisèrent la liberté qu’on venait de leur octroyer pour s’allier à l’impérialisme allemand contre la révolution russe » Rosa accuse carrément les Bolcheviks d’avoir « encouragé les nationalismes et séparatismes et d’avoir permis le dépècement de la Russie en fournissant aux bourgeoisies de ces pays limitrophes les armes de leur politique contre-révolutionnaire; d’avoir ainsi mis aux mains de leurs propres ennemis, le poignard qu’ils devaient plonger au coeur de la révolution russe […]. Le séparatisme national fut le cheval de Troie avec lequel l’impérialisme allemand s’est introduit, fusil au poing, dans tous ces pays. Tout cela est sorti du traité de Brest-Litovsk ».

 

Rosa Luxemburg fait ensuite une critique implacable de la décision prise par Lénine et Trotsky de supprimer l’Assemblée constituante, c’est à dire la représentation démocratique en général, sous prétexte « qu’elle avait été élue longtemps avant le tournant décisif d’Octobre et reflétait dans sa composition l’image du passé, “que le lourd mécanisme des institutions démocratiques est d’autant plus incapable de suivre l’évolution” (Trotsky) ». En opposition flagrante avec cette décision, Rosa considère au contraire que « plus le pouls de la vie politique des masses est vivant et fort, mieux c’est ». Elle fustige la disparition des principales garanties démocratiques d’une vie publique saine : « libertés de la presse, d’association et de réunion, qui ont été entièrement supprimées pour tous les adversaires du gouvernement des soviets ». Elle assène ici une vérité intemporelle qui sera souvent reprise par la suite : « La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement ! ».

 

Autre critique de fonds : « La condition que suppose tacitement la théorie de la dictature selon Lénine et Trotsky, c’est que la transformation socialiste est une chose pour laquelle le parti de la révolution a en poche une recette toute prête, qu’il ne s’agit plus que d’appliquer avec énergie. Par malheur – ou, si l’on veut, par bonheur – , il n’en est pas ainsi. Bien loin d’être une somme de prescriptions toutes faites qu’on aurait plus qu’à appliquer, la réalisation pratique du socialisme en tant que système économique, juridique et social, est une chose qui reste complètement enveloppée dans les brouillards de l’avenir. Ce ne sont que de grands poteaux indicateurs qui montrent la direction générale dans laquelle il faut s’engager ». Rosa donne raison à Lénine sur les fins, mais estime qu’il se trompe complètement sur les moyens: « Le peuple tout entier doit y prendre part. Autrement le socialisme est décrété, octroyé, par une douzaine d’intellectuels réunis autour d’un tapis vert […] tandis qu’une élite de la classe ouvrière est convoquée de temps à autre à des réunions pour applaudir aux discours des chefs, voter à l’unanimité les résolutions qu’on lui présente, au fond par conséquent un gouvernement de coterie, une dictature, il est vrai, non celle du prolétariat mais celle d’une poignée de politiciens ».

 

Rosa Luxemburg n’oublie cependant pas le contexte : « Ce serait exiger de Lénine et de ses amis une chose surhumaine que de leur demander encore, dans des conditions si terriblement difficiles (l’effroyable pression de la guerre mondiale, de l’occupation allemande, de la faillite du socialisme international), de créer par une sorte de magie, la plus belle des démocraties ». Mais, précise-t-elle « Le danger commence là où, faisant de nécessité vertu, ils créent une théorie de la tactique que leur ont imposée ces conditions fatales, et veulent la recommander au prolétariat international comme le modèle de la tactique socialiste […]. Ils rendent au socialisme international, pour l’amour duquel ils ont lutté et souffert, un mauvais service quand ils prétendent lui apporter comme des idées nouvelles toutes les erreurs commises en Russie sous la contrainte de la nécessité, qui ne furent au bout du compte que des conséquences de la faillite du socialisme international dans cette guerre mondiale ».

 

Soixante-treize années séparent ces réflexions de Rosa Luxemburg – produites au moment où l’histoire était en train de s’écrire – de la chute du mur de Berlin. On peut mesurer rétrospectivement combien étaient grands sa capacité d’analyse, son esprit critique et sa clairvoyance quant au développement historique futur.

 

A suivre… »

 

Jacky JORDERY, Serge ROIGT, Bruno SILLA

 

Montceau-les-Mines, le 30 avril 2019

 

 

 

 

 

Jacky JORDERY Serge ROIGT Bruno SILLA Marx Montceau-news.com 030519

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 






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