Le Groenland, l’énigme du début 2025
Une île sous tutelle convoitée par l’oncle Sam
C’est inouï comme les Inuits répondent à la question « Hvem ejer denne ø ? » par « Til os grønlændere » : « À qui appartient l’île ? », « À nous Groenlandais ».
Le Groenland est une province autonome du Danemark, ses partis politiques utilisent surtout le terme « colonie ».
Les législatives viennent de rebattre les cartes au parlement autonome du Groenland avec la victoire du parti Démocrate, favorable à une indépendance à terme, et le score du parti nationaliste Naleraq, partisan d’une indépendance immédiate.
Inuit Ataqatigiit (gauche écologiste) et Siumut (sociaux-démocrates) formaient la coalition au pouvoir depuis 2014 et 2021. Les Groenlandais se sont déplacés à 70 % pour voter et ont donc très largement sanctionné cette coalition.
Outre la menace du président Trump d’annexer le Groenland aux USA, des problèmes internes à cette province autonome du Danemark ont aussi plombé la campagne et le bilan de la coalition.
Et la liste est longue : mécontentement croissant vis-à-vis du Danemark, en février mise à l’antenne du Greenland’s White Gold, un documentaire sur une mine de cryolite danoise aujourd’hui fermée. 36 % des électeurs interrogés ont dit que ce documentaire a changé leur vision de l’autonomie nécessaire du Groenland sur la gestion de ses ressources naturelles ; la coalition en place préconise une indépendance très progressive vis-à-vis du Danemark, mais insiste sur le fait qu’elle devrait se faire progressivement ; le fait que la coalition au pouvoir ne consulte pas les Groenlandais par référendum sur l’indépendance comme la loi danoise de 2009 sur l’autonomie du Groenland le prévoit ; les problèmes budgétaires, démographiques, économiques, l’incertitude quant aux ressources minérales, etc.
Le parti nationaliste Naleraq a beaucoup joué sur la corde patriotique face aux coups de boutoir de Donald Trump.
Mais qu’est-ce donc que ce Groenland et combien de divisions ? Comme a dit Staline à Laval le 12 mai 1935 à Moscou à propos du Pape.
Le Groenland est la seconde plus grande île du monde après l’Australie et est situé au nord-est du Canada et au nord-ouest de l’Islande. Sa superficie est de 2 210 573 km², soit 4 fois la surface métropolitaine de la France. Sa population s’élève en 2025 à 57 776 habitants, ce qui la positionne au niveau de villes françaises comme Saint-André de la Réunion (57 546 habitants) ou Villejuif (58 142 habitants).
Par comparaison, le Danemark, qui a le Groenland encore sous sa tutelle, a une superfice de 42 921 km², ce qui, en gros, correspond à la superficie de la Bourgogne-Franche-Comté : 47 784 4 km². Sa population est de 5,8 millions d’habitants.
La répartition ethnique de la population du Groenland est la suivante : Inuits du Groenland (89,8 %), Danois (10 %), autres (0,2 %).
Pourquoi l’insistance malpolie du président américain a-t-elle exacerbé le patriotisme et le nationalisme groenlandais ?
Parce que les choses trop répétées déplaisent.
D’abord un point très succinct d’histoire : cette île a été colonisée par les Vikings d’Eric le rouge et occupée par eux pendant plus de 4 siècles, puis par les Inuits qui forment encore la très grande majorité de la population. Le Groenland se retrouva ensuite sous la férule du royaume de Danemark et Norvège, puis du Danemark seul.
En 1867, selon les principes de la doctrine Monroe (« l’espace des Amériques » (Nord et Sud)), les États-Unis considèrent que l’île appartient géographiquement à leur espace. Et le président Andrew Johnson a fait une offre de rachat du Groenland.
Le 9 avril 1941, l’ambassadeur du Danemark en exil aux USA, alors que son pays est occupé par les Allemands, signe un traité avec les États-Unis leur accordant le droit d’établir des bases militaires au Groenland non occupé.
1946, offre 100 millions de dollars pour l’achat du Groenland par le président américain Harry Truman.
En 1951, un nouveau traité donne à l’installation de la base aérienne de Thulé un statut permanent et inclut le Groenland dans une zone militaire de l’OTAN.
En 1953, le Danemark déplaça de force les Inuits de Thulé afin de permettre l’extension de la base américaine. Ce qui a fait naître un ressentiment du Groenland vis-à-vis du Danemark
21 janvier 1968, énorme accident nucléaire. Un B-52 américain s’écrase à proximité de la base, libérant ses 4 bombes à hydrogène avec épandage d’un gros volume de plutonium.
Il en reste quelque chose dans la mémoire et l’inconscient des Inuits et, semble-t-il, des malformations dans la faune locale.
En 2019, le président Trump a fait part de son intention d’acheter le Groenland, et donc en 2025, il veut le récupérer « d’une manière ou d’une autre ». Ce qui est peu courtois et peut s’apparenter à une menace.
Il y a donc bien là un gros dossier de contentieux entre les Groenlandais et les USA. Comme disait une publicité : le peuple groenlandais est petit, mais il apparaît costaud tout d’un coup. Trump suit les principes du corollaire de la doctrine de Monroe défini par Theodore Roosevelt (26ᵉ président des States) et qui affirme que les USA ne toléreront pas que l’on s’oppose frontalement à leurs intérêts.
Il convient de rappeler, pour conclure, que le Groenland a le 23 février 1982, par 53 % des Groenlandais, demandé le retrait de l’ile de la Communauté économique européenne, ceci sur fond de guerre de la pèche dans les eaux groenlandaises. La décision fut mise en application en 1985. Le Groenland est signataire d’un traité spécial qui définit un certain nombre de dérogations concernant la pêche. De ce fait, le Groenland est inscrit sur la liste de territoires d’outre-mer associés à l’Union européenne.
Il est bon de savoir au minimum ça si l’on veut pouvoir suivre un peu les informations en continu qui parlent de ces problèmes comme s’ils étaient connus de tous et surtout comme si l’instant primait sur l’histoire.
Gilles Desnoix