Proposition de la ministre du Travail : « Repos à vendre, offres à débattre »
Le rachat des congés est sur la table : les syndicats fulminent, Bercy calcule, les salariés hésitent.
Travailler plus pour gagner plus : pour ce troisième volet du triptyque sur les annonces gouvernementales, décryptage global par Montceau News d’une mesure controversée.
La formule a beau sonner comme une promesse simple — travailler plus afin de gagner plus —, elle nécessite un regard attentif et nuancé. La ministre du Travail, Astrid Panosyan‑Bouvet, en a fait récemment l’une des pistes explorées dans le cadre du budget 2026. Cette proposition soulève un enjeu multifacette, à la croisée du pouvoir d’achat des salariés, de la gestion des entreprises, des équilibres budgétaires et du fonctionnement des dispositifs existants, notamment le compte épargne-temps (CET). À chacun de ces niveaux, le bénéfice potentiel coexiste avec des limites et des effets secondaires.
Pour les salariés, un gain net sous conditions.
L’argument central est simple : les salariés pourraient augmenter leurs revenus en renonçant à des jours de RTT ou en faisant des heures supplémentaires, ou encore en monétisant leur CET. Les heures supplémentaires bénéficient d’exonérations d’impôt jusqu’à 7 500 € par an et sont majorées (25 % ou 10 % selon les conventions), ce qui les rend particulièrement avantageuses. Quant au rachat de RTT ou de jours CET, il est souvent exonéré d’impôt et partiellement exonéré de cotisations, mais il est payé au taux journalier normal, sans majoration.
Cela signifie concrètement qu’un salarié pourrait gagner entre 500 et 1000€ brut supplémentaires par an en rachetant cinq jours de RTT : un complément concret, mais nettement moins intéressant qu’en recourant à des heures supplémentaires bien majorées. Le dispositif offre plus de flexibilité, pour ceux qui souhaitent renoncer à du temps libre contre un revenu. Mais il suppose que l’employeur l’autorise, et il n’est pas accessible à tous (absence, santé, garde d’enfants…). Au final, bien que ce mécanisme puisse améliorer le pouvoir d’achat, il ne s’agit ni d’une révolution ni d’un levier universel.
Pour les entreprises, une souplesse à encadrer
Du côté des employeurs, l’idée paraît séduisante : offrir la possibilité aux salariés de racheter leurs jours libère de la flexibilité managériale, permet d’optimiser la présence des salariés, et limite les passifs liés au CET. Si l’employé renonce à des jours non pris, l’entreprise paie immédiatement la rémunération correspondante, ce qui évite de devoir prévoir financièrement ces jours en cas de départ. Cela peut constituer un signe de bonne gestion prévisionnelle.
Cependant, cette souplesse a un coût. D’abord administratif : modifier les bulletins de paie, suivre les échanges de jours contre rémunération, adapter les systèmes RH. Ensuite, humain : encourager un salarié à travailler plus peut entraîner une surcharge ponctuelle, voire un déséquilibre entre ceux qui acceptent et ceux qui refusent. Enfin, économique : même si les majorations sont faibles, la masse salariale augmente, et les exonérations partielles pèsent sur la trésorerie. Pour les PME, ces démarches risquent d’apparaître comme une complexité supplémentaire, sans bénéfice clair à long terme.
Pour l’État, des gains hypothétiques et un impact budgétaire limité
D’un point de vue macroéconomique, on peut envisager plusieurs effets positifs : plus de travail entraîne davantage de production, donc un PIB qui progresse, des recettes fiscales (CSG, IR) qui augmentent, et potentiellement une baisse des aides sociales si certains foyers deviennent plus autonomes. Sur le papier, « plus d’heures travaillées = plus de cotisations = moins de déficit ». Ça fait quand même un peu trop tableur Excel.
Pour autant, le dispositif proposé est souvent accompagné d’exonérations fiscales et sociales, ce qui limite les recettes nouvelles pour la Sécurité sociale et les impôts. Le gain global des recettes publiques n’est donc pas assuré et, selon certains experts, la mesure pourrait même aboutir à une équation budgétaire neutre ou légèrement négative à court terme. Les mécanismes de suivi et de plafonnement ajoutent une couche de complexité administrative (pour URSSAF, CAF, etc.), tandis que le plan ne structure pas la dépense publique profonde ni ne résout le vieillissement démographique. Il reste donc un outil conjoncturel, pas une solution de redressement durable.
Et le compte épargne-temps, où est la différence ?
Le CET existe déjà : il permet aux salariés de stocker des jours de congés ou de RTT pour les utiliser plus tard (passage à mi-temps, départ anticipé, projets personnels) ou pour les monétiser. Le dispositif actuel est cependant peu mobilisé, souvent réservé aux grandes entreprises ou au secteur public. La proposition de la ministre vise à en généraliser l’usage ou à en simplifier les modalités : offrir une forme de rémunération différée ou immédiate, sans nécessiter d’accord collectif. Contrairement aux CET classiques, le nouveau dispositif projeté serait plus automatique, plus fiscalement incitatif, et potentiellement plus visible.
Mais si ces dispositifs ne sont pas clairement distingués dans le droit ou dans les accords d’entreprise, la mesure risque de créer une redondance contre-productive : un salarié pourrait être encouragé à monétiser des jours via le dispositif simplifié, mais au lieu de renforcer ses droits, cela pourrait s’apparenter à une substitution au CET classique sans en conserver les usages vertueux.
Le plus et le moins de chaque approche
Le dispositif consenti par la ministre semble offrir un levier supplémentaire, non imposé, pour ceux qui le souhaitent. Pour les salariés volontaires, cela peut représenter un gain concret sans fiscalité supplémentaire. Pour les entreprises, cela peut offrir un outil de gestion flexible et limiter les coûts liés aux journées stockées en CET. Pour l’État, il y a un potentiel d’activité et de fiscalisation accrue à long terme.
Mais chaque avantage s’accompagne de contreparties. Pour les salariés, c’est une renonciation au repos, une dépendance à l’employeur, et un gain inférieur à celui des heures supplémentaires. Pour les entreprises, c’est une augmentation de la masse salariale à court terme et une charge de gestion RH. Pour l’État, ce n’est pas une solution structurelle, et les recettes attendues sont fragiles face aux exonérations accordées.
Les acteurs en débat : entre soutien pragmatique et fort rejet
Sur le plan politique, la majorité présidentielle et une partie de la droite défendent ce dispositif comme un instrument pragmatique de pouvoir d’achat et de flexibilité. Elle s’appuie notamment sur des figures comme Valérie Pécresse, qui estimait que beaucoup de salariés préféreraient « convertir leur temps libre en salaire » plutôt que de laisser des RTT inutilisées.
À l’inverse, la gauche (PS, LFI, EELV) et des personnalités comme Yannick Jadot ou Éric Piolle qualifient cette mesure de « cheval de Troie de la régression sociale ». Ils dénoncent un affaiblissement des 35 heures, un franchissement du dialogue social, et la substitution du vrai enjeu (les augmentations de salaires) par des dérives individuelles.
Les syndicats, porteurs de ce rejet, parlent tous d’un coup de canif au droit du travail, estimant que convertir des RTT en jour rémunéré à 10 % revient à rémunérer à un taux bien inférieur aux heures supplémentaires. Pour Vincent Gautheron (CGT), « les salariés vont voir les RTT comme une source potentielle de revenus, et renoncer au repos ».
Boris Plazzi (CGT) va jusqu’à écrire que « la mesure n’est rien d’autre qu’un outil de détricotage des 35 heures ».
Chez FO, Frédéric Souillot estime que cette mesure risque d’entraîner une perte nette pour les caisses de la Sécurité sociale, tandis que la CFDT, par la voix de Marylise Léon, qualifie la monétisation de la cinquième semaine de congés de « musée des horreurs ».
Dans l’espace public, forums et réseaux témoignent d’un sentiment partagé : « proposer de payer des RTT majorées à 10 % plutôt que des heures supplémentaires majorées à 25 %, c’est offrir de ‘travailler beaucoup plus pour gagner peu’ ». Beaucoup d’internautes évoquent la mise en tension entre choix et contrainte, et soulignent une crainte profonde de voir s’effriter les droits collectifs.
Cette proposition de monétisation des RTT ou de la cinquième semaine de congés payés, inscrite dans une logique de pouvoir d’achat et de flexibilité, présente des avantages partiels pour des publics ciblés. Mais elle ne remplace ni une politique salariale volontariste, ni une réforme structurelle du financement social. Aux yeux d’un grand nombre de représentants syndicaux et politiques à gauche, elle constitue un risque réel pour les fondamentaux du modèle social français.
Et voilà : le gouvernement vous propose de troquer vos pieds dans l’eau contre les deux pieds au bureau.
Une mesure qui promet de mettre de l’huile dans les rouages économiques… à condition qu’elle ne glisse pas sur une flaque de surmenage ou ne s’enlise dans le sable du ras-le-bol social.
En résumé : à chacun son choix… mais gare à ce que “travailler plus” ne rime pas avec “vivre moins”.
Gilles Desnoix
Sources :
Public Sénat
CGT.